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EAN : 9791022607360
224 pages
Editions Métailié (25/01/2018)
3.42/5   30 notes
Résumé :
Júlio Santana, bon chasseur et bon tireur dans son Amazonie natale, a appris la profession de tueur à gages à 17 ans avec son oncle qui lui assure que, s’il récite dix Ave Maria et vingt Pater Noster après chaque meurtre, il n’ira pas en enfer. Il note soigneusement sur un cahier d’écolier le nom des victimes, le nom des commanditaires, la date et le lieu du crime, ce qui lui a permis de compter 492 personnes au long de 35 années de carrière.
Júlio raconte se... >Voir plus
Que lire après 492 : Confessions d'un tueur à gagesVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (12) Voir plus Ajouter une critique
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Júlio Santana n'a jamais réellement voulu devenir tueur à gages professionnel. Et pourtant il a accompli à ce titre 492 "prestations". Paradoxe d'un homme "apparemment ordinaire, calme, enjoué, casanier, affectueux avec les siens et très religieux", qui aurait préféré passer sa vie à pêcher tranquillement dans son village perdu au fond de la jungle brésilienne avec femme et enfants, et qui, malgré lui, s'est retrouvé à l'âge de 17 ans, initié secrètement au métier de pistolero par son oncle. Coincé entre sa foi religieuse ("Tu ne tueras point") et un certain appât du gain (avoir une maison avec électricité et eau courante, un frigo rempli de Coca-Cola, une voiture ou une moto,...), le cas de conscience de Júlio est résolu par son oncle, qui l'assure qu'il lavera ses péchés dans l'eau bénite de quelques prières, puisque de toute façon "Dieu pardonne tout". C'est ainsi que pendant 35 ans, Júlio honorera près de 500 contrats à travers le Brésil, en dépit des protestations, menaces ou suppliques de sa femme, au courant du métier de son mari. Mais il a continué, simplement parce qu'il "ne sait rien faire d'autre" que d'assassiner des inconnus sur commande.

Qu'on se rassure, ce document (puisqu'il s'agit bel et bien d'une histoire vraie) n'est pas un catalogue des 492 exécutions commises par Júlio Santana. Cette biographie, écrite par un grand reporter brésilien avec l'accord du principal intéressé, insiste plutôt sur le passage de Júlio à l'âge adulte (premier amour, départ à la ville loin des siens), sur son entrée dans la « carrière » de tueur, sur quelques-uns des assassinats qui l'ont marqué, et sur le cheminement qui le conduit à se retirer des affaires.

Malgré un style sans grand relief, un peu trop didactique, et un peu mièvre quand les relations sentimentales de Julio sont abordées, ce livre vaut néanmoins le détour : bien loin des plages et du carnaval, il nous fait découvrir un Brésil profond, oublié des autorités, fait de violence et d'impunité, dans lequel être pistolero est presque un métier ordinaire.

A noter également, la longue évocation (parfois à la limite de la digression superflue) de l'épisode, peu connu chez nous, de la répression de la guérilla de l'Araguaia par la dictature militaire dans les années 70 (voir sur le sujet, le roman "Les ombres de l'Araguaia", de Guiomar de Grammont, chez Métailié également).

