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sur 115 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Lorsque le post-apocalyptique n'est que prétexte à un roman révolutionnaire mélancolique...

Une très belle découverte, un coup de coeur même, pour ce livre « Dernières fleurs avant la fin du monde » de Nicolas Cartelet dont l'écriture m'a charmée. Un livre que je n'ai pas beaucoup vu passer sur Babelio, il a fallu la critique très élogieuse de @Indimoon pour me donner envie. Nième livre post-apocalyptique que je lis ces derniers mois, celui-ci se singularise par sa vision sombre et sans concession servie par une écriture hors norme. Quel style ! J'ai lu et relu certains passages, notamment la description des personnages, incroyablement campés, ainsi que leur psychologie et réactions dont le processus est relaté telle une mécanique de précision. Ce n'est pas tant le côté post-apocalyptique qui m'a tant séduite que cette façon de décrire la peur, la fatigue, la colère, l'angoisse, la joie pure. Certains passages sont dignes de scènes fantastiques telles ces scènes dans la forêt en pleine nuit. Oui, j'ai été émerveillée par l'écriture de Nicolas Cartelet. Ce livre se singularise d'autre part par le message révolutionnaire dont il est porteur, sous couvert de science-fiction.

Dans ce futur assez proche, les abeilles ont disparu : pour produire fruits et légumes les hommes sont donc obligés désormais de polliniser les fleurs à la main au sein d'immenses plantations.
« Nous les caressions jusqu'à ce qu'elles scintillent de reflets dorés, du rose décoloré de leurs pétales, que nous voyions peu à peu s'ouvrir, et vibrer sous le baiser des plumes, semblait alors jaillir une lumière nouvelle : nous rendions vie aux cerisiers. Il fallait parfois près d'une demi- heure pour terminer un arbre, nos épaules étaient lourdes, nos bras ankylosés, nos cous douloureux, mais nous continuions coûte que coûte, sous le regard des autres. Nous trempions nos perches, nous levions nos bras, nous nous contorsionnions pour atteindre les points les plus hauts, puis passions au cerisier suivant, tous en choeur ».

Travail à la chaine où Albert Villeneuve est à la tête d'une équipe tandis que sa femme Manon travaille de son côté dans une usine de médicaments. Ils se retrouvent le soir, harassés, dans une tour en béton parmi tant d'autres, dans leur quatorzième étage dans lequel l'électricité est fournie de 21h à 21h30 le temps de faire cuire les pommes de terre, reçues en salaire, qui constituent l'unique aliment de leur diner. Tous les jours. Un récit ouvrier qui raconte la misère humaine de façon poignante.

« Armandville s'allumait à 21 h précises. C'était notre cloche d'église à nous. Une explosion sèche prévenait l'arrivée du courant, des étincelles grésillaient çà et là, dans la nuit, et la lumière jaillissait : c'étaient cent fois dix mille néons qui, presque au même instant et en tout point de la ville, se gonflaient d'énergie pâle. Les immeubles alentour prenaient vie, en cascades de carrés jaunes à tous les étages, les silhouettes des hommes s'y dessinaient soudain avec plus de force, je les voyais partout, des insectes ahuris comme moi par la chaleur des lampes, je ne savais plus où porter le regard ».

Nous découvrons un couple à bout de souffle au sein de ce monde terne dans lequel seul le pollen, conservé précieusement, semble briller et apporter une touche de couleur. Les abeilles ne sont plus là pour butiner de même que les hommes n'arrivent plus à faire l'amour…impuissants, semblent-ils tous être devenus. Des hommes stérilisés dans une nature stérilisée…Une conjuration toute symbolique donne à Albert un semblant de sens à ce qu'il fait quotidiennement dans une routine implacable ; mais sa vie va prendre un tournant vraiment définitif lorsque le Duc, le puissant et effrayant propriétaire de la plantation, lui propose d'enseigner la lecture à sa fille Apolline. Une offre inespérée. Une rencontre éblouissante, décalée, pure. La fraicheur de la relation s'oppose au couple taciturne qu'il forme avec Manon. Apolline solaire, innocente, passionnée, entière. Vraie.

