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C'est la fin de l'année, ou le début de la nouvelle, je ne sais plus… Et si je sortais une bonne bouteille de whisky. Et si je sortais un bon bouquin américain. Et si je sortais justement un recueil de nouvelles de Raymond Carver. Carver, Ça fait longtemps que je n'ai pas lu Raymond. Je sens que c'est ce qu'il me faut pour accompagner mon Smoke Stack, je souffle sur la poussière qui s'envole des pages de mon bouquin, retombe au pied de mon verre au goût fumé. Voilà je suis en Amérique, une Amérique d'un autre temps certes, mais les « charmes » de la vie américaine à la sauce Carver opère toujours avec moi.

« Tais-toi, je t'en prie », supplie-je. le silence s'impose pour écouter les battements de coeurs qui cognent dans ces maisons pavillonnaires. Lorsque les volets se ferment. Ou lorsque la porte s'ouvre pour récupérer une bouteille de lait. Dis, c'est quoi cette bouteille de lait. Ecoute petit, oublie le lait, viens lire avec moi ces histoires, de couples, d'enfants ou de chiens. Il y en a pour tous les goûts, et même si tu n'aimes pas le fumé de mon whisky. Comme il y en a pour toutes les vies, du moment qu'elles soient ordinaires. Et si je mettais un 33 tours de Tom Waits ?

Avec Raymond, il ne se passe rien d'extraordinaire, simplement des tranches de vies, simples, basiques, communes. Il y est question, d'amour, un peu, de couples, souvent et de solitude, beaucoup. Rentrer avec un roman de Carver n'est jamais gage d'une grande éclat', d'un moment festif, et pourtant le plaisir y est toujours, je parle en mon nom propre. Les hommes boivent et se retrouvent seuls. Les femmes boivent aussi et se sentent seules. On discute couple et amertume autour d'un verre, d'une bière. On imagine rupture autour d'une bière, dans un bar, sans strip-teaseuse (pas d'éclat', on est toujours dans du Carver). On se sent triste dans ce bar, dans sa cuisine, la porte du frigo qui se referme sur les canettes de bières… Et souvent il y pleut sur les vitres comme sur les visages.

Il ne se passe rien... et pourtant je l'adore... cet écrivain qui peut écrire trois pages simplement sur un pauvre type qui pisse dans un urinoir...
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Raymond Carver (1938-1988), c'est le peintre de l'ordinaire, le peintre de la vérité crue, de la réalité toute nue, celle des pavillons achetés à crédit, celle des vérandas et des petits jardinets, celle des cafétérias et des restoroutes. C'est le nouvelliste de la vie sans tambour ni trompette, sans éclat ni retentissement ; de la vie tout court, de la vie toute simple, qui s'égrène avec son lot de difficultés et d'obstacles, de tracas et de peines, de malaises et de mal-être.
Il est mort d'un cancer il y a près de 25 ans mais ses nouvelles n'ont pas pris une ride tant les personnages qu'elles mettent en scène nous semblent proches, piégés par les problèmes très actuels de la vie quotidienne : les relations de couple, l'alcoolisme, le surendettement, le chômage, les passages à vide, les remises en question….
Des personnages qui nous sont familiers car ils n'ont rien d'exceptionnels. Ils sont serveurs, facteurs, ouvriers, représentants, chômeurs, maris et femmes, maîtresses ou amants…Ce sont tous des êtres ordinaires, issus de la middle-class américaine, insignifiants, modestes, des gens comme tout un chacun, ni meilleurs, ni pires comme le commun des mortels.

Dans les histoires que raconte Raymond Carver, il y a toujours des vélos d'enfants posés négligemment contre un mur, de l'alcool et des cendriers pleins, des gens qui picolent et qui fument en se demandant quand ils ont bien pu louper le coche et faire de leur vie ce temps qui s'effiloche.
Des histoires qui sentent le vécu. Qui se font l'écho de millions d'individus engluées comme des mouches dans la mélasse de leur existence étriquée et que l'auteur observe avec l'attention d'un naturaliste et la proximité de celui qui a vécu les mêmes doutes, les mêmes tourments, les mêmes petites tragédies qui vous broient un type en moins de deux.