En partenariat avec les Editions Métailié.
Lien : https://voyagesaufildespages..
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Sous-titré Confessions d'un tueur à gages, 492 est à classer dans le genre de la literary non-fiction, ces essais ou enquêtes avec une certaine ambition littéraire. Il faut dire que le sujet qu'aborde là le journaliste brésilien Klester Cavalcanti s'y prête particulièrement. Il s'agit tout simplement de l'histoire de Júlio Santana, tueur à gages qui, en plus de 30 ans d'exercice de son métier, a mené à bien quatre cents quatre-vingt-douze contrats. de fait tout cela commence comme un roman. L'histoire d'un adolescent qui a grandi dans une famille pauvre installée dans la forêt amazonienne, chasseur émérite et admirateur de son oncle parti faire carrière en ville dans la police militaire. C'est cet oncle, par ailleurs tueur à gages lorsqu'il est de repos qui, conscient des aptitudes au tir de Júlio, lui demande un jour de 1971 de le suppléer sur un contrat puis le convainc de travailler comme éclaireur pour l'armée alors en chasse des rebelles communistes de l'Araguaia.
On pourrait légitimement craindre que le livre de Cavalcanti se transforme assez rapidement en une longue litanie de contrats exécutés avec plus ou moins de réussite. Toutefois, le journaliste entend moins parler des contrats en eux-mêmes que du cheminement de Júlio Santana, de la façon dont il s'engage peu à peu dans une voie sans issue et de la manière dont il participe dans l'ombre à une part sombre de l'histoire brésilienne. Une grande partie de 492 est ainsi consacrée à la traque des communistes de l'Araguaia et en particulier au récit de l'arrestation de José Genoino Neto, futur député et président du Parti des Travailleurs de Lula et Dilma Rousseff. La suite de la carrière de Santana est évoquée à travers quelques contrats emblématiques de la manière dont le tueur travaille et, surtout, de la situation économique et sociale du Brésil durant ces années. Car, de fait, ce qui apparaît en filigrane, c'est bien l'énorme fossé qui existe entre les différentes classes de la population et la possibilité pour quelques-uns de s'affranchir de la justice pour protéger leurs intérêts. Si Santana peut exécuter des personnes pour des histoires d'adultère, de viols non punis ou de dettes ridicules, il opère aussi très souvent pour le compte de gros propriétaires agricoles soucieux de se débarrasser de paysans sans terres ou de syndicalistes, ou d'entrepreneurs qui veulent asseoir leur autorité en éliminant des employés dont ils jugent qu'ils les ont floués. 492 révèle aussi, bien entendu, combien la confiance en la justice officielle est extrêmement faible, et l'on imagine bien que Santana n'est pas le seul à opérer sur son créneau professionnel.
C'est ce portrait de la société brésilienne des années 1970 aux années 2000 qui fait tout le sel du récit. Bien plus que les états d'âme d'un Júlio Santana qui sonnent bien souvent faux. Mais c'est un peu la règle de l'exercice : les criminels qui se livrent sur leurs activités ont rarement envie de se donner entièrement le mauvais rôle et si, comme Santana, ils assument, il n'en demeure pas moins qu'ils cherchent un certain nombre de justifications plus ou moins crédibles.
Cela fait partie du jeu, donc, et ne nuit guère à l'ensemble qui constitue à n'en pas douter un document proprement édifiant.

Lien : http://www.encoredunoir.com/..
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« Voici ce que l'on fait de mieux en termes de littérature de non-fiction. Cavalcanti nous met dans la tête d'un personnage que nous devrions considérer comme un monstre : un tueur à gages. Jusqu'au moment où nous nous surprenons à espérer qu'il échappe à ses poursuivants. »
C'est ce qui est écrit sur la quatrième de couverture. Je les lis pas.
Je devrais dire « Je les lisais pas ». Parce qu'à partir d'aujourd'hui, je vais les lire.
Le sous-titre, c'est « Confessions d'un tueur à gages ».
Voilà.
Ils appellent ça de la littérature de non-fiction. C'ta dire que c'est de la littérature qui te raconte une histoire de pour de vrai. Genre biographie historico-truc, qui décide d'entrer dans la littérature par la porte des romans. Une porte juste entrouverte, on va pas se mentir.
C'est chouette. Enfin, ça aurait pu être chouette.
Je veux dire que c'est chouette quand tu aimes lire des trucs comme ça.
Klester Cavalcanti te raconte donc les aventures de Júlio Santana. Tueur à gages, le mec. Il a bossé pendant trente ans comme dézingueur pour des clients aussi variés qu'il y a de couches sédimentaires au milieu de l'Amazone. Parce que ça se passe au Brésil. Pas le Brésil des maillots de bain et des gonzesses qui dansent sur la plage. Un autre Brésil.
Quatre cent quatre vingt douze contrats.
T'as bien lu.
492.
Ça veut dire que ce mec qui a tué 492 personnes, des hommes, des femmes, des enfants, Cavalcanti va te raconter son histoire. Attention, ce n'est pas un tueur en série. C'est son boulot. Pas pareil. Un peu comme les mecs qui dézinguent à coup de dollars la population en Afrique ou ailleurs. C'est leur boulot.
Le journaliste, donc, décide de te livrer cette biographie comme un roman. Why not, disait Shakespeare avant de se reprendre une tasse de thé avec un nuage de lait.
Júlio commence jeune. C'est son oncle qui lui demande de réaliser son premier meurtre. Ben ouais, tu veux appeler ça comment ? Il s'agit de tuer, froidement, un type en lui collant une balle dans la tête.
Au début du bouquin, que j'ai du mal à appeler roman, je me suis dit que j'allais me fader 492 assassinats, et j'avoue que j'ai eu un peu les chocottes. Les chocottes dans le sens où je me voyais bien reposer le livre, et jeter mon billet de 20 balles directement à la poubelle. J'aime pas trop jeter l'argent à la poubelle.
Finalement, tu vas échapper à ça. C'est pas dommage. Tu vas en revanche plus ou moins comprendre comment le tueur à gages se transforme petit à petit en machine à tuer, sans aucune émotion, et surtout, sans avoir le choix. Une route qu'il a empruntée, et qu'il est obligé de suivre, parce qu'il n'y a pas de sortie, comme sur ces autoroutes où tu roules parfois pendant des kilomètres sans pouvoir les quitter.
On va te raconter aussi, un peu, l'Histoire du Brésil. La « grande » Histoire. Des noms de types dont je n'ai jamais entendu parler, parce que finalement, l'Histoire du Brésil ne fait pas partie de mes priorités et que je n'y ai jamais été attentif.
Je sais, c'est une erreur, et j'ai mis une majuscule à Histoire.
La société brésilienne, les communistes, genre José Genoino Neto, devenu président du Parti des Travailleurs, et autres Dilma Rousseff, des noms que je vais m'empresser d'oublier, parce qu'ils ne font pas partie de mon histoire à moi. En aucun cas je ne diminue leur aura, l'histoire qu'ils ont fabriquée, où ce qu'ils ont été, évidemment non. Ils ont, chacun à leur manière, transformé la société brésilienne, et sans eux, sans doute que le Brésil d'aujourd'hui serait différent.
La suite :
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Klester Cavalcanti , grand reporter brésilien, auréolé de plusieurs prix internationaux récompensant son travail de journaliste a réussi à approcher l'un des hommes les plus dangereux du Brésil, devenu assassin professionnel par hasard, par des rencontres, par des envies d'une autre existence que celle vécue, subie par ses parents, vivant de l'activité artisanale de pêche de son père au bord d'un fleuve dans une région brésilienne reculée au fin fond de l' Amazonie.

