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EAN : 9782818051382
380 pages
P.O.L. (10/09/2020)
3.52/5   1955 notes
Résumé :
C'est un livre sur le yoga et la dépression
Sur la méditation et le terrorisme
Sur l'aspiration à l'unité et le trouble bipolaire
Des choses qui n'ont pas l'air d'aller ensemble
En réalité, si : elles vont ensemble.
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Critiques, Analyses et Avis (317) Voir plus Ajouter une critique
3,52

sur 1955 notes
Pour certains, Yoga est le plus beau livre d'Emmanuel Carrère.
Seulement, voilà, le dire devient indécent :
C'est un livre qui désamorce intelligemment toute "critique" que l'on pourrait en faire ; il se laisse tout au plus raconter mais ne permet pas de "chronique" proprement dite :
Cela serait la preuve qu'on l'ait mal lu.

On ne peut pas chroniquer la souffrance mise à nu, l'errance intérieure, la quête de repos et de silence qui se donnent à lire, creusent dans notre vécu, font écho et réverbèrent empathiquement.
Ni la douceur et la simplicité qui adviennent au bout des descentes dans les ténèbres.
A la fin des combats portés avec l'Adversaire.

Nous voilà étrangement enfermés dans un paradoxe consubstantiel à ce livre : Yoga nous offre le luxe de nous taire.

Ceux qui aiment Emmanuel Carrère l'y retrouveront avec émotion.
Les autres l'aimeront peut-être à partir de ce texte.
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Emmanuel Carrere fait partie de ces écrivains qui parviendraient à me faire lire avec exaltation et avidité un document aussi indigeste qu'un rapport médical sur l'électrophorèse de l'hémoglobine ou encore une notice de montage d'un meuble à chaussures. Parce qu'il est intéressant, parce qu'il est drôle, parce qu'il est honnête, parce qu'il a un sens de la narration hors du commun, parce qu'il est touchant et cultivé, parce qu'il donne une profondeur à la moindre anecdote qui se transforme en leçon de vie, parce que son style est hybride et captivant, parce que ses écrits, et ce livre le confirme, sont géniaux tout simplement.
Ici ce qui devait être un livre de développement personnel « subtil et souriant » sur le Yoga va prendre une toute autre orientation. le point de départ est une retraite Vipassana sur la méditation. Assis en lotus sur son zafu l'écrivain recherche la pleine conscience en observant sa respiration (et les autres) tout en tentant vainement de ne pas la modifier.
Au rythme de ses descriptions amusantes voilà que le lecteur se prend machinalement à contrôler ses inspirations et expirations et à observer ses sensations. Jouissif ressenti. Puis cette quête introspective plaisante s'acheminera progressivement vers une plus sombre réalité. Une dépression sévère, liée à un diagnostic tardif de bipolarité, refait surface et le conduira à une longue hospitalisation, avec mise de son esprit sous camisole chimique et électrochocs histoire de provoquer un « redémarrage du système ». du désir d'élargissement de sa conscience il est passé à celui de l'éteindre. Sa souffrance est telle qu'il demandera l'euthanasie. Loin d'atteindre l'état de quiétude et d'émerveillement visé il est victime de son autodestruction « sans me vanter je suis exceptionnellement doué pour faire d'une vie qui aurait tout pour être heureuse un véritable enfer ».
