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Jacqueline Huet (Traducteur)
EAN : 9782020331586
Seuil (02/11/1997)
3.88/5   78 notes
Résumé :
Dix contes célèbres pour enfants sont subvertis par la plume féminine d'Angela Carter. L'audace érotique du "Cabinet Sanglant" (Barbe-Bleue) ; le flirt avec la violence animale de "M. Lyon fait sa Cour", l'impudence du "Chat Botté", un peu escroc, un peu gigolo : tout cela est splendide et de sensations et d'esprit. Et, fatalement, plein de loups. La nouvelle qui donne son titre au recueil a inspiré à Angela Carter le scénario du film fantastique de Neil Jordan.
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La compagnie des loups c'est avant tout une écriture flamboyante et ciselée. C'est un ressenti qui va au-delà de ce que je m'imaginais. Il s'agit de dix contes bien connus et revisités d'une manière très surprenante par une autrice qui dispose d'une capacité à lier l'imaginaire collectif avec les drames historiques (notamment dans La dame de la maison d'amour), qui n'hésite pas à invoquer les pouvoirs de la sexualité et les forces de la nature pour transcender le texte. J'ai beaucoup apprécié l'humour du Chat Botté. Mais plus que tout c'est réellement la plume qui fait toute la beauté de ces textes, un conte avec cette écriture prend une ampleur inouïe et tous les textes vibrent. Je remercie Julian_Morrow pour cette découverte fabuleuse.
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TW : viol, nécrophilie, cannibalisme

Quand on parle réécritures de contes, il y a des auteur.ices maîtres du genre à ne pas rater. Angela Carter en fait partie. D'autant plus que les siennes sont gothiques, un genre que j'apprécie beaucoup. Était-ce le mix parfait ? (Puisqu'on peut y rajouter une pincée de féminisme, ce qui ne gâche rien). J'ai découvert avec plaisir ce classique et ma lecture a frôlé le coup de coeur.

La 4e de couverture évoque une transformation de la part de l'autrice qui en donne une version pervertie. Je ne suis pas forcément d'accord. Si vous avez lus les premières versions des contes, alors sans doute connaissez-vous les part sombres qu'ils recèlent, gommés par de nombreuses adaptations. Carter met le doigt dessus et l'enfonce un peu plus dans la plaie. Il en nait une oeuvre plus sanglante (elle s'intitule d'ailleurs The Bloody Chamber en VO), nébuleuse, dérangeante au point qu'elle en devient fascinante. Je reviendrai ici sur les nouvelles qui m'ont le plus marquée.

Le recueil fut publié en France sous le titre La Compagnie des Loups, un titre qui vous est peut-être familier si vous connaissez le film de Neil Jordan sorti en 1985, adaptation de la nouvelle éponyme. Celle-ci, comme le Loup-Garou, est une réécriture du Petit Chaperon Rouge. Carter reprend la symbolique souvent évoquée du prédateur, mai aussi celle de l'éveil à la sexualité où le personnage féminin, confronté aux loups cachés derrière de nombreux visages, l'embrassera pleinement. Il y a un côté dérangeant dans ce côté bestial qui sommeille en nous, cette part animale que l'autrice relie à la féminité. Avec Louve-Alice, elle s'intéresse aux histoires d'enfants sauvages qu'elle couple d'un fantastique mélancolique, là où les filles-loups à la vision déformée du monde se mettent à côtoyer des fantômes.

M. Lyon fait sa cour et La jeune épouse du tigre sont deux revisites de la Belle et la Bête. Avec le Chat Botté, elles forment une trilogie féline. Des trois, la réécriture de Perrault/Straparola m'a le plus interpellée tant elle détonne des autres nouvelles. Ici le ton est plus humoristique, grivois, aux allures de romans picaresque où un filou matou nous conte avec malice ses manigances pour aider son maître à séduire une jeune épouse malheureuse.

