Lorsque le post-apocalyptique n'est que prétexte à un roman révolutionnaire mélancolique...
Une très belle découverte, un coup de coeur même, pour ce livre «
Dernières fleurs avant la fin du monde » de
Nicolas Cartelet dont l'écriture m'a charmée. Un livre que je n'ai pas beaucoup vu passer sur Babelio, il a fallu la critique très élogieuse de @Indimoon pour me donner envie. Nième livre post-apocalyptique que je lis ces derniers mois, celui-ci se singularise par sa vision sombre et sans concession servie par une écriture hors norme. Quel style ! J'ai lu et relu certains passages, notamment la description des personnages, incroyablement campés, ainsi que leur psychologie et réactions dont le processus est relaté telle une mécanique de précision. Ce n'est pas tant le côté post-apocalyptique qui m'a tant séduite que cette façon de décrire la peur, la fatigue, la colère, l'angoisse, la joie pure. Certains passages sont dignes de scènes fantastiques telles ces scènes dans la forêt en pleine nuit. Oui, j'ai été émerveillée par l'écriture de
Nicolas Cartelet. Ce livre se singularise d'autre part par le message révolutionnaire dont il est porteur, sous couvert de science-fiction.
Dans ce futur assez proche, les abeilles ont disparu : pour produire fruits et légumes les hommes sont donc obligés désormais de polliniser les fleurs à la main au sein d'immenses plantations.
« Nous les caressions jusqu'à ce qu'elles scintillent de reflets dorés, du rose décoloré de leurs pétales, que nous voyions peu à peu s'ouvrir, et vibrer sous le baiser des plumes, semblait alors jaillir une lumière nouvelle : nous rendions vie aux cerisiers. Il fallait parfois près d'une demi- heure pour terminer un arbre, nos épaules étaient lourdes, nos bras ankylosés, nos cous douloureux, mais nous continuions coûte que coûte, sous le regard des autres. Nous trempions nos perches, nous levions nos bras, nous nous contorsionnions pour atteindre les points les plus hauts, puis passions au cerisier suivant, tous en choeur ».
Travail à la chaine où Albert Villeneuve est à la tête d'une équipe tandis que sa femme Manon travaille de son côté dans une usine de médicaments. Ils se retrouvent le soir, harassés, dans une tour en béton parmi tant d'autres, dans leur quatorzième étage dans lequel l'électricité est fournie de 21h à 21h30 le temps de faire cuire les pommes de terre, reçues en salaire, qui constituent l'unique aliment de leur diner. Tous les jours. Un récit ouvrier qui raconte la misère humaine de façon poignante.
« Armandville s'allumait à 21 h précises. C'était notre cloche d'église à nous. Une explosion sèche prévenait l'arrivée du courant, des étincelles grésillaient çà et là, dans la nuit, et la lumière jaillissait : c'étaient cent fois dix mille néons qui, presque au même instant et en tout point de la ville, se gonflaient d'énergie pâle. Les immeubles alentour prenaient vie, en cascades de carrés jaunes à tous les étages, les silhouettes des hommes s'y dessinaient soudain avec plus de force, je les voyais partout, des insectes ahuris comme moi par la chaleur des lampes, je ne savais plus où porter le regard ».
Nous découvrons un couple à bout de souffle au sein de ce monde terne dans lequel seul le pollen, conservé précieusement, semble briller et apporter une touche de couleur. Les abeilles ne sont plus là pour butiner de même que les hommes n'arrivent plus à faire l'amour…impuissants, semblent-ils tous être devenus. Des hommes stérilisés dans une nature stérilisée…Une conjuration toute symbolique donne à Albert un semblant de sens à ce qu'il fait quotidiennement dans une routine implacable ; mais sa vie va prendre un tournant vraiment définitif lorsque le Duc, le puissant et effrayant propriétaire de la plantation, lui propose d'enseigner la lecture à sa fille Apolline. Une offre inespérée. Une rencontre éblouissante, décalée, pure. La fraicheur de la relation s'oppose au couple taciturne qu'il forme avec Manon. Apolline solaire, innocente, passionnée, entière. Vraie.
«
Dernières fleurs avant la fin du monde » est un cri…un sursaut avant la fin, une flèche acérée contre le capitalisme qui amène les gens à se faire la compétition, à se méfier les uns les autres, notamment à haïr les étrangers, pire ennemis dans cette compétition, venus voler le travail et l'argent des travailleurs nationaux, et au final, humanité à bout de souffle, à faire la révolution…
Dernières fleurs avant la fin du monde, dernières beautés, dernières conjurations, derniers espoirs…
« Contre qui, contre quoi vous levez- vous ? leur ai- je simplement demandé. Contre tout, ont répondu les Suarez. Contre la vie qui nous amène ici de force et nous fait trimer dans la terre sans autre horizon que le trou où on finira par nous enterrer, tout rabougri et cassé par les champs. Contre ce grand système des plantations dont les intendants sont les soldats et dont nous sommes les esclaves, a ajouté Alexandre– et contre les abus des matons ! a encore grogné Hans. Contre la paye qui nous affame, et nous maintient tout juste bons à trimer une journée de plus… Ils se regardaient les côtes : c'est vrai que nous étions tous maigres. Et puis contre les temps qui nous ont privés des derniers plaisirs qui tiennent un gars debout, a regretté Jimmy. Est- ce qu'on est encore vraiment des hommes, à bien y réfléchir ? Merde, les gars : on bande même plus ! »
Je vous recommande chaudement ce court roman rien que pour son style percutant. Un coup de coeur !!