Citations sur La répétition (27)
Qui, parmi toutes les filles de notre année, qui donc a le plus de chances de virer lesbienne ?
Cette dernière question déclenche toujours des cris et des claques et des hoquets hilares. Elles soupèsent en esprit celles qui ont le moins de noms à leur tableau de chasse, celles qui sont momentanément en disgrâce ou un petit peu moins bien de leur personne. L'impopularité, le mutisme, l'introversion studieuse, la moindre réticence à marcher sur les pas du plus grand nombre - ce sont là autant de symptômes, de l'avis unanime des filles qui s'agglutinent pour poser leur diagnostic. Elles lancent des noms tout haut et se tordent de rire comme un sabbat de sorcières écervelées pour jeter un mauvais sort.
"Ce n'est pas juste". Voilà ce que pensent les filles, toutes les filles distancées et éclipsées, qui cuisent dans leur jus, tapies dans le noir, dans l'ombre de Victoria. "Ce qu'elle nous a volé. Ce n'est pas juste".
Ce que le risque a d'excitant, ce n'est pas ce qu'on peut y gagner, c'est ce qu'on peut y perdre.
M. Saladin a laissé derrière lui un méfiance singulière, tout ensemble ingénue, fasciné et aguichante, qui a ravagé mes élèves comme un virus. La jeune fille violée est suivie partout où elle va de chuchotements et de coups de coude et d'une jalousie aveugle et endolorie. Lorsque les lumières s'éteignent, les parents pleurent et se demandent l'un à l'autre ce qu'il lui a fait, mais c'est une toute autre question qui tracasse les filles : qu'est-ce qu'elle a fait, elle ? Qu'est-ce qu'elle sait maintenant qui la rend tellement dangereuse, comme la lente fuite ambrée d'un gaz nocif ?
On demande aux enseignants de recommencer chaque année, de rompre le fil d'un an de progrès avec sa relation laborieusement bâtie, de défaire tous les fruits de leur travail pour revenir à la case départ et recommencer avec un autre enfant. Chaque année, nos enseignants sèment et cultivent une nouvelle récolte pour laquelle personne ne les remerciera et qu'eux ne récolteront jamais.
L'écritue d'Eleanor Catton laisse les ombres s'allonger au fil des pages
Il y a une beauté qui n'appartient qu'aux femmes mûres et n'est pas à la portée des adolescentes : les lignes que la bonté creuse autour des yeux et de la bouche, un certain tassement du corps, une lassitude dans la posture et le maintien, aussi indéfinissablement érotique que le charme suranné d'une robe en taffetas poussiéreux ou d'un bijou fantaisie au fermoir rouillé.
Le monde n'allait pas venir à lui, le monde n'allait pas l'attendre ou même marquer une pause, au contraire, et si c'était lui qui attendait, la vie passerait outre en le laissant au bord de la route.
Les gens parlent de moi maintenant comme d'une enfant à qui on a imposé criminellement un rôle d'adulte. Ils parlent de ma relation avec lui comme d'une relation d'adulte, illicite, intempestive, prématurée. Mais c'est le contraire qui est vrai. C'est M. Saladin qui a eu avec moi une relation d'adolescent.
- Au lycée, j’ai essayé toutes sortes de choses, comme on essaie un vêtement, pour voir. Même quand je me fâchais, quand je me mettais dans tous mes états et que je me bagarrais, c’était comme si je voulais simplement tâter le terrain, voir jusqu’où je pouvais aller. Il y a toujours un petit coin de moi qui n’est pas fâché, qui reste calme, dans un rôle de spectateur amusé.