« Dernières fleurs avant la fin du monde » est un cri…un sursaut avant la fin, une flèche acérée contre le capitalisme qui amène les gens à se faire la compétition, à se méfier les uns les autres, notamment à haïr les étrangers, pire ennemis dans cette compétition, venus voler le travail et l'argent des travailleurs nationaux, et au final, humanité à bout de souffle, à faire la révolution…Dernières fleurs avant la fin du monde, dernières beautés, dernières conjurations, derniers espoirs…

« Contre qui, contre quoi vous levez- vous ? leur ai- je simplement demandé. Contre tout, ont répondu les Suarez. Contre la vie qui nous amène ici de force et nous fait trimer dans la terre sans autre horizon que le trou où on finira par nous enterrer, tout rabougri et cassé par les champs. Contre ce grand système des plantations dont les intendants sont les soldats et dont nous sommes les esclaves, a ajouté Alexandre– et contre les abus des matons ! a encore grogné Hans. Contre la paye qui nous affame, et nous maintient tout juste bons à trimer une journée de plus… Ils se regardaient les côtes : c'est vrai que nous étions tous maigres. Et puis contre les temps qui nous ont privés des derniers plaisirs qui tiennent un gars debout, a regretté Jimmy. Est- ce qu'on est encore vraiment des hommes, à bien y réfléchir ? Merde, les gars : on bande même plus ! »

