Dans la lignée de
Walter Benjamin, qui se fit l'interlocuteur des enfants par le biais radiophonique entre les années 1929 et 1932, Gilberte Tsaï reprend le flambeau des conférences destinées aux plus jeunes d'entre nous.
Lumières pour enfants –voici le nom, en apparence prétentieux, derrière lequel elle désigne ces entretiens. Force est toutefois de constater que Gilberte Tsaï ne prend pas les enfants pour des idiots, et que contrairement à ce que pourrait laisser penser le nom de ces conférences, elle ne vise pas, en tant qu'adulte, à assener un savoir péremptoire et univoque. Les Lumières proviennent à la fois des adultes et des enfants, produisant le meilleur de leur éclat dans leur mise en commun.
Le livre se sépare en deux parties distinctes. La première permet à l'intervenant –ici
Barbara Cassin- d'exposer son thème en une courte conférence. La deuxième s'ouvre sur un dialogue qui donne la possibilité aux enfants d'intervenir en questionnant l'intervenant. L'intégralité des questions posées a-t-elle été retranscrite dans ce livre ? Sans doute les plus pertinentes d'entre elles ont seulement été retenues, mais celles-ci révèlent bien l'esprit qui anime ces entretiens. Ouverture d'esprit, interrogation, étonnement : la réflexion cherche à éliminer toute impression d'austérité pour prendre la forme plus plaisante de l'échange social stimulateur de curiosité.
Ces quelques mots auraient suffi à me faire grincer des dents si je les avais lus avant d'ouvrir
Plus d'une langue. Encore un ouvrage démago qui propose de la réflexion à petit prix ? Encore un ouvrage dévastateur qui, en prétendant porter la bonne parole des sciences et de la philosophie, finit de détruire le peu d'intérêt et de crédit qu'on veut bien attribuer à ces domaines ? Non. Sur le thème de la pluralité des langues,
Barbara Cassin ne propose pas de théorie ni de système savants à l'emporte-pièce. Elle ne cherche pas à réduire son sujet : au contraire, elle pose des questions et les accompagne d'exemples qui permettront à chaque auditeur d'élaborer sa propre réflexion. Dans quelle langue rêvons-nous ? Que veut dire « apprendre une langue » ? En quoi distingue-t-on une langue maternelle d'une langue apprise plus tardivement ? Qu'est-ce qu'une langue nous apprend sur la civilisation et la culture de ceux qui l'utilisent ? On découvrira ainsi que cet acte de communication le plus basique qui consiste à saluer son prochain ne signifie pas la même chose selon si l'on est grec –« jouis ! », latin –« sois en bonne santé ! », arabe –« que la paix soit avec toi ! », ou français – « passe une bonne journée ! ». En usant d'autres exemples,
Barbara Cassin nous montre que la langue fourmille d'indications étymologiques, historiques et politiques qui constituent autant de galeries secrètes qu'il ne reste qu'à nous d'explorer. Sa conférence nous en apprend suffisamment assez pour exacerber notre curiosité, mais pas assez pour nous repaitre –ce qui est mieux que de croire avoir tout compris, et ce qui peut donner envie d'en apprendre davantage par soi-même.
Proposée aux enfants mais destinée à tous, la conférence
Plus d'une langue ne pâtit pas d'un langage volontairement réduit ou simplifié dans le mythe de la rendre plus accessible aux enfants. Les questions de ces derniers le montrent : ils constituent un public aussi compétent que les adultes à évaluer l'enjeu des questionnements qu'on leur adresse. Ne craignons pas de nous glisser parmi eux : l'émerveillement pour la richesse des langages peut survenir à tout âge.
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