Je m'aperçois qu'elle ne leur parle pas mais qu'elle leur chante. C'est une mélodie mélancolique que je n'ai jamais entendue auparavant et qui me plaît immédiatement. Elle chante à voix basse, l'air grave. J'attends qu'elle ait fini avant de me montrer.
- Nous on pense qu'elle est malade, dit Gustavo. De là, ajoute-t-il en faisant un geste vers sa tête.
- Non, moi je crois que quelqu'un lui a fait du mal.
Elle attrape la lettre avec ses doigts fins sans la regarder. Elle réfléchit pendant quelques secondes, fixe nos yeux étonnés, puis se dirige vers la cuisinière, ouvre la petite trappe, fait une boule de la lettre qu'elle lance dans les flammes.
[...]
- La lettre était bien pour moi, non? dit la fille.
Quand ses bourgeons éclatent, il ressemble à un chandelier géant qui éclaire notre petit coin de la planète Terre. Cet endroit n'est jamais aussi beau qu'au moment de la floraison du marronnier.
Les soupes d'hiver sont différentes de celles des autres périodes de l'année.
A cette époque-ci, il les laisse réduire. Ses soupes mijotent pendant des heures. Il arrive qu'elles restent sur le feu à gémir et à éclabousser des jours entiers. Nous on se demande ce que c'est, si ça risque d'exploser ou de s'enflammer. Mais ça n'arrive que très rarement. De temps à autre, nous voyons Gustavo se diriger vers la cuisinière pour ajouter une goutte de cognac ou une poignée d'épices, ce qui provoque une éruption volcanique dans la marmite.
Le résultat atteint une sommet gastronomique insoupçonné.
Les saveurs se rencontrent, se confondent et s'inspirent.
Si jamais un inspecteur gastronomique s'aventurait dans notre chemin à l'heure de midi, je suis persuadé qu'avant de repartir, il accrocherait une étoile devant l'entrée de notre ferme.
Elle me regarde. Mais ce n’est pas de la peur que je vois dans ses yeux. J’y vois quelque chose qui bouge, comme un petit sourire qui danse tout au fond.
Je reprends mes réflexions sur la vie. Sur ma vie. Sur ma vie avec Brigitte et Gustavio. Et avec la fille. Mais surtout sur la mienne qui ne veut pas commencer. Je me demande ce qu’il faut faire pour qu’il y ait un changement. Pour que le train-train quotidien s’écarte et laisse la place à quelque chose de nouveau.
Elle sirote son thé chaud et nous laissons la parole au silence.