Je vous recommande chaudement ce court roman rien que pour son style percutant. Un coup de coeur !!
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La fin du monde, bien des auteurs l'ont imaginée. Depuis les 4 Cavaliers de l'Apocalypse jusqu'à l'explosion nucléaire, en passant par une invasion extraterrestre ou le réveil des dinosaures, je pense qu'on a tout eu.
Sauf cela.
La réalité, bête et brute, d'une fin du monde qui nous guette réellement. Une fin mesquine, une fin méthodique, une fin pitoyable: un futur sans abeilles. Ou, plus précisément, un futur où l'on emploie des hommes pour remplacer les abeilles ouvrières. Albert Villeneuve en fait partie, qui chaque jour doit polliniser des dizaines d'arbres sur les terres du Duc pour mériter sa pitance. Quelques pommes de terre.
Quelques pommes de terre qu'il partage avec Manon, quand elle revient de l'usine pharmaceutique et qu'il y a assez d'électricité pour permettre de cuire leur repas de misère.
Manon, jadis si belle. Manon, maigre et morose, vieille avant l'heure. Manon, que Villeneuve ne peut plus aimer, ni moralement, ni physiquement, puisqu'il est devenu impuissant comme tous ses compagnons. Car la fin des temps c'est aussi la fin de chaque petit monde , la ruine de chaque existence. Ce moment où l'on se sent privé de tout, jusqu'à la volonté de continuer ainsi.
Alors, parfois, la tristesse qui nous accable se mue en sourde colère. Mais dans un monde étriqué, la révolte ne peut être que mesquine. Et patiemment, méthodiquement encore, Villeneuve sabote le travail.
Jusqu'au jour où le Duc en personne le mande auprès de lui...
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Avec ce livre, outre le message d'alerte que beaucoup y trouveront, Nicolas Cartelet nous démontre avant tout qu'on peut écrire une oeuvre à la fois accablante et magnifique. Accablante, car le rythme de son écriture, le choix des termes et de la narration à la première personne nous font partager les sentiments du héros dès les premières pages; chacun de nous peut se reconnaître dans le désespoir d'Albert Villeneuve, ou du moins ressentir à son égard la même fraternité qui nous lie aux héros de John Steinbeck. Magnifique, parce que la suite de l'histoire est empreinte d'une ardeur touchante, au vrai sens du terme. Parce qu'au plus noir de l'hiver, comme le disait Camus, on découvre en Albert un invincible été. Parce que la vie ressurgit là où on ne l'attendait plus; la vie sur Terre, la vie des Hommes aussi. Parce qu'une chute peut en entraîner une autre, et que tout est lié. Parce que sans doute on a , nous aussi, besoin de croire que tout reste possible à l'approche du terme.
Pour tout cela, ces dernières fleurs méritent vraiment qu'on les cueille avec respect.
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Je ne saurais dire pourquoi l'évocation de notre futur ou d'un monde qui nous ressemble ou presque, est un thème que j'adore lire. C'est sombre le plus souvent, avec un auteur qui nous met en garde, et souvent les personnages passent après le message, même si ceux qui prennent le temps de les lire ne sont pour la plupart du temps comme moi que de piètres acteurs de ce futur, rêveurs et contemplatifs, déjà bien rangés à la noble cause qu'il défend!
Dans cette optique, tomber sur un auteur qui en plus manie les mots avec grâce, c'est la promesse d'un beau voyage, un bonus au propos et pas des moindres.
Nous y croiserons de surcroit des personnages crédibles d'êtres humains, j'entends par là parfaitement imparfaits.
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Je me cale avec ce petit livre noir, et je sais que je vais passer un bon moment dès les premières pages. Précision des mots, répétitions censées, dialogues marquants, sans guillemets et d'autant plus percutants car ils ont la dynamique de vrais échanges, par exemple cette dispute avec Manon la compagne du personnage principal Albert (p 77 à 82), alors qu'il rentre tard après sa rencontre avec "le Duc" qui souhaite qu'il apprenne à lire à sa fille. Une suite d'échanges, de sentiments et de réactions vivement et brillamment rendus. Autre moment de grâce peu avant au chapitre précédent où il évoque son cauchemardesque trajet à pied par une nuit sombre pour regagner son domicile à Armanville après sa journée de travail. J'ai trouvé extraordinaire la capacité d'évocation de l'auteur, sans doute aussi car il ne s'éparpille pas dans le livre, peu de décors, peu de personnages, il parvient à nous faire nous concentrer sur des moments très précis qui illuminent le récit.
le livre pourrait facilement être transcrit sur une scène de théâtre, mise en scène épurée, peu de décors, essentiellement la plantation, la route pour y aller, l'appartement d'Albert et Manon. La pièce où il apprend -il essaye- d'apprendre à Apolline la lecture, celle où elle "joue" au piano, l'unique "boutique" (bouiboui insalubre) d'Armanville.
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Quelque part, il va falloir se satisfaire de bon, mais de peu. Bien peu, à l'image des "petits" ouvriers qui s'activent à polliniser à la main des champs de cerisiers devenus stériles, ou font mine puisque "la conjuration" gronde. Albert Villeneuve et ses collègues d'infortune pollinisent chaque arbre du Duc avec une perche, pour un salaire de quelques pommes de terre ou betteraves, à la fin de la journée. Puis ils mettront 2h à pieds, sur des routes délaissées faute de pétrole, à rentrer dans le trou qui leur sert de logis. Ils attendront qu'il soit 21h pour avoir l'électricité leur permettant de cuire leur repas (jusqu'à 21h30).
Albert a connu le monde d'avant, ses rares incursions dans ses souvenirs d'enfance nous en font saisir toute l'amère nostalgie. Comment, en quelques décennies, a-t-on pu passer de "notre" monde à la régression d'un mode de vie qu'on croirait sorti du moyen-âge (avec seigneurs et paysans)? J'aurais aimé que le livre fasse le triple (petit bouquin de 182p), persuadée que l'auteur a la capacité de nous emmener très loin...Mais le narrateur, notre unique et exigu point de vue sur ce monde, a peut-être oublié le pourquoi, écrasé par cette impitoyable perte de son monde d'avant. D'ailleurs, "horrifié" par la façon dont Apolline joue frénétiquement du piano, il doit faire un effort pour se souvenir d'un mot qui semble appartenir à un passé complètement dissout, le mot est en italique dans le texte "désaccordé".
Morne tranche de vie, résignation puis révolte sourde, d'abord, le tout teinté de la fraîcheur appréciable apportée par le personnage d'Apolline...Il n'y a plus d'abeilles, plus de Soleil, les hommes ne bandent plus...Peut-on entrevoir un espoir?
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Ce court mais intense roman est un coup de coeur. Intense non pas par l'action (malgré qu'il y en ai quand même un peu), mais intense en sentiments, en questionnements, sur l'avenir, sur un présent où c'est l'homme qui prend la place des abeilles disparues, où l'on ne mange plus que des pommes de terre, où l'argent n'a plus court et où ces mêmes pommes de terre servent de salaire journalier et d'objets de troc. Intense également en questionnement sur l'amour, sur les relations de couple. Intense en questionnement sur le handicap mental, sur la valeur des anciennes choses telles que la lecture et la musique et le rapport avec une jeune femme handicapée dont le père n'accepte pas la condition.