Pas d'aigreur pourtant chez ces américains moyens, nul ressentiment, pas même la force de changer les choses, pour eux, c'est déjà trop tard. Pourtant, à un moment donné, au détour de scènes apparemment anodines et banales, ils vont toucher du doigt l'insignifiance de leur vie. C'est de ce malaise-là que l'auteur rend compte et saisit avec l'oeil net, précis et lucide du photographe, cet instant où un individu fait le constat accablant, déprimant, d'avoir raté sa vie.
En cela, l'absence de chute des histoires mises en scène, la façon abrupte de clore sans clore qui peut dans un premier temps décontenancer, n'est en définitive qu'une conséquence de cette faillite intime.
Les 22 nouvelles qui composent le recueil de « Tais-toi, je t'en prie » ne débouchent ainsi sur aucune morale, ne sont porteuses d'aucun enseignement. Elles servent juste à montrer la vie dans sa réalité brute, sans fioriture ni falbala, au détour d'une partie de pêche dans des eaux polluées, d'une infidélité avouée ou de l'attente de créanciers.

Lire Raymond Carver c'est un peu comme sillonner l'Amérique dans un vieux Pick-up Ford et se faire le témoin de la vie au rabais de toute cette frange de la population en proie aux misères d'un quotidien fait de soucis financiers et de traites à payer, de lassitude et de désillusions, de rêves avortés et de déconvenues. C'est comme regarder vivre les gens à travers les carreaux, en spectateur muet et invisible de leur déconfiture. Des portraits saisissants de réalisme, happés au plus près du réel par une plume brillante, juste et concise, d'une efficacité redoutable.
Résignation et déception ; soumission et continuité…Chez Carver, la seule route à suivre, c'est celle qui mène au bout de la vie, quand bien même elle n'a pas été telle qu'on l'avait souhaitée.
Rien de bien grave au demeurant ; juste deux doigts d'American Dream noyé dans du spiritueux.
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Voilà une lecture qui se mérite … Non à cause d'un vocabulaire recherché, que du contraire, ni d'un style trop travaillé ou d'une syntaxe alambiquée. On est ici dans l'extrême simplicité. L'épreuve réside dans la confrontation avec la banalité, l'insignifiance, la futilité de la vie humaine. Pages après pages, nous sommes ramenés à notre propre histoire, si petitement banale.

Ces nouvelles ont été écrites au siècle dernier, bien avant l'exacerbation du narcissisme et de l'égocentrisme encouragée par les réseaux sociaux, bien avant cette orgie de photos dégoulinantes de bonheur, de rencontres fabuleuses, mais éphémères, et d'aventures trépidantes de globe-trotters pantouflards. Pas sûre qu'il y ait d'ailleurs encore de la place pour ce genre de littérature dans le monde actuel.

Raymond Carver décrit de façon très lucide et sans effet romanesque (ce qui peut être très déstabilisant) la vie ordinaire de ses compatriotes, dans une sorte de photomaton géant et littéraire. Dans ses nouvelles, il jette une lumière crue sur nos petites vies, notre solitude, nos petits travers, et parfois notre part sombre. Les personnages sont jaloux, fainéants, médiocres, froussards, ennuyeux, lâches … C'est une galerie d'anti-héros.

Mais quand Raymond se met à nous parler d'amour, par exemple dans la très belle nouvelle qui donne le titre à ce livre, alors là c'est tout simplement magnifique. On peut regretter qu'il n'ait pas plus écrit sur ce thème, mais peut-être que ♫ l'amour est rare, et le bonheur aussi ♫ (comme chantait l'autre) … Je ne sais.