“Des gens abandonnés par les autorités et par le gouvernement dans les hameaux où il n'y a aujourd'hui encore ni électricité, ni eau courante, ni égout, ni école, ni dispensaire.Où la sécurité est inexistante et où la police ne met pas les pieds.Un univers d'un grande beauté naturelle, peuplé d'animaux extraordinaires et couvert d'arbres centenaires et de cours d'eau apparemment sans fin. C'est de ce monde fabuleux et inhospitalier qu'est sorti Julio Santana, un Brésilien qui a passé sa vie à tuer des Brésiliens.”

Trente cinq années passées à tuer des gens, presque 500 victimes, de la gifle assénée sur un terrain de foot au viol d'un enfant resté impuni, l'origine des contrats est aussi diversifiée, aussi tordue que la folie et la sauvagerie des hommes. Mais au lieu de construire un musée de l'horreur, de la misère, une sorte de récit voyeur, Cavalcanti s'attache à raconter la vie d'un petit gars que rien ne prédestinait à devenir un monstre.

Le récit va d'abord s'attacher au cadre humain d'un Julio, bon petit gars, amoureux d'une jeune fille vivant à une distance d'une demi-heure de rame, ses premiers émois, son quotidien isolé du monde soudainement dynamité par l'influence d'un oncle faisant apparemment partie de la police militaire mais étant en réalité tout simplement, tout vulgairement un tueur.Il va l'initier en lui proposant un contrat qu'il ne peut réaliser lui-même cloué au lit par la fièvre. On lit l'horreur de ce premier meurtre, la destruction de l'âge de l'innocence complété par la découverte des voitures, des hélicoptères, de l'électricité, des frigos, de l'eau courante, du monde civilisé où le Coca n'est plus un luxe, quand il va suivre son oncle à la “ville” pour ensuite se lancer avec lui dans la chasse aux communistes en Amazonie pendant la dictature militaire des années 70, vrai apprentissage de la violence, de la douleur.