L'écriture est simple et poétique à la fois, lente mais captivante. Les personnages sont très touchants, surtout le personnage principal et la jeune femme handicapée que j'ai trouvés criants de sincérité et d'humanité. Les décors font peur, des champs à perte de vue avec des travailleurs éreintés, au loin des cités dortoirs complètement laissées aux soins des habitants pauvres, quasiment des ghettos urbains. Un ciel toujours gris, de riches exploitants complètement dans leur monde vivant dans des manoirs dont personne ne s'approche jamais, un contraste saisissant dans lequel les personnages vont devoir survivre et essayer de trouver le bonheur.

A lire absolument.
Lien : https://unbouquinsinonrien.b..
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Nicolas Cartelet est un écrivain des fragilités intérieures. Avec talent, il nous fait voyager à travers les pensées de son antiheros, Albert Villeneuve. Une traversée du désert sans abeille, une toile de fond post-apo, en réalité presque abstraite, tel un paysage intérieur, parfois poétique, souvent désespéré. Villeneuve accumule les maladresse, les erreurs d'interprétation, les haines mal placées et pourtant, il nous ressemble: il est le portrait d'une homme ordinaire dans un monde de misères. Avec une petite lueur bien placée, au bout du pénible chemin.
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Parfois, quand je lis les premières pages d'un roman, je sais immédiatement qu'il va me hanter longtemps. C'est le cas de ces Dernières fleurs avant la fin du monde. Nicolas Cartelet m'a bluffée avec ce court récit nerveux et intelligent. Un coup de coeur pour cet auteur dont je découvre la plume pour la première fois.

Tout m'a plu dans Dernières fleurs avant la fin du monde. le futur tel qu'il nous est décrit, à savoir un monde gris et mort, tellement proche de ce qui nous attend. Les gens ne vivent plus, ils survivent. Il n'y a plus d'art, de beauté, de rêve, juste du travail harassant pour quelques provisions qui empêchent de mourir de faim. Il n'y a plus de passé, sinon de vagues réminiscences et quelques objets en fin de vie ; il n'y a pas d'avenir non plus, pas de descendance ni de perspective d'amélioration. Les personnages, profondément humains, sont pleins de failles, de défauts et de lâchetés. Il y a parfois une pointe d'espoir, un début d'idée de révolte, une vague éclaircie dans la grisaille ambiante. L'histoire, racontée par Albert, est assez simple mais passionnante. le style de l'auteur est vif et percutant. Les phrases claquent, la ponctuation est réduite au minimum, il n'y a pas de dialogue direct mais des images fortes et une palette d'émotions bien retranscrite. On ressent parfaitement bien l'urgence, la peur, l'épuisement, le renoncement... mais également la légèreté qui arrive parfois à percer cette ambiance pesante. Une véritable réussite, un roman qui interpelle, qui fait réfléchir et qui ne peut décidemment pas laisser indifférent !

A noter que le personnage d'Albert Villeneuve apparaissait dans le précédent roman de Nicolas Cartelet, Petit Blanc. Je ne l'ai pas lu et cela ne m'a pas posé de problème pour comprendre Dernières fleurs avant la fin du monde, mais sachez qu'il va se retrouver en haut de ma pile à lire sans tarder.

Lien : https://andree-la-papivore.b..
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Un roman d'anticipation, brillant par son écriture, sombre par le sujet traité tant il parait réaliste ! Si vous n'avez pas idée de ce qui attend l'avenir de notre monde, lisez ce roman et vous en découvrirez une facette, mais peut-être cela sera déjà trop tard…

Dernières fleurs avant la fin du monde, dernier roman paru chez Mü éditions, dernière petite oeuvre de l'auteur, petit par son gabarit, son nombre de pages (174), si petit et pourtant si grand par son contenu (euh je crois l'avoir déjà dit pour Petit Blanc, mais c'est tellement ça…).

Grand parce que Nicolas Cartelet a un style unique, une écriture belle et poétique, loin d'être pesante et lassante, loin d'être désuète. L'auteur a le rare talent d'écrire avec aisance, de jolies phrases avec des mots choisis avec soin, c'est instinctif, cela semble couler de sa plume comme il pourrait respirer, et c'est certainement cette facilité et ce talent d'écriture qui font de Nicolas Cartelet un grand écrivain en devenir. A mon avis l'homme de s'en rend pas bien compte, le personnage est simple et discret en public, nettement plus loquace en privé (je ne l'ai pas vérifié mais les « on dit »…) ou même sur la toile, jeune et pourtant, quel style ! Rien que pour la forme, il ne faut pas hésiter à le lire et niveau contenu, c'est souvent court mais riche et intelligent à l'image de Petit Blanc.