C'est avec une grande lucidité qu'il analyse dans cette autobiographie son narcissisme encombrant et son fonctionnement psychique avec recul dans l'espoir de retrouver un nouvel élan vital. Dans cette confession il interroge le réel et tente de « voir les choses comme elles sont » sans édulcorer ni dramatiser, un des enseignements de la méditation, le tout avec un art indéniable de la dérision et de l'autodérision. L'air de rien c'est bien plus profond qu'une simple lamentation d'un être autocentré et dépressif, il parle de lui, beaucoup, de ce que c'est d'être soi mais aussi de nous, de vous, du rapport aux autres. Malmené par ses « vritti sous cocaïne » ses pensées erratiques, parasites qu'il peine à domestiquer tant son activité mentale est en surchauffe, il s'obstine à faire taire son insupportable babil intérieur pour quitter le Samsara et accéder au Nirvana. Son témoignage est très riche : pensées spirituelles, citations (de Simone Weil à Montaigne), références (dont la polonaise héroïque de Chopin interprétée par Martha Argerich) rencontres, souvenirs... du funeste massacre de Charlie Hebdo dans lequel a péri son ami Bernard Maris en passant par le décès de son éditeur et ami de longue date qui pour la première fois ne lira son manuscrit, de l'Irak à l'île grecque de Leros entouré de jeunes réfugiés, en passant par le Sri Lanka dévasté par le tragique Tsunami de 2004 pléthore de réflexions et personnages célèbres et moins célèbres sont subtilement évoqués. Sans oublier son amour évanescent pour la « femme aux gémeaux». Dans ce chaos existentiel alors qu'il n'y croit plus un rai de lumière finira par apparaître enfin redonnant naissance à une balbutiante pulsion de vie...
On en souligne des passages! n'est-ce pas le gage d'un livre parfaitement réussi?


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Le Yogi dépressif
Coup de gong pour un billet mi Yin, mi Yang après cette lecture réalisée en position de lotus dépoté sur mon canapé.
Emmanuel Carrère, c'est comme un vieux pote perdu de vue depuis des années, avec lequel on retrouve tout de suite une certaine complicité, tant son écriture impose de la familiarité avec ses lecteurs. Il multiplie les références et les souvenirs de ses précédents romans partagés avec nos yeux, comme un copain nous rappelle de vieilles cuites ou certaines facéties plus ou moins glorieuses. Je pense que cette intimité partagée et cette absence de pudeur dans l'oeuvre de l'écrivain explique en grande partie son succès mérité.
Je me suis donc lancé dans cette lecture plus pour avoir des nouvelles d'Emmanuel Carrère, que je n'avais plus croisé dans les rayons de ma librairie depuis 6 ans, que par curiosité pour le sujet proposé. La méditation m'endort, j'ai envie de taper sur Petit Bambou à coup de gros roseaux, et je n'ai jamais eu besoin de me lancer dans la spéléo de mon âme ou focaliser mon attention sur mes poils de nez pour atteindre un certain apaisement.
Emmanuel Carrère m'a vite rassuré. Si les premières pages racontent avec modestie sa pratique méditative, sa pratique des arts martiaux et son initiation au Yoga, il porte avec beaucoup d'humour un regard critique sur la mode du développement personnel. Il nous expose plusieurs définitions de la méditation et nous raconte son expérience d'une retraite spirituelle sans tomber dans le prosélytisme du bonheur en tong.
D'une approche ludique, ce roman prend une tournure beaucoup plus tourmentée avec l'évocation de la mort de son ami Bernard Maris, lors de l'attentat de Charlie Hebdo, celle de son éditeur de toujours, puis par le récit détaillé d'une terrible dépression qui le conduira à l'internement et à un diagnostic implacable, la bipolarité.
Dans son livre, Emmanuel Carrère nous entraîne dans sa terrible chute, le lecteur partage son traitement de cheval, ses effets secondaires, ses euphories up et ses gadins down. Nous sommes en emphase avec ses phases et ses phrases. Il ne remontera la pente qu'en s'exilant à Lesbos en venant en aide à de jeunes migrants.
Rassuré que ce récit ne tombe pas dans le feel good, histoire du névrosé sauvé par un maître Zen en dix leçons, j'ai apprécié que le cheminement soit inverse, que l'auteur ne se raconte pas et ne nous raconte pas d'histoires. Si le Yoga l'apaise, il ne soigne pas, si la méditation le calme, elle n'est d'aucune utilité face à des troubles psychologiques graves. Face aux vrais problèmes, la chimie médicamenteuse reste plus efficace que le thé vert et l'encens . de morale, il n'y en a pas, à part peut-être l'idée que l'homme moderne s'écoute un peu trop, qu'à force de s'entendre dire « Prends soin de toi », il prend moins soin des autres.
