Lecture jeune, n°118 - Treize chapitres, treize instants de la vie de Myrtho — de « moins huit secondes » à « vingt ans moins une minute » — qui dressent un beau portrait d’adolescente. Dans le prologue, la naissance, la force et la personnalité de la jeune femme qu’elle deviendra sont posées : « J’ai eu la certitude que Joao et Alicia Figueira [ses parents] étaient des gens formidables, comme on peut l’être chacun à un moment ou à un autre de son existence, mais ils ne m’intéressaient déjà plus ». Chaque âge trouve une voix juste, et au fil des chapitres la personnalité de l’enfant s’affirme, notamment dans un contact privilégié avec un grand-père libre et différent. Alors qu’un rythme régulier s’est installé, au milieu de l’ouvrage se produit une rupture et un basculement. Myrtho décide qu’elle ne fera pas ce qu’on attend d’elle. Ses doutes et son malaise grandissent : « Je me sentais comme quelqu’un qui ne veut rien ». La voix de Shaïne Cassim est singulière. Tout ici est nuance. Cette adolescente « sans problème », éprise d’indépendance, n’est confrontée qu’à elle-même, à sa sensibilité et à ses fêlures. Qu’est-ce qu’on désire vraiment à dix-sept ans ? Le roman dit très justement le temps qui passe, la difficulté à être et à se construire. _ Hélène Sagnet
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Ce qui me fait horreur, ce n'est pas l'examen [ici, le baccalauréat], c'est la guerre d'Algérie [son sujet]. Je ne m'imagine pas avoir une bonne note pour avoir écrit correctement et dans l'ordre chronologiques les horreurs commises. Sans oublier celles d'aujourd'hui aussi. La guerre continue sans que l'on s'en soucie vraiment. Je repense au soleil blanc qui tombe sur la maison d'Alger. C'est Grand-père qui m'a raconté. Il ne pouvait pas la peindre ; il pouvait tout juste l'admirer plonger à la verticale sur les gens, sur le sol, chuter sur Alger immobile, en un mouvement imperceptible à l’œil mais absolument réel. Il ne pouvait pas peindre, m'a-t-il avoué. Il regardait, et c'était déjà immense à accomplir. C'est là-bas qu'il a compris qu'il ne serait jamais un artiste intéressant, parce qu'il n'arrivait pas à avoir assez d'envie, assez de désir pour retranscrire cela sur une toile. Il préférait boire la lumière tout seul, sans partage, sans donner à voir à d'autres ce qu'il en avait absorbé.
Ma feuille aussi est restée blanche.
" Ne cherche pas, Myrtho, il n'y a rien, zéro, niente, nada pour nous retenir ici-bas, rien d'autre que notre désir ", souriait-il en m'observant toujours avec curiosité. [.......]
Je me demande s'il a su que les étoiles me paraissaient moins loin quand il était là ; sans doute l'a-t-il senti, plus que su. Savoir, ce n'était pas son problème. Ce qu'il aimait, c'était aimer sans mot dire, avec son sourire, son regard, et quelques paroles mystérieuses qu'il avait inventées pour m'intriguer la vie entière.
" Ce sera un garçon et il sera footballeur, a rêvé tout haut mon père.
- Je suis une fille et je serai astrophysicienne ", ai-je pensé tout bas.
Dès que je suis arrivée, je me suis dit que j'allais lui expliquer que son rêve, ce n'était pas ma vie.
J'avais beau crier, il ne m'entendait pas. Les parents n'entendent que lorsqu'il est trop tard.
C'était sa force [celle de l'espace] et ma faiblesse que j'apprenais lentement, si lentement, à accepter.
Pour voir les étoiles, je devais travailler, relâcher les tensions qui encombraient mon visage, plisser les paupières, laisser mes yeux s'habituer à l'obscurité. Jamais à la lumière.
J'en ai pleuré, je reniflais comme une imbécile que l'air trop fort, trop frais, trop chargé de parfums et de la peine de Grand-Père étouffait, jusqu'à ne plus avoir que le désir d'être engloutie instantanément. Pour ne plus avoir à penser que je pense.
Des lectures pour faire fréir les adolesqcents.