Deux nouvelles se distinguent par leur côté particulièrement étrange et père de malaise. le Roi des Aulnes reprend le mythe du même nom, immortalisé par le poème du Goethe. Dans une narration hypnotique donnant vie à une forêt à la fois terrifiante et magnifique, une jeune fille tombe sous l'emprise du Roi des Aulnes avant de s'émanciper et s'en libérer. La nature et les oiseux deviennent alors métaphores de ce besoin de liberté, mais aussi de l'amour au goût de fiel, de la manipulation d'un être sur des jeunes filles prisonnières. L'Enfant de la neige est le texte le plus court, mais aussi le plus brutal. On y reconnait la figure de Blanche-Neige et la belle-mère jalouse, mais Carter met surtout en avant le pouvoir des hommes et leur perversion à travers une scène choquante dont la brièveté renforce l'horreur. La figure de la jeune fille, réduite à ses attributs physique (blanche, noir et rouge) rappelle comment de nombreux hommes voient les femmes.

L'ordre des nouvelles diffère d'une version à l'autre. Pour une fois, je préfère la version française car la première nouvelle et la dernière m'ont le plus marquée, ce que j'attends souvent d'un recueil. En plus, elles se répondent dans leurs thèmes, comme si elles avaient été écrites en miroir. D'un côté, une jeune fille à la merci d'un homme monstrueux. de l'autre, une jeune homme face à une femme dangereuse.

Le cabinet sanglant est une réécriture de Barbe-Bleue se déroulant en Bretagne, sans doute au début du XXe siècle. Narrée à la première personne, cette nouvelle suit une jeune épouse emménageant chez son mystérieux mari. C'est sans doute l'exemple le plus flagrant du gothique avec ce château isolé et cette héroïne esseulée, guettée par le danger. On retrouve aussi des références aux contes de fées dans les descriptions. Carter travaille l'intertextualité de son texte en évoquant des oeuvres picturales bien réelles ou des figures littéraires bien connues (Barbe-Bleue est lui-même nommé, mais aussi la vampire Carmilla). Personnellement, j'ai beaucoup pensé à Rebecca de Daphné du Maurier, écrit 40 ans plus tôt. On y retrouve la jeune épouse jamais nommée, la demeure en bord de mer, le mépris des domestiques, le mari plus âgé cachant un lourd secret… D'ailleurs, cette différence d'âge est là pour créer le malaise. Il y a un certain inconfort dans la façon dont est décrite la sexualité de l'époux face à l'innocence de la (très) jeune fille. La prouesse de Carter est de me faire frissonner alors que je connaissais déjà l'histoire. J'avais beau savoir comment tout cela allait se terminer, je retenais mon souffle. Je me sentais mal. Mais jamais l'autrice ne va juger son héroïne pour sa curiosité, au contraire. le récit remet la femme au centre de l'intrigue, avec un joli travail sur la figure maternelle.

Enfin, le recueil se conclut sur La dame de la maison d'amour, une réécriture assez libre de la Belle au Bois Dormant. Ici, l'autrice marie la figure de la belle endormie à celle du vampire d'Europe de l'Est. Oui, car si la princesse semble dormir depuis des années, elle n'est en réalité assoupie que pendant le jour. Comme les princes se succèdent pour essayer de la réveiller mais finissent prisonnier des ronces mortelles, c'est un autre piège qui attend les malheureux dans la nouvelle de Carter. Vêtue à jamais d'une robe de mariée, la comtesse verra son destin basculer le jour où elle croisera la route d'un jeune soldat anglais à la pureté virginale. L'autrice retravaille le concept de mortalité, réinterprète l'éveil de la princesse par le prince et la blessure au doigt, interroge sur la monstruosité avec cette question qu'elle répète comme un refrain : « L'oiseau peut-il chanter seulement la chanson qu'il connaît, ou peut-il apprendre une chanson nouvelle ? ». La mélancolie règne jusque dans la chute, sublimée par une plume délicate et poétique qui m'a évoqué l'Apostasie de Vincent Tassy. C'est pourquoi je vous laisse avec cette citation qui subsiste encore en moi :

"Je vais me dissiper dans la lumière du matin ; je n'étais qu'une invention des ténèbres.
Et je te laisse en souvenir la rose sombre, la rose armée de crocs que j'ai cueillie entre mes cuisses comme une fleur posée sur une tombe."

Lien : https://moonlightsymphonyblo..
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Dans ce recueil, Angela Carter fait glisser les contes traditionnels vers les motifs du gothique et de la poésie décadente. Les monstres des contes germent au milieu de fleurs du mal : des arums sont disposés autour de miroirs reflétant le lit conjugal de Barbe-Bleu, et des bosquets de roses de sang emprisonnent le château d'une belle au bois dormant vampirique. Contrairement à un herbier où les pages compriment les fleurs, ce sont ici les fleurs qui ouvrent et referment cette série de nouvelles, les enserrant de leur senteur capiteuse, dans une chambre chargée de symboles menaçants (« The Bloody Chamber » est le titre original de ce recueil). Les moralités d'antan sont oblitérées par ce parfum, qui excite les sens et le désir amoureux, alors même que la mort rôde.