Loin de recenser toutes les horreurs commises, l'auteur va s'attacher aux épisodes les plus significatifs, les plus surprenants, les plus indignes, les plus erratiques de l'épopée sanguinaire de Julio pendant une trentaine d'années.Tout en racontant le parcours d'un monstre, Cavalcanti réussit à faire un portrait effroyable du Brésil, un utile et bienvenu écho aux terribles romans de Edyr Augusto chez Asphalte.
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C'est avec joie que j'ai déniché ce titre sur mes étagères, où je l'avais complètement oublié, puisqu'il me permet à la fois d'ajouter une participation au mois latino, et de répondre à mon objectif 2021, qui consiste à lire davantage de non-fiction. En revanche je dois avouer que je n'y ai pas trouvé, en matière de contenu, ce à quoi je m'attendais. J'imaginais une incursion dans l'univers sombre et palpitant du banditisme, aux côtés d'un personnage froid mais terrifiant… Et je me suis retrouvée en compagnie d'un modeste fils de pêcheur, devenu tueur à gages presque par hasard, assassinant conjoints adultères ou ouvriers trop vindicatifs avec la passion d'un fonctionnaire.

C'est aussi par hasard que Klester Cavalcanti en vient à recueillir les confessions de Júlio Santana. On est en 1999. Correspondant d'un magazine brésilien en Amazonie, il effectue alors un reportage sur le travail esclave. Il apprend à cette occasion qu'il est fréquent dans la région que des fazendeiros (propriétaires terriens) recrutent des pistoleros pour tuer des proches de travailleurs asservis en fuite, pour les inciter à reprendre le travail… c'est en émettant le souhait de rencontrer l'un de ces tueurs que le journaliste obtient le nom de celui avec qui il va dialoguer par téléphone pendant sept ans, et finir par gagner suffisamment sa confiance pour permettre une rencontre, la publication de son témoignage, et surtout l'autorisation d'y utiliser son vrai nom.

Une bonne première partie du récit est consacrée à la manière dont Júlio Santana en est arrivé à exercer, pendant 35 ans à partir de 1971, ce « métier » -puisque c'est ainsi qu'il le considère. Alors âgé de dix-sept ans, il vit avec son frère et ses parents au fin fond de la jungle amazonienne, dans une bourgade sans électricité, menant une existence simple et pieuse au contact d'une nature luxuriante, dans laquelle il évolue comme un poisson dans l'eau.

C'est son oncle qui l'initie au meurtre commandité : il est lui-même tueur à gages, et à l'occasion d'une de ses missions, dont la cible est l'un des habitants du village des Santana, il se retrouve malade, alité et insiste auprès de son neveu, excellent tireur, pour qu'il fasse le boulot à sa place. Ce qui est fait, après quelques tergiversations morales auxquelles l'oncle coupe court en expliquant qu'il suffit de réciter dix Ave Maria et vingt Pater Noster pour que Dieu pardonne tout… Néanmoins, le jeune Júlio est fortement tiraillé, des semaines durant, par sa conscience. C'est du moins ce dont il témoigne. Cela ne l'empêche pas de recommencer, quelques mois plus tard, toujours sollicité par son oncle, avec comme principal argument l'argent facile que lui apportent ses « contrats ».

On peut dire que Júlio devient tueur à gages pour pouvoir vivre dans une maison avec l'électricité, s'acheter un frigo, une voiture… malgré les exhortations régulières de sa femme, seule personne hormis son oncle à connaître l'origine du salaire qu'il ramène à la maison, et qui s'en horrifie, il exercera sa macabre fonction trente-cinq ans durant, assassinant 492 personnes, ainsi qu'il l'a soigneusement consigné, meurtre après meurtre, dans un cahier d'écolier. Seuls quelques-uns (les plus marquants pour leur auteur) seront évoqués.

J'avoue que son témoignage m'a laissée dubitative. Voilà un jeune homme profondément croyant, que la violence répugne, si l'on en croit sa brève expérience au sein d'un commando traquant les communistes au début de sa carrière, qui devient tueur en série, si l'on y réfléchit bien, et ne semble pas en être si traumatisé que cela (sinon, comment aurait-il pu continuer… ?). La perspective d'un confort matériel somme toute relatif (il ne roule pas non plus sur l'or) suffit-elle à expliquer ce paradoxe ? Lui dit avoir été pris dans un engrenage, embarqué dans un chemin dont il ne pouvait plus sortir, parce qu'il ne savait rien faire d'autre.

Ce qui est peut-être le plus glaçant, c'est la banalité qui entoure ces meurtres, par ailleurs commis en toute impunité. Loin de la plage, du Carnaval, nous voilà dans un Brésil où on peut assassiner et faire assassiner, comme on déciderait de sa liste de courses, l'amant de sa femme, un voisin trop pénible ou un opposant politique, sans être inquiété outre mesure.

Son contexte est ainsi l'aspect le plus intéressant de ce récit, porté par une plume certes journalistique, mais à vrai dire plutôt plate.

