Je remercie Babelio pour cette Masse critique graphique et les éditions Vendémiaire pour l'envoi de ce bel ouvrage universitaire de
Jean-Noël Castorio que j'avais choisi car il faisait écho en moi convoquant dès son titre un immense univers référentiel autour de la Rome Antique.
L'auteur reprend l'histoire de Rome de ses origines mythiques jusqu'à son déclin, soit une période d'environ mille ans en montrant comment des oeuvres littéraires, artistiques, cinématographiques ou télévisuelles s'en inspirent et la revisitent du XVIème siècle à nos jours.
Après une préface introductive présentant sa démarche,
Jean-Noël Castorio entre immédiatement dans le vif du sujet ; il a choisi onze épisodes dont les études peuvent être lues indépendamment les unes des autres selon les connaissances ou les intérêts particuliers de chaque lecteur. Les évènements sont toujours re-contextualisés à partir des écrits des auteurs classiques et des savoirs historiques, tout en gardant à l'esprit que l'Antiquité demeure peut-être un monde ancien idéalisé. Chaque chapitre aborde ensuite quelques oeuvres et les analyse à la lumière de la réception des faits décrits.
Il n'y a pas vraiment de conclusion, la chute de Rome clôturant naturellement le propos.
Le style de cet ouvrage est naturellement très universitaire mais résolument moderne et je salue sa grande clarté et sa volonté vulgarisatrice.
J'ai remarqué avec plaisir que les différentes parties ne suivaient pas forcément le même plan ; l'auteur part tantôt de textes relatant les faits à partir des écrits d'
Ovide, Horace, de
Plutarque,
Silius Italicus,
Tite-Live, Salluste, Pline l'ancien, Tacite,
Suétone,
Virgile… (pour ne citer que ceux sur lesquels j'ai travaillé personnellement pendant mes études latines ou pour le plaisir…), tantôt d'une oeuvre en particulier, ailleurs d'un rappel historiques ou de précisions sur la biographie d'un auteur où un artiste… Ainsi, l'ensemble reste vivant, dynamique, jamais ennuyeux, toujours surprenant…
Je fais partie des lectrices et des lecteurs qui ont beaucoup étudié l'histoire de Rome et les thématiques abordées m'étaient toutes plus ou moins familières ; mon côté latiniste a particulièrement apprécié les termes latins qui sont cités…
Je pense cependant que ce livre peut convenir aux néophytes qui trouveront des bases pour aller plus loin s'ils le souhaitent. Une importante bibliographie clôture ce manuel.
Parmi les sujets étudiés, figurent des moments de la vie privée et de la vie publique, des scènes de guerres ou de révoltes, des assassinats…
Jean-Noël Castorio a choisi une présentation chronologique des évènements. Je partage ici quelques mots et ressentis très personnels sur chaque partie.
Le viol de Lucrèce est revisité en peinture, majoritairement par des hommes et, toujours, l'imaginaire oscille entre la sainteté et la culpabilité, entre la matrone irréprochable et la putain qui a failli. Je regrette que tous les tableaux cités ne soient pas représentés dans ce livre. Ainsi, j'ai recherché celui d'Artemisa Gentileschi, pour voir par moi-même comment cette artiste, elle-même victime d'un viol, a repris des standards masculins pour la peindre.
Les guerres puniques sont naturellement l'occasion de parler, entre autres, de
Gustave Flaubert et de l'écriture de salammbô, encore une illustration qui m'est très familière dans ce que
Jean-Noël Castorio appelle « un ailleurs fantasmé ».
Je connais beaucoup moins les adaptations cinématographiques et télévisuelles de la révolte des esclaves menée par Spartacus, cette « antiquité trash », sombre et barbare qui met en lumière des héros libérateurs au destin tragique. Ma culture dans ce domaine commence et s'arrête à Gladiator de Ridley Scott avec Russel Crow… J'ignorais qu'autant de séries télévisées avaient été tournées, s'inspirant de ces « damnés de la terre ». Par ailleurs, je n'avais jamais fait la relation entre cette référence historique et les grandes aspirations nationales et démocratiques du XIXème siècle.
La mort de César figure naturellement dans ce livre ; cette scène a été énormément représentée en peinture. Pour ce sujet,
Jean-Noël Castorio choisit une approche originale par petites touches. Il évoque d'abord la cape pourpre de l'empereur, puis l'instant d'après quand les conjurés abandonnent le cadavre… La documentation est très importante sur l'assassinat de César, différentes versions coexistent et le débat est toujours ouvert. Je ne connaissais pas Jean-Léon Gérome, mais grâce à ce livre, je me suis plongé dans les détails d'un tableau qui en dit long sur l'interprétation de la mort des grands hommes.
La période des guerres civiles qui suivent les Ides de Mars en 44 av. JC donne lieu à toutes une série de répressions et d'épurations. Il est intéressant de regarder d'un autre oeil des tableaux d'
Antoine Caron que l'on survole souvent dans les musées.