Emmanuel Carrère est le sujet de conversation préféré d'Emmanuel Carrère. Sous ses faux airs de bonze, il ne parle que de lui, tout le temps, même quand il veut rendre hommage à des amis ou des proches. Il l'avoue lui-même mais si la faute avouée est à moitié pardonnée, elle libère surtout sa propre conscience et il ne cherche pas à éviter la récidive. C'est un peu à mes yeux la limite de ce récit très autocentré. Les autres personnages ne sont pas incarnés, figurants de son existence. L'auteur est très seul dans son roman. Heureusement qu'il y a le lecteur. Toujours fidèle.
Après la généalogie russe, la plongée biblique et ce roman zen sous électrochocs, j'attends la prochaine carte postale.
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Emmanuel Carrère, j'ai adoré le lire dans L'Adversaire, Limonov et même le Royaume. Je l'ai aussi rencontré, écouté présenter le Royaume à Vienne (Isère), en novembre 2014, mais là, avec Yoga, je n'ai pas du tout adhéré à ce qu'il raconte.
C'est, bien sûr, très personnel, souvent intime, mais j'ai dû me forcer à lire, pour aller au bout, poussant un grand ouf à la dernière ligne quand il avoue être « pleinement heureux d'être vivant. »
Yoga parle bien sûr de cette discipline venue d'Asie et apportant beaucoup de bien-être à ses adeptes. J'ai quand même retenu quelques conseils utiles pour la respiration et le contrôle de son corps.
Emmanuel Carrère parle surtout de méditation avec une cascade de définitions toutes très judicieuses et encourageantes pour le commun des mortels mais, en fait, il parle surtout de lui.
Il raconte, romance, invente sûrement, abuse parfois de termes techniques japonais ou autre mais c'est un prétexte pour raconter sa vie, ses joies, ses peines, surtout ses souffrances. Comme il l'avoue, pour un homme qui a tout : l'argent, la réussite, deux enfants beaux et intelligents, voilà qu'il est bipolaire de type 2 !
Régulièrement, il sombre dans la dépression, a besoin d'être soigné, hospitalisé à Sainte-Anne, subit des électrochocs, prend des médicaments. Dans Yoga, j'ai souffert avec lui de tant d'épreuves, de cette détresse morale pour un homme qui connaît tout, fréquente des célébrités, et partage amour et amitié.
Au fil des pages, j'ai fait beaucoup de rencontres dont son éditeur, Paul Otchakovsky-Laurens (P.O.L.), qui a su le motiver, peu de temps avant sa mort, le 2 janvier 2018, pour apprendre à taper avec ses dix doigts.
Au début, il y a ce stage Vipassana, dans le Morvan, stage de yoga haut de gamme avec cent vingt participants mais c'est tellement aride et dépouillé que j'ai été soulagé lorsqu'Emmanuel Carrère a dû quitter les lieux brusquement après la tuerie de Charlie Hebdo. Il connaissait bien Bernard Maris et il a dû prononcer un discours à son enterrement.
Après toute cette dépression qui le met au plus bas, il m'a emmené sur l'île grecque de Léros où il s'occupe d'un atelier d'écriture pour des réfugies avec une certaine Frederica qu'il appelle affectueusement Erica. C'est une bonne respiration, un moyen de sortir de cette introspection maladive dont il m'a trop longtemps gratifié. En bonus, l'auteur m'a donné envie de réécouter la fameuse Polonaise héroïque de Frédéric Chopin et, pour cela, je le remercie.
Parler de soi, les plus grands écrivains l'ont fait et le font. Emmanuel Carrère reconnaît qu'il veut être des leurs mais Yoga ne m'a pas vraiment plu car ressemblant un peu trop à un fouillis de rencontres, d'expériences plus ou moins réelles. Si écrire ce livre lui a fait du bien, tant mieux !