Un ouvrage dispensable donc, mais qui m'a donné envie d'en savoir davantage sur cette chasse aux communistes évoquée comme une digression -Júlio Santana semble dénué de toute conscience sociale ou politique- en début de témoignage. C'est déjà ça.

Lien : https://bookin-ingannmic.blo..
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critiques presse (1)
Actualitte
04 janvier 2018
L’immersion est totale, et les pas du lecteur se glissent insensiblement dans ceux de l’adolescent, devenu Pistoleiro malgré lui, comme frappé par la fatalité…
Lire la critique sur le site : Actualitte
Citations et extraits (4) Ajouter une citation
Note de l’auteur

Il aura fallu sept ans de discussions pour que Júlio Santana m’autorise à citer son vrai nom dans ce livre. La première fois que nous nous sommes parlé, en mars 1999, il a accepté de me raconter son histoire mais pas de révéler son identité ni de se laisser photographier par moi – ou par qui que ce soit d’autre. Rien de plus compréhensible. L’homme avec qui j’ai engagé la conversation ce jour-là – à raison d’une interview par mois en moyenne – est un assassin professionnel qui, en trente-cinq ans de carrière, a tué près de cinq cents personnes. Quatre cent quatre-vingt-douze pour être précis, dont quatre cent quatre-vingt-sept ont été dûment répertoriées dans un cahier avec la date et le lieu du crime, la somme perçue pour son travail et, plus important encore, les noms du commanditaire et de la victime.

Mon premier contact avec cet étrange citoyen brésilien a eu lieu lors d’un reportage sur le travail esclave. À l’époque, en mars1999 donc, j’étais correspondant du magazine Veja en Amazonie, un poste que j’ai occupé pendant un peu plus de deux ans. Pour les besoins dudit reportage, le photographe Janduari Simões et moi nous étions rendus dans plusieurs villes du Pará, à la recherche de gens qui avaient été asservis et de fazendeiros qui employaient des esclaves sur leurs terres. Au cours d’une opération conjointe de la police fédérale et du ministère de la Justice sur la commune de Tomé-Açu, un policier nous a expliqué qu’il était fréquent dans la région que les fazendeiros recrutent des pistoleros pour tuer des proches – en général des fils ou des frères –, des travailleurs asservis qui fuyaient les fazendas. C’était un moyen de forcer l’esclave à reprendre le travail.

Quand je lui ai fait part de mon souhait de rencontrer un de ces tueurs, un agent de la police fédérale participant à l’opération de Tomé-Açu m’a dit qu’il en connaissait un et qu’il allait lui demander s’il pouvait me donner son numéro de téléphone. Pour qui connaît les coulisses de la police brésilienne, ce type de liens amicaux entre policiers et criminels n’a malheureusement rien de nouveau. Mais je n’ai vraiment cru que l’agent de la PF allait me transmettre les coordonnées du tueur que deux jours plus tard, quand il m’a rappelé en disant qu’il lui avait parlé et que je pourrais lui téléphoner le lendemain à 14 heures pile. Le numéro qu’il m’a fourni était celui d’une cabine qui se trouvait devant une boulangerie de Porto Franco, dans le Maranhão. Ce jeudi-là, le 18 mars 1999, pendant un échange qui a duré presque une demi-heure, j’ai appris que l’homme dont je voulais raconter l’histoire s’appelait Júlio Santana et qu’il avait commis son premier homicide en 1971, à dix-sept ans.

Ni les paroles ni le ton de Júlio ne m’ont donné l’impression que j’avais affaire à un individu violent ou agressif. Il s’exprimait de façon mesurée et sereine, avec un fort accent nordestin. Dès ce premier contact, il m’est clairement apparu qu’il avait envie de raconter son histoire. “Si vous voulez, je vous dis tout. Je n’ai jamais parlé de ça à personne”, a-t-il dit. Avant de prendre congé, lui et moi sommes convenus de nous rappeler cinq jours plus tard, à la même heure. À peine avais-je raccroché que j’ai appelé Laurentino Gomes, le rédacteur en chef de Veja, à São Paulo, qui était chargé d’approuver mes idées de reportage. La perspective de faire le portrait d’un tueur à gages l’a enthousiasmé. En revanche, nous ne pouvions pas publier un récit aussi sensationnel sans dévoiler, au minimum, le vrai nom de son personnage central. Et si le tueur acceptait de poser pour une photo, ce serait encore mieux. Chaque fois que je discutais avec Júlio, ma fascination pour son histoire augmentait. Mais mes espoirs de le voir accepter que soient divulgués son nom et sa photo, eux, diminuaient. En tout cas à court terme.