Le tout est révélé sans complaisance mais sans aucun jugement, un peu à la façon des reportages de l'émission belge Strip-Tease, pour ceux qui connaissent. C'est écrit sans fard, dans un souci extrême d'honnêteté, de justesse, mais c'est aussi empli d'empathie et d'humanité.

Si vous ne connaissez pas Raymond Carver, je pense que la lecture de « les feux », où l'auteur éclaire sa démarche, est indispensable et permet d'aborder son oeuvre mieux armé.
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Plus je lis Carver et plus je l'apprécie. Pourtant, à première vue, rien de bien complexe chez cet auteur là. Nul besoin de relectures. Toutes ses nouvelles se ressemblent, alors pourquoi s'échiner à lire la prose banale et un rien déprimante de ce grand gaillard au regard triste?
Comme souvent, la facilité de lecture, la simplicité du style et du propos cache un travail conséquent. Chaque phrase est léchée, sculptée, ciselée. Rien n'y manque et rien ne saurait y manquer. Carver est un équilibriste du verbe, un perfectionniste. Il aborde la nouvelle à la manière d'un poète, en cela réside sa particularité. Ce style épuré a d'ailleurs fait sa réputation. Paradoxalement, on connait plus le nouvelliste que le poète.
Mais au delà du caractère éthéré et contemplatif de son écriture, Carver a surtout l'art de susciter l'émotion. Il manie comme personne le non-dit, l'ellipse, la suggestion. Car ce qui est important dans ses histoires, c'est ce qui n'est pas dit explicitement. Sous couvert de situations banales, on touche aux fêlures, à la douleur quotidienne. Pas de chutes sensationnelles, pas de morales bienveillantes ; juste ces clichés, ces portraits-robots d'êtres au bord du désespoir. Une incursion dans l'envers du décor. Carver, c'est la face cachée de l'american way of life, des hommes et des femmes qui vivent à crédit, cumulent les jobs, se débattent dans leur mariage, survivent tant bien que mal dans le marasme du consumérisme.
Comment faire passer autant avec si peu? C'est la question que je me pose à chaque lecture. Et chaque nouvelle lecture apporte son lot de nouvelles interrogations.
Voilà pourquoi il faut lire et relire Carver, cet homme qui ne jurait que par un minimalisme forcené. Ce grand gaillard au regard triste qui avait su, en toute humilité, s'effacer derrière l'émotion pour mieux la sublimer.
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Toutes ces nouvelles suent le désespoir, le mal-être, la solitude. Mais bon sang que l'écriture est juste. Pas un mot de trop, pas d'adjectif inutile ou superflu. Tout est dit, simplement dit, cruellement dit.

Raymond Carver nous parle des petites gens engluées dans leur quotidien, ne sachant comment sortir la tête de l'eau. Ces facteurs, chômeurs, garces, voisins, représentants, mères de famille, bûcherons, couples au bord de la crise de nerfs, tous à un tournant de leur vie, celui de la prise de conscience du vide de leur vie. Les uns enviant le sort de leurs voisins, les autres rejetant la faute de leurs déboires sur leurs chiens ou leurs locataires...
Peu importe ! Ils savent le degré zéro de leur vie mais ne cherchent pas à atteindre un autre niveau. Ils vivent parce qu'il faut vivre. Ils sont résignés. Ils n'attendent rien. D'ailleurs ces nouvelles n'ont souvent pas de chute. Pourquoi faire ? Puisque rien, jamais, ne change.
Mais tous ces personnages ont un point commun : l'alcool (quelquefois la drogue, ou les deux) et la clope leur servent très souvent de dérivatif, d'échappatoire.
Même les gamins sont déjà laminés par l'indifférence, le désamour ou la lassitude de leurs parents.

C'est de l'implacable solitude dont il s'agit ici. Raymond Carver nous brosse l'envers du décor de l'American way of life et c'est terriblement cinglant.