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Janvier 2015, Emmanuel Carrère prend le train en gare de Bercy, destination le Morvan pour y passer dix jours avec une trentaine de participants, pour un stage de méditation. La consigne est stricte : pas de téléphone portable, pas de livre, pas d'ordinateur : on se retrouve face au silence, seul face à soi-même. Il pratique le yoga depuis une trentaine d'années et ce stage, cette retraite en silence lui permettra d'écrire un petit livre sur le yoga. Il se trouve en effet que, sujet à la dépression, pour lui, "c'était un bon moment, un cycle extrêmement favorable qui durait depuis bientôt dix ans". Mais il va traverser alors un grave épisode dépressif qui le conduira quatre mois durant en hôpital psychiatrique à Sainte-Anne. Il sera diagnostiqué bipolaire type II : "quoi qu'on pense, dise et fasse, on ne peut pas se fier à soi-même car on est deux dans le même homme et ces deux-là sont des ennemis".
Ce livre, donc, aurait dû être léger et souriant, il est devenu grave quand l'auteur se croyant guéri a frôlé le désastre.
Dans Yoga, Emmanuel Carrère raconte cette terrible dépression avec franchise et justesse et dépeint magistralement cette détresse psychique qui l'a envahie et l'a plongé dans les ténèbres et la détresse, songeant même à s'autodétruire.
Des événements importants vont jalonner cette terrible période. Sont évoqués avec beaucoup de sensibilité l'attentat contre Charlie Hebdo et l'assassinat de Bernard Maris que son amie Hélène F. avait rencontré après son divorce et dont il dit : "on était tout doucement en train de devenir des amis", la crise des réfugiés et ces moments très beaux passés avec ces jeunes afghans qu'il aide sur l'île grecque de Léros, la mort de Paul Otchakovsky-Laurens en 2018, son éditeur et ami.
Yoga porte tout de même bien son titre car le yoga reste omniprésent tout au long du récit et seul, quelqu'un en ayant une pratique régulière, ancienne et maîtrisant idéalement la langue peut nous faire découvrir aussi bien et de façon aussi simple cette activité à la fois physique, méditative et spirituelle. J'ai ainsi appris multitude de termes rattachés à cette pratique (un peu lassant parfois), à commencer par le zafu, coussin sur lequel s'assoient les pratiquants.
Cependant le combat intérieur que va devoir mener Emmanuel Carrère face à cette maladie qu'il croyait vaincue et qui refait surface sera une véritable mise à nu des souffrances endurées, de sa quête de délivrance qui s'achèvera par cette sublime dernière parole : "je suis pleinement heureux d'être vivant".
Yoga est une autofiction, c'est-à-dire que l'auteur parle de lui, de sa vie et y mêle forcément d'autre vies que la sienne, ce qui explique sans doute le différend avec son ex-épouse Hélène Devynck.
Yoga est certes un superbe bouquin que je ne peux que recommander, mais j'avais néanmoins préféré La moustache, La classe de neige et surtout L'adversaire du même auteur.

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critiques presse (10)
LeDevoir
13 octobre 2020
À sa façon, l'écrivain français Emmanuel Carrère raconte dans «Yoga» sa descente dans l'enfer de la dépression.
Lire la critique sur le site : LeDevoir
LeJournaldeQuebec
12 octobre 2020
Incroyablement doué pour se livrer sans fard et sans temps mort, l'auteur de Limonov nous offre l'un de ses plus beaux textes.
Lire la critique sur le site : LeJournaldeQuebec
Elle
16 septembre 2020
Écartelé entre son goût du zen et les gouffres de la dépression dans laquelle il a sombré, l'écrivain raconte dans « Yoga » ses tentatives d'équilibriste pour vivre. Soufflant.
Lire la critique sur le site : Elle
LeSoir
16 septembre 2020
Emmanuel Carrère voulait écrire un livre sur le yoga. Le titre est bien là, « Yoga », mais il a pris des couleurs plus sombres que prévu.