Grand, parce que ce roman est certainement visionnaire, sans être une réelle surprise pour autant sur ce qui nous attend dans l'avenir. le thème de l'écologie et de la disparition des principaux pollinisateurs ; les abeilles, est ici abordé de manière réaliste. Il suffit d'observer un minimum la nature pour comprendre que cela ne tourne pas rond. Ici l'avenir est sombre, lugubre et triste pour certains hommes, une terrible atmosphère éteinte où les habitudes et les actes ne sont plus vivants, mais linéarisés, irréfléchies, tout un ensemble de moutons qui ne cherche qu'à survivre plus qu'à vivre, c'est d'une tristesse.

Le roman se divise en deux grandes parties.

Dans la première, l'auteur décrit la vie d'Albert Villeneuve, personnage malléable et récurrent qu'il affectionne et que l'on avait pu voir dans Petit Blanc. Albert Villeneuve travaille dans une exploitation maraîchère, chaque jour, il se rend à pied à son travail, chaque jour bras tendus et épaules douloureuses, il pollinise les fleurs de cerisiers et chaque fin de journée est récompensée d'un lot de pommes de terre, qu'il ramène le dos voûté, la fatigue, la résignation sur les épaules, il rejoint son studio miteux, cuit ses pommes de terre pendant les trente minutes d'électricité quotidienne accordée à la cité, quand la gazinière fonctionne, cela va de soi. Rejoint par sa femme, Manon, travaillant à l'usine, qui n'est plus qu'une ombre de la belle jeune femme épousée il y a quelques années. Les discussions sont rares et le sexe aussi. Dans cette société du futur pas si lointain, les hommes ne bandent plus et les femmes ne tombent plus enceinte, l'avenir pour le peuple est incertain. Ce que décrit l'auteur est effroyable à sa façon, ces hommes, ces femmes avaient une vie avant, une vie plus heureuses, et puis il s'est passé quelque chose, on ne sait pas vraiment, on devine une catastrophe écologique, loin d'être douce, mais plutôt violente, rapide et irréversible. Est-ce l'avenir qui nous attend ? Dépeint ainsi, aussi gris, terne, sans couleur, même les pétales des fleurs sont d'une teinte des plus faibles. Seul les plus riches et les plus chanceux semblent encore vivre aisément, toujours à l'image du monde qui nous entoure, les petits sont écrasés mais en colère et se révoltent, les grands toujours plus flamboyants. Triste, réaliste, cela laisse un goût amer et une terrible désillusion pour un monde qui pourrait être si beau.

« Nous les caressions jusqu'à ce qu'elles scintillent de reflets dorés, du rose décoloré de leurs pétales, que nous voyions peu à peu s'ouvrir, et vibrer sous le baiser des plumes, semblait alors jaillir une lumière nouvelle : nous rendions vie aux cerisiers. »

Dans la seconde, il y a l'introduction d'un personnage ; Apolline, solaire, innocente, passionnée et qui ne semble pas avoir la même conscience que les autres. Apolline est la jeune fille du riche exploitant qui embauche Albert sur ses terres, un homme qui souhaite que sa fille soit éduquée et apprennent à lire. Albert se retrouve ainsi nommé professeur face à une jeune fille déroutante, pas franchement très attentive, on va vite comprendre pourquoi, et qui ne voue qu'un intérêt pour ce qui se cache sous un drap poussiéreux. Ce personnage amène de toute évidence une aura solaire à toute cette purée de poids qui encombrait les pages et l'histoire jusqu'alors. Il y a là toute une introduction artistique, la musique, l'amour des mots, ce côté un peu fou, spontané, désordonné, qui vient réveiller la conscience d'Albert mais aussi son coeur, ces rires qui se déploient entre ces deux personnages viennent éblouir cette vie qui semble dériver toujours plus. Une lueur d'espoir peut-être dans ce monde si sombre et si fade.