La confrontation avec le roi des Aulnes en est la parfait illustration : le danger se dissout dans une forêt hyper-sensorielle, des descriptions vaporeuses installant une langueur teintée d'abandon qui transforme le conte en image figée, tableau raffiné de la perdition et de la perversion amoureuse.

Les héros d'Angela Carter explorent se qui se cache derrière les contes, leurs désirs sous-jacents, leurs pulsions de vie, qui sont aussi pulsions de mort. Parfois jusqu'à embrasser une nouvelle nature. Plutôt que de constituer un pantin au service d'une moralité, chaque personnage s'accomplit à travers ces contes détournés. Pour les héroïnes, qui sont ici majoritaires, cela constitue une façon d'affirmer leur féminité dans des jeux amoureux macabres.

Sous cette tension érotique, la chambre symboliste finit par éclater. Elle révèle ses artifices et laisse entrer la vie.
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Angela Carter réécrit, de sa plume flamboyante et de très grand style, dix contes célèbres, à prime abord destinés aux enfants, et les transforme en autant de nouvelles fantastiques.
Ces textes courts sont splendides, très féminins dans la tournure, pleins de sensations et d'esprit.
L'audace érotique du ''cabinet sanglant'', l'impudence du chat botté, le flirt avec la violence dans ''Mr Lyon fait sa cour'' nous font envisager ces contes d'un oeil nouveau et la beauté de l'écriture ajoute à la saveur des textes.
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Après une longue pause de deux semaines où je n'ai lu pratiquement aucune pages sauf de ce recueil de nouvelle, je reprends le rythme habituelle de mes lectures petit à petit. Je ne saurais expliqué pourquoi ni comment mais le fait est que la période d'Octobre est assez souvent similaire à suicide créatif de ma part. Ajoutons à cela ce côté morbide de mes lectures passées qui, je dois l'avouer, m'ont causé un choc par leur contenu ; La Compagnie des loups est dans ce même registres où les phrases sonnent avec plus de célérité et de passion encore que L'Exorciste. C'est la quatrième de couverture séductrice qui tel un cercueil de beauté m'a ravie dans des contrées hors du temps, de l'espace ; un pays imaginaire où plusieurs histoire découlent d'une ambiance parcheminée à l'érotisme. Cependant oubliez tout de suite les Fifty Shade Of Grey ; celui-ci réside dans l'anonymat par l'implacabilité de ses tournures de phrases ô combien magnifiques. Un vrai régal pour la littéraire que je suis !

Je songe à la difficulté d'écrire un avis constructif sur un recueil de nouvelles. Comment peut-on être juste en quelques paragraphes ? Comment vous faire comprendre la litanie esthétique dont recèle ce joyaux que je ne cesses de relire ou, tout du moins, certains passages. J'ai gribouillé presque toutes les pages car la magie des mots est on ne peut plus véridique et tient dans la subtilité, la poésie, l'effervescence, la profondeur des thèmes abordés. Grand amatrice de contes de fée, je suis tombée sur le trésor de tous fan qui se respectent, des nouvelles ni trop longues ni trop petites censées nous combler de leur bienfaits. Attention néanmoins, La compagnie des loups n'est pas à mettre entre toutes les mains surtout pas à celles d'enfants innocents car ce bijoux sécrète des réflexions très sombres, très difficiles à comprendre. Il a été d'ailleurs vaste pour moi et, je sais que, si je le relis, je découvrirais autre chose, d'autres sens ; définition même d'un chef d'oeuvre. Dans la préface est dit qu'Angela Carter avait étudié Sade durant ses études, en a fait une thèse publiée ; pourquoi s'occuper d'un écrivain véreux, d'un dangereux homme frisant le malsain dans tous ses textes ? Amoureuse de l'ingéniosité, de la créativité de certaines personnes je me suis pendue de joie par cette pensées égarée, philosophique de l'auteur qui, non sans tact nous explique que les femmes peuvent être libérer, deviennent le bourreau. Je ne suis pas aussi talentueuse qu'Angela et je vois bien que je rends ses paroles un peu incompréhensives. Il faut lire pour réaliser que ces nouvelles sont des perles.

