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Critique de ODP31


ODP31
20 septembre 2020
Le Yogi dépressif
Coup de gong pour un billet mi Yin, mi Yang après cette lecture réalisée en position de lotus dépoté sur mon canapé.
Emmanuel Carrère, c'est comme un vieux pote perdu de vue depuis des années, avec lequel on retrouve tout de suite une certaine complicité, tant son écriture impose de la familiarité avec ses lecteurs. Il multiplie les références et les souvenirs de ses précédents romans partagés avec nos yeux, comme un copain nous rappelle de vieilles cuites ou certaines facéties plus ou moins glorieuses. Je pense que cette intimité partagée et cette absence de pudeur dans l'oeuvre de l'écrivain explique en grande partie son succès mérité.
Je me suis donc lancé dans cette lecture plus pour avoir des nouvelles d'Emmanuel Carrère, que je n'avais plus croisé dans les rayons de ma librairie depuis 6 ans, que par curiosité pour le sujet proposé. La méditation m'endort, j'ai envie de taper sur Petit Bambou à coup de gros roseaux, et je n'ai jamais eu besoin de me lancer dans la spéléo de mon âme ou focaliser mon attention sur mes poils de nez pour atteindre un certain apaisement.
Emmanuel Carrère m'a vite rassuré. Si les premières pages racontent avec modestie sa pratique méditative, sa pratique des arts martiaux et son initiation au Yoga, il porte avec beaucoup d'humour un regard critique sur la mode du développement personnel. Il nous expose plusieurs définitions de la méditation et nous raconte son expérience d'une retraite spirituelle sans tomber dans le prosélytisme du bonheur en tong.
D'une approche ludique, ce roman prend une tournure beaucoup plus tourmentée avec l'évocation de la mort de son ami Bernard Maris, lors de l'attentat de Charlie Hebdo, celle de son éditeur de toujours, puis par le récit détaillé d'une terrible dépression qui le conduira à l'internement et à un diagnostic implacable, la bipolarité.
Dans son livre, Emmanuel Carrère nous entraîne dans sa terrible chute, le lecteur partage son traitement de cheval, ses effets secondaires, ses euphories up et ses gadins down. Nous sommes en emphase avec ses phases et ses phrases. Il ne remontera la pente qu'en s'exilant à Lesbos en venant en aide à de jeunes migrants.
Rassuré que ce récit ne tombe pas dans le feel good, histoire du névrosé sauvé par un maître Zen en dix leçons, j'ai apprécié que le cheminement soit inverse, que l'auteur ne se raconte pas et ne nous raconte pas d'histoires. Si le Yoga l'apaise, il ne soigne pas, si la méditation le calme, elle n'est d'aucune utilité face à des troubles psychologiques graves. Face aux vrais problèmes, la chimie médicamenteuse reste plus efficace que le thé vert et l'encens . de morale, il n'y en a pas, à part peut-être l'idée que l'homme moderne s'écoute un peu trop, qu'à force de s'entendre dire « Prends soin de toi », il prend moins soin des autres.
Emmanuel Carrère est le sujet de conversation préféré d'Emmanuel Carrère. Sous ses faux airs de bonze, il ne parle que de lui, tout le temps, même quand il veut rendre hommage à des amis ou des proches. Il l'avoue lui-même mais si la faute avouée est à moitié pardonnée, elle libère surtout sa propre conscience et il ne cherche pas à éviter la récidive. C'est un peu à mes yeux la limite de ce récit très autocentré. Les autres personnages ne sont pas incarnés, figurants de son existence. L'auteur est très seul dans son roman. Heureusement qu'il y a le lecteur. Toujours fidèle.
Après la généalogie russe, la plongée biblique et ce roman zen sous électrochocs, j'attends la prochaine carte postale.
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