Lire la critique sur le site : LeSoir
Lexpress
31 août 2020
Comment harmoniser le yin et le yang d'une vie brisée en deux ? Le récit-roman implacable d'un écrivain perdu en son royaume.
Lire la critique sur le site : Lexpress
LaLibreBelgique
31 août 2020
L' écrivain raconte dans « Yoga » sa pratique de la méditation mais aussi sa terrible dépression. Son plus beau livre.
Lire la critique sur le site : LaLibreBelgique
LaCroix
28 août 2020
Chronique sinueuse d'un combat intérieur contre la dépression, jalonnée d'épisodes intimes et tragiques, le nouveau livre d?Emmanuel Carrère est aussi le récit des années 2010, du surgissement du terrorisme, de la crise des réfugiés.
Lire la critique sur le site : LaCroix
Telerama
28 août 2020
Il voulait écrire un livre “souriant” sur le yoga, quand une dépression l’a terrassé. Magistrale, cette plongée dans l’abîme esquisse malgré tout la voie d’une possible reconstruction.
Lire la critique sur le site : Telerama
Bibliobs
26 août 2020
Jamais l’auteur de « D’autres vies que la mienne » n’a été plus écrivain que dans cet autoportrait éclaté, où il lâche les chiens et ses démons, ne cache rien de ses addictions à l’alcool, au sexe et à son despotique ego ; où, à chaque page, il s’applique à sauver sa peau et repousser, encore un instant M. le bourreau, l’idée de mourir.
Lire la critique sur le site : Bibliobs
LesInrocks
18 août 2020
Six ans après Le Royaume, Emmanuel Carrère revient avec Yoga et raconte comment sa vie a basculé. Un très beau récit qui interroge illusion et vérité.
Lire la critique sur le site : LesInrocks
Citations et extraits (251) Voir plus Ajouter une citation
Ce trajet à scooter, plus que l'exposition Rembrandt dont il n'y a pas grand chose à dire, est le sommet de l'article de Wyatt Mason. Il n'est pas le premier, entre ma famille et mes amis, à décrire ma conduite sur deux roues comme prudente mais un peu trop prudente, dangereuse à force d'être prudente, avec des coups de frein brusques quand il n'y en a pas besoin et des virages pris si lentement que le scooter menace de pencher, pencher au point de carrément tomber sous le poids de son inertie. Ainsi cahoté, ballotté, de plus en plus crispé derrière moi, Wyatt Mason évoque le bruit que fait le devant de son casque en heurtant chaque fois que je freine l'arrière du mien, les efforts qu'il fait pour que le devant de son casque ne heurte pas l'arrière du mien, et c'est là qu'il écrit cette chose étonnante qui encore plus que tout le reste m'inspire pour lui une si profonde sympathie:
" Tout cela aurait été plus facile si nous étions des amis. Je n'aurais pas été obligé de me raidir pour maintenir la distance entre nous, j'aurais pu me tenir à sa taille et bien sur ce n'est pas ce qu'un journaliste est censé faire avec la personne qu'il est venu interviewer, mais je me dis qu'au fond, c'est ça que j'aurais dû faire: cet homme si malheureux, le serrer dans mes bras."
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Moi, je ne dis pas le contraire, je dis rarement le contraire de quiconque, mais je ne suis pas aussi certain qu'il y ait une sortie, ni que le seul but de la vie soit de la chercher, ni que ce soit la seule raison de faire du yoga. J'oscille, c'est mon caractère. Un jour je le crois, le lendemain pas. Je ne sais pas ce qui est vrai ni s'il y a une vérité. Et même si je chemine vers la montagne, je ne pense pas que j'en atteindrai le sommet. Jamais je ne serai un de ces alpinistes de l'esprit qu'on appelle un mystique, et ce n'est pas grave car entre les neiges éternelles et le fond de la vallée où je n'ai pas non plus envie de croupir il y a une voie du milieu. Il y a ce qu'on appelle, parfois avec dédain, la montagne à vaches. Je suis un méditant de montagne à vaches. J'aime pratiquer la marche, dans la montagne à vaches, comme une méditation, en essayant de tresser le pas, le souffle, les sensations, les perceptions et les pensées, et c'est cela qui me pousse aussi, chaque matin ou presque, à m'asseoir en tailleur sur le zafu.
