Je ne sais pas si vous avez vu un téléfilm intitulé La controverse de Valladolid, avec
Jean-Pierre Marielle dans le rôle
De Las Casas,
Jean-Louis Trintignant dans celui de Sepúlveda et
Jean Carmet dans celui du légat du pape (que des Jean).
C'est un téléfilm qui m'a marqué. Et quand j'ai appris qu'il en existait une version théâtrale, j'ai sauté sur l'occasion. le téléfilm, et le roman, datent de 1992 ; la pièce a été montée en 1999. le livre relate comment il a fallu resserrer l'action dans le temps et l'espace pour lui apporter du dynamisme.
Cette dispute a réellement eu lieu, et
Jean-Claude Carrière propose ici de nous montrer ce qui a pu s'y dire. L'objet était de décider, dixit le légat dans la pièce, « si ces indigènes sont des êtres humains achevés et véritables, des créatures de Dieu et nos frères dans la descendance d'Adam, ou si au contraire ils sont des êtres d'une catégorie distincte, ou même les sujets de l'empire du diable ».
La controverse oppose deux hommes, deux ecclésiastiques, forts différents d'histoire et de personnalité.
Las Casas est un dominicain qui a vécu sur le terrain, qui a vu les massacres odieux qu'il n'en finit pas de décrire. C'est ignoble et à mettre au niveau des exactions de la shoah. Il défend bien entendu la thèse que les Indiens sont humains fils de Dieu. Il les idéalise même, les présentant comme doux, amicaux, en aucun cas soumis à des passions violentes. Ce sont des arguments qui finissent par se retourner contre lui car l'homme est un être de passion, un pêcheur qui est violent de nature (Sepúlveda a beau jeu de le rappeler).
Las Casas a d'ailleurs essayé par deux fois de créer des communautés égalitaires qui ont échoué ; on ne sait pas pourquoi malheureusement mais on se doute que les indigènes ne sont pas les agneaux présentés. Son tempérament excessif, emporté, joue aussi contre lui. Il est souvent rappelé à l'ordre par le légat.
Sepúlveda est un chanoine intellectuel qui théorise, qui n'a presque jamais quitté son bureau. Il est le produit d'une Espagne maîtresse du monde, arrogante, qui regarde de haut le reste des peuples (hormis la papauté). Il considère la conquête comme naturelle, voulue par Dieu – ce dernier n'a-t-il pas déjà béni l'Espagne en lui permettant d'éliminer le dernier royaume maure d'Europe ? – il n'y a aucune passion, aucune cruauté particulière chez lui quand il affirme que le massacre des Indiens est aussi voulu par Dieu, une race qui n'est pas du sérail humain. Il la montre barbare, cruelle, idolâtre. A son tour cet argument se retourne contre lui, car ce sont des passions humaines qu'il décrit-là, le légat ne se prive pas de le lui faire remarquer.
Le légat se veut neutre, et se faisant paraît cruel quand il ne montre aucune émotion pour « tester » les indigènes qu'il a fait venir d'Amérique. Certain tests sont moralement acceptables : peuvent-ils rire aux pitreries d'un bouffon, le rire étant propre à l'homme ? D'autres sont borderline : menacer de tuer un enfant pour voir si les parents vont chercher à le sauver.
J'ai senti que
Las Casas n'allait pas sortir vainqueur de ce débat. Et pourtant le légat reste effectivement assez neutre, tant que l'argument économique : la main d'oeuvre gratuite pour l'exploitation des terres et des mines, n'est pas mis en avant. Cet argument est finalement annihilé, mais d'une manière que je n'évoquerai pas ici, vous laissant le loisir d'aller voir vous-même.
C'est un texte fort, aux répliques percutantes, que je recommande à tous. de manière anecdotique, j'ai tout de même été perpétuellement agacé de voir écrire le nom de Sepúlveda avec des accents aigus « à la française » : Sépulvéda. Agaçant car on perd l'intonation forte à donner à la syllabe ‘pú'. Mes origines espagnoles en révolte, que voulez-vous.