Reprenant les contes célèbres de notre insouciance, c'est une fileuse de fils d'or qui relie l'esthétique au récit ; de Barbe Bleue elle en fait un monstre, de la Belle et la Bête elle en fait des êtres brisés où se complet un bout de la pensée de Sartre, Alice, Blanche-Neige, le chat botté (cette nouvelle est la moins aimée), tous les personnages naufragés qui nous ont permis de grandir, de nous construire sont mis en scène par une atmosphère, une ambiance assez noir. Pas d'humour, pas de légèreté, nous entrons dans un temps imaginaire qui de limite n'en a pas. Ce sont des mots éparpillés qui prennent leur force dans ce que nous sommes, chacun interprétera de façon différentes quand bien même il y aura quelques minces filets de bonheur éparpillés. Ce livre est subjuguant non pas dans le sens où je n'ai pu le lâcher jusqu'au l'entièrement du jour mais par les passages d'une magnificence époustouflante où mon coeur battait, se rompait pour apprécier le chant des événements. Je crois que me répète mais je suis tombée amoureuse comme une belle écervelée de la plume aiguisée de l'écrivain. J'ai mangé, j'ai dégusté, j'ai aussi réfléchi sur la définition de certains mots, cela m'a motivé pour écrire, à attiser peut-être ma jalousie de m'avouer que je ne dépasserais sûrement pas ce talent un jour. Il est marrant de constater que je n'ai pas grand chose à dire, à analyser, la grande chose qui m'aura marqué est le style palpable de l'écrivain, transcendant les maux et transportant dans les limbes de la narration.