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le malheur névrotique, c' est celui qu' on se fabrique soi-même, sous une forme affreusement répétitive, le malheur ordinaire celui que vous réserve la vie sous des formes aussi diverses qu' imprévisibles. Vous avez un cancer ou, pire encore, un de vos enfants à un cancer, vous perdez votre travail et tombez dans la misère : malheur ordinaire. Pour ma part, j' ai été épargné par le malheur ordinaire : pas de grand deuil encore, pas de problèmes de santé ni d' argent, des enfants qui font leur chemin, et j'ai le rare privilège de faire un métier que j' aime. Pour ce qui est du malheur névrotique, par contre, je ne crains personne. Sans me vanter, je suis exceptionnellement doué pour faire d' une vie qui aurait tout pour être heureuse un véritable enfer, et je ne laisserai personne parler de cet enfer-là à la légère : Il est réel, terriblement réel."
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Je répète : la méditation, c'est tout ce qui se passe en soi pendant le temps où on est assis, immobile, silencieux. L'ennui, c'est la méditation. Les douleurs aux genoux, au dos, à la nuque, c'est la méditation. les pensées parasites, c'est la méditation. Les gargouillis dans le ventre, c'est la méditation. L'impression de perdre son temps à faire un truc de spiritualité bidon, c'est la méditation. le coup de téléphone qu'on prépare mentalement et l'envie de se lever pour le passer, c'est la méditation. la résistance à cette envie, c'est la méditation - mais pas y céder, quand même. C'est tout. Rien de plus. Tout ce qui est en plus est trop.
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Méditer bourré, c'est absurde, je suis d'accord, mais je me persuadais alors que j'observais mon ivresse. Car l'intérêt de la méditation - ce pourrait être une seconde définition -, c'est de susciter en soi une espèce de témoin qui espionne le tourbillon de vos pensées sans se laisser emporter par elles. Vous n'êtes que chaos, confusion, marmelade de souvenirs et de peurs et de fantômes et de vaines anticipations, mais quelqu'un de plus calme, à l'intérieur de vous, veille et fait son rapport. Évidemment, l'alcool et les drogues font de cet agent secret un agent double, pas fiable du tout. Pourtant je continuais, j'ai toujours plus ou moins continué et si je m'obstine à écrire ce livre, ma version à moi de ces livres de développement personnel qui marchent si bien en librairie, c'est pour rappeler ce que disent rarement les livres de développement personnel : que les pratiquants d'arts martiaux, les adeptes du zen, du yoga, de la méditation, de ces grandes choses lumineuses et bienfaisantes que j'ai toute ma vie courtisées, ne sont pas forcément des sages ni des gens calmes, apaisés et sereins, mais quelquefois, mais souvent, des gens comme moi pathétiquement névrosés, et que ça n'empêche pas, et qu'il faut, selon la forte phrase de Lénine, « travailler avec le matériel existant », et que même s'il ne vous conduit nulle part on a raison malgré tout de s'obstiner sur le chemin.
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Retrouvez l'intégralité de l'interview ci-dessous : https://www.france.tv/france-5/la-grande-librairie/


Giuliano da Empoli est notre dernier invité. On se souvient, un an après, de son premier roman "Le mage du Kremlin", qui sortira en poche au mois de janvier et qui ne cesse de résonner avec l'actualité. le livre sera bientôt adapté au cinéma par Olivier Assayas et ce n'est autre qu'Emmanuel Carrère qui travaille à son scénario. Emmanuel Carrère et Giuliano da Empoli se retrouvent sur le plateau de la Grande Librairie pour nous parler de cette adaptation, mais aussi de la manière dont ils racontent la Russie à notre époque.
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