Un grand merci à Malabar pour ce moment de lecture dérangeant et passionnant et la découverte de cet auteur.
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Je crois que Mile Davis disait un truc du genre « La véritable musique est le silence, les notes ne font qu'encadrer ce silence »
Carver c'est la musique de Miles dans le texte, avec ses mots il encadre les silences d'une vie..... "Tais-toi, je t'en prie"
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Il y en a un qui achete des cigarettes. Un autre qui décide d'arrêter de fumer.
Des amours qui commencent et d'autres qui peinent à finir.
De l'alcool, des rires, des angoisses.
Du temps qui passe.
Il y a tout dans les nouvelles de Carver. La vie toute entière, brutale et illuminée.
Une écriture vivante, une des plus vivantes que je connaisse. Des dialogues réalistes. Pas une phrase qui ne sonne pas juste, pas une phrase qui ne soit parfaitement ciselée, précise. C'est beau comme un poème. Comme un poème de Carver, tiens, pourquoi pas.
On l'aura compris, j'ai une tendresse folle pour cet auteur.
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Des nouvelles sans chute? Etonnant! Mais ce n'est, à mon avis, que pour souligner la banalité de ce que vivent ces personnages, et leurs espoirs sont là, leurs fatigues aussi, et leurs silences...
De l'obésité à l'addiction au tabac, de la jalousie à la tendresse conjugale, de l'envie de vivre à la campagne aux soirées dans les cafés de la ville, tout est résumé dans ces quelques récits, servis par une très belle plume.
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Ces nouvelles de Carver sont la marque d'un très grand. Une vingtaine de textes, souvent une quinzaine de pages, tous incisifs quant à la société américaine des années 70. Dépouillé, taxé de minimalisme, ce recueil est malgré tout d'une précision et d'une acuité rares. Au cinéma Robert Altman avait jadis su saisir la quintessence de Raymond Carvern, Short cuts, titre on ne peut plus approprié. Un autre qui a su capter Carver c'est mon ami le Bison. Il l'a si bien fait que je ferai moi-même un short cut, ne rajoutant pas grand-chose en dehors d'un lien The Carver's American Way of Life

Carver est un homme de peu, qui ne verse surtout pas dans la surenchère ou le clinquant. Pas plus que dans la lourdeur. Pourtant le quotidien de ces héros (je crois que l'on n'avait pas encore inventé l'antihéros) est de ceux qui valent le déplacement du lecteur, tant ils nous ressemblent. Certes ils sont américains. Et alors? Des couples en leur effrayante banalité, morale ou financière. Une partie de pêche pour un ado en pré-libido. Plusieurs nouvelles sont un titre interrogatif et ce n'est point un hasard. Vous êtes docteur? Pourquoi l'Alaska? Qu'est-ce que vous faites à San Francisco? Pourquoi, mon chéri? Et ça, qu'est-ce que tu en dis? Qu'est-ce que vous voulez? Des gens bien peu sûrs d'eux, qui doutent, jamais loin de la déconfiture. Des vies où bien évidemment il n'est pas vraiment question de partir en Alaska ou d'avoir un vrai chéri dans la vie.

On parle souvent à propos des textes de Carver d'oubliés du rêve américain. C'est réel et c'est même devenu très courant dans la littérture étatsunienne. le Banalland carverien en est effrayant entre querelles de voisinage minables, maquillages ratés, chiens devenus indésirables et couples en déroute. C'est donc ça la vie? C'est donc ça notre vie? C'est dire à quelqu'un de très proche Tais-toi, je t'en prie. Ou c'est l'entendre.

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je découvre l'auteur et c'est un condensé de tout ce que j'apprécie en littérature: efficacité de l'écriture, poésie du quotidien quand la sensibilité de l'auteur fait écho à la mienne, ouverture sur le monde et sur soi par le trou de la serrure ou les miettes de vie, pas de bla bla bla.
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