« Et puis j'avais d'autres choses à penser, il y avait la question d'Apolline et de son apprentissage des mots, des choses plus importantes, j'en étais convaincu, qui rendaient insensibles celles très terre-à-terre de mes hommes, les petites indignations des petits. »

Dis comme cela, ce roman peut paraître un peu fou, on peut avoir cette impression qu'il ne se passe finalement pas grand chose, c'est davantage un constat, une description d'un avenir possible, pourtant ne doutez surtout pas que le contenu est à la foi fin et intelligent. C'est justement cette simplicité dans l'histoire renforcée par une écriture vive, directe et magnifique qui est intéressante ici. L'auteur fait prendre conscience de beaucoup de choses mais surtout d'un avenir où la mort des abeilles pourraient entraîner un effet « boule de neige », rendre la nature dépendante de nous pour se reproduire (et nous nourrir), pourrait appauvrir nos vies qui deviendraient stériles et sans joie, à peine révoltés, nous deviendront des êtres humains déshumanisés et désexualisés, un avenir où l'on s'éteindrait finalement peu à peu.

En bref, Nicolas à quand le prochain ?
Lien : https://songesdunewalkyrie.w..
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Dans ce monde uniformément gris, les abeilles ont disparu. Sous peine de voir l'humanité mourir, les hommes se chargent de la pollinisation, et répandent à la main le pollen sur les fleurs des arbres fruitiers. Albert Villeneuve est journalier dans une section dont il est chef. La révolte gronde parmi les ouvriers qui travaillent dans des conditions très dures, pour un maigre salaire payé en pommes de terre. Il est convoqué chez le Duc, propriétaire plénipotentiaire de la plantation craint par tous. Qu'a-t-il fait de mal ? Rien, on le charge simplement d'apprendre à lire à Apolline, la fille du Duc…

L'histoire a lieu dans une époque indéterminée, après une probable catastrophe. de ce qui a fait disparaître le soleil et donc les abeilles, on n'en saura rien. Au-delà de la peinture sociale du travail acharné, de la rentabilité à tout prix et des inégalités, le roman s'attache au personnage d'Albert. A l'instar de ses collègues, il souffre de ce quotidien répétitif, et surtout de ce qu'il ne bande plus. Son couple se délite, sa femme vieillit et se tue à la tâche dans une usine de médicaments. A l'heure où la révolution contre le capitalisme gronde, Albert s'éloigne et se réjouit des menus avantages que peut lui procurer son nouveau statut de professeur. Cependant, au contact d'une Apolline solaire qui ne pourra jamais apprendre à lire, Albert s'ouvre à un autre monde, fait de musique, de poésie et de joie, tandis que la lutte continue entre patrons et ouvriers. Un récit tour à tour sombre et lumineux, écrit dans une belle langue qui n'a pas peur des mots crus tout en laissant la part belle à la poésie. Moins un récit d'anticipation, finalement, qu'un beau récit intimiste.

Lien : http://usine-a-paroles.fr/le..
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Un court roman surprenant. Je voulais découvrir cet auteur depuis quelques temps, et je suis ravie de l'avoir fait avec ce texte. Ce monde digne d'un début de fin du monde est présenté comme un futur probable, attendu. L'auteur ne rentre pas dans les détails ; comment en est-on arrivé là ? Y a t il vraiment besoin de le dire ?!
L'écriture est belle, le ton désespéré. Et puis l'histoire dans l'histoire, cette rencontre imprévu avec la jeune demoiselle, innocente et belle... Et pas vraiment parmi nous, ajoute à la beauté de cette histoire, et à l'absurdité de ce monde - de notre monde ?
En conclusion : un texte poétique et beau, une très belle découverte, un auteur à suivre.
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C'est un petit bijou de moins de 200 pages. Ce livre m'a beaucoup fait penser à un mélange de 1984, par son côté très gris et sans espoir, et au film "Les fils de l'homme" par son absence de naissance et d'une généralisation de l'autisme dans le monde.
Le texte est dense. Chaque pensées du personnage principal sont issues d'une réflexion profonde sur la psychologie humaine.
Ce livre n'est malheureusement pas qu'un livre d'anticipation puisque de nombreux travailleurs immigrés sont exploités dans les filières agricoles.
On ne peut s'empêcher aussi de se rappeler que dans certaines régions de Chine, les producteurs sont obligés de polliniser eux-mêmes les arbres fruitiers...


Lien : https://c3vmaisoncitoyenne.c..
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