Quand l'auteur aborde la sexualité des romains, c'est par une approche philosophique à travers la personnalité de
Friedrich Karl Forberg, passionné de textes anciens, auteur de manuels d'érotologie classique, un véritable Kamasutra romain. Son oeuvre, associée aux
Sonnets luxurieux de l'Arétin et aux gravures de Marcantonio Raimondi révèle combien, depuis la Renaissance, l'Antiquité et ses sociétés aux moeurs libérées sont sources de fantasmes.
Jean-Noël Castorio consacre tout un chapitre aux liens de
Federico Fellini avec la Rome antique. À compter de 1960, le célèbre réalisateur, malade, traverse aussi une crise existentielle et créative. Pendant sa convalescence, il relit le
Satyricon de
Pétrone et le film, Fellini
Satyricon, sort en 1969. Il s'agir d'une Rome fantasmée, étrange, enfermée dans une ambiance métaphorique, artificielle et photographique, peuplée de monstres et de créatures dégénérées et consuméristes.
La réinvention de Rome se poursuit avec l'étude des
Mémoires d'Hadrien de
Marguerite Yourcenar, un manuscrit commencé en 1924, perdu puis miraculeusement retrouvé en 1949 par l'auteure et finalement achevé en deux ans d'immersion quasi mystique dans le monde romain du deuxième siècle. Ce chapitre consacré à l'amour d'Hadrien pour
Antinoüs explique aussi la construction de l'image littéraire de l'homosexuel de la fin du XIXème et du début du XXème siècle entre tendance sexuelle et idéal de beauté masculine.
Oscar Wilde,
John Addington Symonds,
Fernando Pessoa et
Jean Lorrain sont, entre autres, évoqués. J'ignorais, pour ma part, que la figure d'
Antinoüs est toujours très actuelle et qu'il est perçu aujourd'hui encore comme une sorte de « gay god ».
Jean-Noël Castorio convoque ensuite
Shakespeare et sa pièce longtemps controversée,
Titus Andronicus, véritable « patchwork » de références à plusieurs périodes distinctes de l'Antiquité romaine, inspirée de passages de L'Énéide de
Virgile, de L'Histoire romaine de
Tite-Live ou encore des Vies de
Plutarque.
Titus Andronicus devient une tragédie intemporelle et donc, toujours, d'une grande actualité. C'est un théâtre cruel qui exprime les passions et la violence exacerbées, un peu à la manière de
Sénèque. Dans la même veine, en France, on peut citer les oeuvres d'
Alexandre Hardy. Ce chapitre, intitulé « une Rome de cendres et de sang », est plus général que les précédents, puisqu'il n'a pas comme point de départ un fait précis mais plutôt une réappropriation d'une Antiquité imaginaire et revisitée, notamment à l'époque dite baroque avec l'opéra. L'auteur conclut par un rapprochement audacieux entre
Quentin Tarantino et la grande tradition de la tragédie de vengeance sénéquéenne…
J'avoue moins bien connaître les empereurs romains à partir du IIIème siècle, aussi Héliogabale qui a régné de 218 à 222 est-il pour moi un parfait inconnu.
Jean-Noël Castorio nous en parle à propos d'une peinture de Lawrence Alma-Tadema, un peintre anglais de la fin du XIXème siècle post-raphaélite. Son tableau intitulé « Les Roses d'Héliogabale » est plein de sous-entendus, subversif et met en scène un empereur qui a goûté à tous les plaisirs jusqu'à en être lassé. Sur le plan politique, il semblerait qu'il soit un des derniers tyrans, au sens de « tyran rhétorique » défini par la littérature latine comme Tibère,
Caligula ou Néron ; l'impiété, la démesure, la cruauté et la convoitise sont les attributs du tyran et, pour Héliogabale, il faut ajouter une sexualité insatiable et hors-norme et le goût immodéré du luxe… Héliogabale est également une véritable superstar dans le domaine littéraire européen entre 1885 et 1910, inspirant des romans, des
poèmes, des nouvelles, des pièces de théâtre ou des opéras. Héliogabale devient une allégorie du déclin de l'empire romain et du décadentisme.
La fin de l'empire romain est enfin illustrée en 1847 par un tableau de Thomas Couture, « Les Romains de
la décadence », une scène d'orgie mise en parallèle avec le relâchement des moeurs et le règne de l'argent-roi qui annonçait le déclin de la monarchie de juillet. La débauche de chair et de vin a lieu sous l'oeil digne et austère des statues de marbre des grandes figures romaines et d'un groupe de philosophes stoïciens ; il y a un réel contraste entre l'air solennel des statues et l'abandon lascif des convives. Puis
Jean-Noël Castorio cite les grands historiens qui ont écrit sur le déclin et la fin de l'empire romain à l'instar d'Edward Gibbon. Il remet en avant le contexte historique de toute la série des dysfonctionnements ayant affaibli le régime à travers les écrits de Tacite, de Salluste ou de
Juvénal. Depuis toujours, les grandes préoccupations socio-politiques trouvent des échos dans l'étude de l'héritage et de la chute de Rome.
Naturellement, j'ai grandement apprécié ce livre qui trouvera sa place dans ma bibliothèque ; je sais déjà que je le consulterai souvent, le rapprochant d'autres ouvrages ou recherches personnelles.
Une superbe découverte !