La magie de la littérature prend encore une fois son sens avec La Compagnie des loups qui, loin de se détériorer restera, je pense, un livre phare pour tous amateurs de contes transposés dans notre présent. D'ailleurs Angela, loin de reprendre au mot dit l'univers globale de ces récits d'apprentissage en métamorphose le sens : des jeunes filles enlevées mises aux mains des bourreaux qui prennent pouvoir à leur tour. C'est un essaie sur le féminisme, une satire sur l'illusion des hommes que de condamner la femme à rien d'autre qu'un corps. Ce recueil n'est pas dans le même genre que les livres que l'on vend aujourd'hui, contemporains, racontant une histoire, La compagnie des loups est bien plus, nous fait réfléchir sur des thèmes cachés, sur des secrets voilés, on en ressort grandi plus attisé. J'apprécie énormément la trilogie de Sarah Pinborough : Poison, Charme et Beauté ce dernier je dois bientôt lire et, à elles deux, développent une modernité à leur manière. Nous revenons à l'essentiel des contes de fée : celui de nous éduquer, de nous faire prendre conscience de certaines choses, par la richesse textuel chez l'une, par l'humour et l'intrigue chez l'autre. Choisissez, vous en ressortirez comblé.
Lien : http://musae.rpdiv.com/?p=264
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Citations et extraits (36) Voir plus Ajouter une citation
Sa peau me recouvre entièrement ; nous sommes comme les deux moitiés d'une graine enfermée dans le même tégument. J'aimerais devenir énormément petite de sorte que tu pourrais m'avaler, comme ces reines de contes de fées qui conçoivent lorsqu'elles avalent un grain de blé ou une graine de sésame. Alors je pourrais me loger à l'intérieur de ton corps et tu me porterais.
La chandelle vacille et s'éteint. Son toucher me console et me dévaste à la fois ; je sens mon cœur battre, puis se dessécher, nue comme une pierre sur le matelas rugissant tandis que la ravissante nuit lunaire se glisse par la fenêtre pour pommeler les flancs de cet innocent qui fabrique des cages pour y garder les doux oiseaux. Mange-moi, bois-moi ; assoiffée, rongée d'amertume, infestée de lutins, je ne cesse de retourner à lui, encore et toujours, pour que ses doigts me dépouillent de cette peau en lambeaux et me vêtent de son habit d'eau, ce vêtement qui me détrempe, son odeur de vase, sa capacité de noyade.
Désormais, les corbeaux laissent tomber l'hiver de leurs ailes et évoquent de leur cri la saison la plus rude.
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Et mes yeux découvrirent le lit nuptial de ses ancêtres, imposant, aussi grand à lui seul, ou presque, que ma chambrette à la maison, avec les gargouilles sculptées sur ses surfaces d'ébène, sa laque vermillon, ses dorures ; et ses rideaux de gaze blanche gonflés par la brise marine. Notre lit. Et entouré d'une telle quantité de miroirs ! Des miroirs sur tous les murs, dans des cadres majestueux aux dorures contournées […] La jeune épousée […] était devenue cette multitude de filles que j'apercevais dans les miroirs, identiques dans leur tailleur bleu marine très chic. […]
- Voyez, dit-il, désignant d'un grand geste ces élégantes jeunes femmes. Je me suis offert un harem entier !
(p. 18)
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Des yeux verts comme des pommes. Verts comme des fruits de mer morts.
Une bise se lève; elle produit un son singulier, bas, précipité, sauvage.
Quels grands yeux tu as. Yeux d'une incomparable luminosité, de la phosphorescence mystérieuse des yeux de lycanthrope. La glace verte de tes yeux fixe mon visage songeur. C'est une substance qui conserve, comme un ambre liquide et vert; elle me prend au piège. Je redoute d'y demeurer prisonnière à jamais, comme les pauvres petites fourmis et les mouches qui collèrent leurs pattes dans la résine avant que la mer ne recouvre la Baltique. Il me fait pénétrer dans ses yeux en tournoyant sur une gigue de chants d'oiseaux. Il y a un trou noir au milieu de tes deux yeux, c'est leur centre immobile; la tête me tourne quand je regarde là, comme si je risquais d'y tomber.
Ton œil vert est une chambre de réduction.
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Son cadeau de mariage refermé autour de ma gorge. Un tour de cou de rubis de cinq centimètres de large, semblable à quelque gorge tranchée extraordinairement précieuse.
Après la Terreur, dans les premiers jours du Directoire, les aristos qui avaient échappé à la guillotine adoptèrent la coutume ironique de se nouer un ruban rouge autour du cou à l’endroit exact où le couperet aurait dû s’abattre, un ruban rouge comme le souvenir d’une plaie. Et sa grand-mère, séduite par cette idée, s’était fait faire son ruban à elle en rubis ; quel luxe dans ce geste de défi ! Cette soirée à l’Opéra me revient encore aujourd’hui… la robe blanche, ; la frêle enfant qui la portait ; et l’éclat des joyaux écarlates autour de sa gorge, brillant comme du sang artériel.
Je le vis qui m’observait dans les miroirs dorés de l’œil appréciateur du connaisseur examinant un pur-sang, voire de la ménagère au marché, les pièces de viande à l’étal. Je ne lui avais jamais vu, ou du moins n’y avais pas pris garde, ce regard auparavant, dans sa pure avarice charnelle ; et qu’amplifiait encore étrangement le monocle logé dans son orbite gauche. Quand je vis qu’il me regardait avec concupiscence, je baissai les yeux mais, en détournant de lui mon regard, j’aperçus mon propre reflet dans la glace. Et je me vis, soudain, telle qu’il me voyait, mon pâle visage, cette manière qu’avaient les muscles de mon cou de saillir comme un fin treillis. Je vis combien ce cruel collier me seyait. Et, pour la première fois de mon existence innocente et confinée, je perçus en moi-même, des possibilités de dépravation qui me coupèrent le souffle.
Le lendemain, nous étions mariés. (« Le cabinet sanglant »)
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Il est une bête et une seule qui hurle dans les bois de la nuit.
Le loup est le carnivore incarné et il est aussi rusé qu'il est féroce ; une fois qu'il a tâté de la chair humaine, rien ne peut la remplacer.
La nuit, les yeux des loups brillent comme des flammes de bougie, jaunâtres,rougeâtres, mais c'est parce que la pupille de leurs yeux s'engraisse d'obscurité et capte la lumière de votre lanterne pour vous la renvoyer - rouge comme danger ; si les yeux d'un loup reflètent le seul clair de lune, ils brillent alors d'un vert froid et surnaturel, une couleur perçante, minérale.
Quand le voyageur surpris par la nuit aperçoit ces terribles ducats lumineux cousus soudain sur les broussailles noires, il sait alors qu'il lui faut courir, si l'effroi ne le paralyse pas sur place...
(extrait de la nouvelle "la compagnie des loups" qui a donné son nom au recueil)
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