Ecrivain brésilien, Bernardo Carvalho a écrit un roman russe. Viscéralement et organiquement russe. 'Ta mère, livre choral où se croisent, au gré des caprices d'un destin maléfique, les existences de personnages brisés, à la fois victimes et bourreaux, au coeur d'une Saint-Pétersbourg souterraine, dans un climat de haine et de violence exacerbées.
Saint-Pétersbourg, année 2003, à la veille du tricentenaire de la ville. Mais aussi, Grozny, Cayenne et Vladivostok. 'Ta mère est un chassé croisé de vies, de tragédies intimes marquées par l'horreur de la guerre en Tchétchénie. Portraits de mères. Bouleversantes de courage et de lâcheté. Dont le seul but est de protéger leurs fils. Où sont les pères ? Morts, disparus, absents ou apathiques. Comme rayés de la carte. Les fils de la nation russe, eux, ne savent plus qui ils sont, d'où ils viennent. Ils ne peuvent qu'aller nulle part, ils se croisent sans se reconnaître à Saint-Pétersbourg. le soldat égaré, le skinhead raciste, le garçon du Caucase déraciné. Tous en proie au mal de mère. Et de vivre.
A travers ces histoires qui se chevauchent, Carvalho brosse le tableau d'une Russie en déshérence, dans un récit hallucinant où un peu de lumière, d'humanité donc, essaie de se frayer un passage au sein de ce théâtre d'ombres aux teintes spectrales. La virtuosité de l'écrivain n'est pas gratuite. Elle donne toute sa substance à un livre magnifique et terrible. Comme un héritage de la grande littérature russe, celle de Tolstoïevski (clin d'oeil à un passage du roman).
Il est difficile de résumer ce livre… Non qu'il soit impossible d'en raconter l'histoire, mais il est tellement fait d'amour, de haine et de tristesse, de sentiments indescriptibles, que l'on ne se sent pas capable de les retranscrire sans les trahir.
L'histoire se passe en Russie, sur fond de guerres, celle qui se passe en Tchétchénie, celles qui se trament au sein des familles, celles que mènent les femmes pour sauver leurs fils soldats, avec l'aide du Comité des Mères de Soldats. Et pourtant, c'est bien une histoire d'amour que Carvalho nous relate. L'amour maternel, le premier, le plus important, le plus destructeur quand il s'éteint ou qu'il peine à naître, ou qu'il apparaît de manière détournée. Les liens du sang semblent être pour l'auteur l'essence même de tout cet amour inexplicable, celui qui pousse à tout, même à aller à l'encontre de ce qu'il faudrait faire, de ce que nous dicte la société.
Carvalho nous parle aussi d'un autre amour, pur et inattendu, celui qui peut naître dans l'adversité , celui qui peut être interdit. C‘est l'amour de deux jeunes gens qui est au coeur du roman, cet amour caché et brûlant dont la flamme s'allume au milieu des décombres d'une ville en pleine reconstruction, quel beau symbole !
Avec beaucoup de sensibilité mais sans mélo, Bernardo Carvalho signe un roman puissant, très sombre.
Tragédie grecque, tragédie russe, tragédie tchétchène, tragédies tout simplement. судьба и жизнь, comme a dit V. Grossman. Pour les non russophone, le titre ne doit rien dire. Il s'agit simplement de la forme raccourcie et très utilisée de “Nique ta m…”
Des destins de garçons perdus : par la guerre en Tchétchénie, le rejet de leur famille ou le ralliement à une bande de skinheads. Livrés à eux-mêmes ou en proie aux représailles de l'armée. Pour eux, aucune échappatoire, qu'on soit à Grozny ou à Saint-Pétersbourg. Et tout l'amour d'une mère n'y suffit pas.
Si certaines mères dans ce roman sont prêtes à de nombreux sacrifices pour leur enfant, comme celles appartenant au comité des mères de soldats, d'autres sont loin d'être ces êtres irréprochables, pures dans leur amour. Elles ont abandonné leur fils, ou bien elles ne savent pas écouter les cris désabusés de leur progéniture pourtant encore présente à leurs côtés, l'une d'elles, Anna ment à sa famille par omission…
Le rapport entre une mère et son fils n'est donc pas exempt de complexité...
Un magnifique roman, hommage à toutes les mères.
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