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Critique de Afleurdelivres


Emmanuel Carrere fait partie de ces écrivains qui parviendraient à me faire lire avec exaltation et avidité un document aussi indigeste qu'un rapport médical sur l'électrophorèse de l'hémoglobine ou encore une notice de montage d'un meuble à chaussures. Parce qu'il est intéressant, parce qu'il est drôle, parce qu'il est honnête, parce qu'il a un sens de la narration hors du commun, parce qu'il est touchant et cultivé, parce qu'il donne une profondeur à la moindre anecdote qui se transforme en leçon de vie, parce que son style est hybride et captivant, parce que ses écrits, et ce livre le confirme, sont géniaux tout simplement.
Ici ce qui devait être un livre de développement personnel « subtil et souriant » sur le Yoga va prendre une toute autre orientation. le point de départ est une retraite Vipassana sur la méditation. Assis en lotus sur son zafu l'écrivain recherche la pleine conscience en observant sa respiration (et les autres) tout en tentant vainement de ne pas la modifier.
Au rythme de ses descriptions amusantes voilà que le lecteur se prend machinalement à contrôler ses inspirations et expirations et à observer ses sensations. Jouissif ressenti. Puis cette quête introspective plaisante s'acheminera progressivement vers une plus sombre réalité. Une dépression sévère, liée à un diagnostic tardif de bipolarité, refait surface et le conduira à une longue hospitalisation, avec mise de son esprit sous camisole chimique et électrochocs histoire de provoquer un « redémarrage du système ». du désir d'élargissement de sa conscience il est passé à celui de l'éteindre. Sa souffrance est telle qu'il demandera l'euthanasie. Loin d'atteindre l'état de quiétude et d'émerveillement visé il est victime de son autodestruction « sans me vanter je suis exceptionnellement doué pour faire d'une vie qui aurait tout pour être heureuse un véritable enfer ».
C'est avec une grande lucidité qu'il analyse dans cette autobiographie son narcissisme encombrant et son fonctionnement psychique avec recul dans l'espoir de retrouver un nouvel élan vital. Dans cette confession il interroge le réel et tente de « voir les choses comme elles sont » sans édulcorer ni dramatiser, un des enseignements de la méditation, le tout avec un art indéniable de la dérision et de l'autodérision. L'air de rien c'est bien plus profond qu'une simple lamentation d'un être autocentré et dépressif, il parle de lui, beaucoup, de ce que c'est d'être soi mais aussi de nous, de vous, du rapport aux autres. Malmené par ses « vritti sous cocaïne » ses pensées erratiques, parasites qu'il peine à domestiquer tant son activité mentale est en surchauffe, il s'obstine à faire taire son insupportable babil intérieur pour quitter le Samsara et accéder au Nirvana. Son témoignage est très riche : pensées spirituelles, citations (de Simone Weil à Montaigne), références (dont la polonaise héroïque de Chopin interprétée par Martha Argerich) rencontres, souvenirs... du funeste massacre de Charlie Hebdo dans lequel a péri son ami Bernard Maris en passant par le décès de son éditeur et ami de longue date qui pour la première fois ne lira son manuscrit, de l'Irak à l'île grecque de Leros entouré de jeunes réfugiés, en passant par le Sri Lanka dévasté par le tragique Tsunami de 2004 pléthore de réflexions et personnages célèbres et moins célèbres sont subtilement évoqués. Sans oublier son amour évanescent pour la « femme aux gémeaux». Dans ce chaos existentiel alors qu'il n'y croit plus un rai de lumière finira par apparaître enfin redonnant naissance à une balbutiante pulsion de vie...
On en souligne des passages! n'est-ce pas le gage d'un livre parfaitement réussi?


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