Il détaille Irina des pieds à la tête. Comme si ses yeux se dessillaient, il a l’impression de la voir pour la première fois. Et il doit bien admettre qu’elle est ravissante. A force de vivre à ses côtés, il n’a pas vu grandir l’enfant. Et soudain la femme le surprend. Elle n’a pas la beauté fardée, rehaussée par des artifices, de ces courtisanes expertes en l’art de plaire. Très blonde, Irina a des cheveux d’or pâle, de la couleur d’un soleil printanier à son lever. Elle a un teint de porcelaine, une peau translucide comme celle de leur mère. Ses yeux immenses contrastent avec la minceur de son visage menu dont les pommettes saillantes et le menton fin s’inscriraient dans un triangle. Leur bleu céruléen tire sur un vert aquatique où ils puisent un charme singulier.
Dans la hiérarchie sociale du demi-monde, elles occupent le haut de l’échelle. Comparées à elles, les courtisanes et autres cocottes ne sont que de vulgaires femmes entretenues. Ardemment courtisées et convoitées par les dandys et les jeunes aristocrates à la mode, elles ont leurs entrées dans les sphères de la haute société et même leurs loges à l’opéra. Il est de bon ton de les désigner par des sobriquets imagés : Blanche-Colombe, Oiseau-Moqueur, Vénus-Mendiante. Et s’il s’en trouve une dont les charmes et la séduction l’emportent sur toutes ses rivales, elle a droit à ce surnom qui est un titre de gloire : « l’incomparable ».
Irina continue d’étudier son reflet. Et son reflet rieur est celui d’un ange. La robe d’un ange, les ailes d’un ange : douce robe de lin blanc, ailes faites de plumes de cygne. Un costume, lui a raconté Mrs. Dawson, qui fut porté par la mère du comte lorsqu’elle était jeune fille, à l’occasion d’une représentation théâtrale donnée au manoir pour les fêtes de Noël.
Avant de l’autoriser à découvrir son image, la gouvernante s’est occupée d’arranger sa coiffure. Elle lui a ramené les cheveux en bandeaux derrière la nuque et les a surmontés d’une auréole dorée, fixée par des épingles.
Comme il a déjà pu le constater, il plaît aux femmes sans même chercher à les séduire. Nombre d’entre elles, dans le passé, lui ont jeté dans le dos de leurs maris des œillades langoureuses. Mais il ne répondait pas à leurs avances : il n’avait pas la mentalité d’un coureur de jupons et puis il se plaisait bien avec Milly. Celle-ci en outre, contrairement aux dames du monde, n’attendait pas de lui qu’il se ruine pour la couvrir de fleurs ou de parfums. Elle savait tout comme lui qu’il n’avait rien d’autre à lui offrir que sa seule présence.
La règle établie veut qu’une Chyprienne, tant qu’elle est sous la « protection » d’un homme fortuné, n’ait pas d’autre amant que lui. Parce qu’elle avait un faible pour Harry et lui avait depuis longtemps accordé ses faveurs, Milly avait accepté d’y déroger. Mais elle savait aussi qu’Harry ne pourrait jamais lui apporter la vie luxueuse que lui procurait le baron.