Pendant les sept années suivantes, j’ai poursuivi mon dialogue avec cet homme qui a tué près de cinq cents personnes et n’a jamais exercé d’autre activité professionnelle. Chaque coup de fil a resserré nos liens. Je sentais qu’il avait de plus en plus confiance en moi et se racontait avec de plus en plus de sincérité et d’émotion. Je revenais de temps en temps sur mon envie de relater sa vie – avec déjà l’idée d’en faire un livre – en ajoutant qu’il fallait absolument que je puisse publier son vrai nom et une image de lui. Júlio restait inflexible. Mais j’étais certain qu’il changerait d’avis un jour. Ce jour est arrivé en janvier 2006, quand, pendant une conversation, Júlio m’a annoncé qu’il avait décidé d’abandonner sa vie de tueur et de partir s’installer loin du Maranhão avec sa femme et ses deux enfants.

Grâce à cette information, j’ai réussi à le convaincre que sa plus grande peur – celle d’être mis en prison si son identité apparaissait dans un livre – n’avait plus aucune raison d’être. À partir du moment où il mènerait dans un autre État une existence totalement différente de celle qui avait été la sienne jusque-là, il ne courrait plus aucun risque d’être repéré par la police. “Mais si vous mettez ma photo dans le livre, ils m’auront”, a dit Júlio. Je lui ai expliqué que cette photo m’était indispensable, mais que nous utiliserions un effet technique quelconque pour rendre son visage méconnaissable. À ce moment-là, preuve de confiance extrême, il a enfin accepté que je publie son nom et une image de lui dans le livre. Ce livre. Il me manquait encore quelque chose de très important : une rencontre personnelle avec le tueur. Jusque-là, tous mes échanges avec Júlio Santana avaient eu lieu au téléphone. Je ne connaissais ni son aspect physique, ni sa démarche, ni sa façon de s’asseoir, ni son sourire. Je ne connaissais ni sa maison, ni sa femme, ni ses enfants. Pour voir tout cela et connaître l’univers que s’était construit ce fascinant acteur de la réalité brésilienne, je suis allé en avril 2006 à Porto Franco, où vivaient Júlio et sa famille. Là, j’ai passé trois jours aux côtés d’un homme calme, enjoué, casanier, affectueux avec les siens et très religieux. Un homme apparemment ordinaire. Au profil bien différent de celui des assassins qui peuplent la littérature et le cinéma.

Avec trois blocs-notes exclusivement remplis par la retranscription de mes entretiens avec Júlio, je suis passé à la phase suivante de mon travail : la recherche d’autres sources, des documents et des gens, à même de confirmer – ou non – les dires du sujet de ce livre. Au cours de cette étape, j’ai interviewé près de quarante personnes – des policiers, d’anciens garimpeiros1 de Serra Pelada, des proches de victimes de Júlio – et j’ai eu accès à des rapports d’enquête policiers et à des dossiers judiciaires. Il a été réconfortant de constater que ces sources, documentaires comme humaines, non seulement corroboraient tout ce que m’avait raconté Júlio, mais apportaient des précisions détaillées sur les faits décrits dans ce livre. L’un des témoignages les plus surprenants a été celui de l’ex-député et ex-président du Parti des travailleurs José Genoino Neto2.

Júlio Santana m’avait décrit sa participation à la capture de José Genoino en avril 1972, pendant la Guérilla de l’Araguaia. Pour attester la véracité de cette histoire, j’ai pris rendez-vous avec Genoino chez lui, à São Paulo. Pendant l’interview, je lui ai dit qu’une de mes sources – je n’ai pas révélé laquelle – affirmait avoir participé à son arrestation. Je lui ai répété tout ce que m’avait raconté Júlio, avec des détails minimes comme la couleur du chien qui était dans la cabane où avait été emprisonné le guérillero. Quand je me suis tu, José Genoino a tout confirmé. Et a dit : “C’est certain, ce type y était. Vous venez de mentionner des détails dont je n’ai jamais parlé à personne.” Genoino se souvenait aussi de la présence, au sein du groupe qui l’avait arrêté, d’un garçon bien plus jeune que les autres. C’était Júlio Santana, qui, à l’époque, avait dix-sept ans.

L’histoire que vous allez lire retrace la vie d’un homme, né dans un trou perdu de la jungle brésilienne, qui avait tout pour devenir un pêcheur paisible, oublié dans les profondeurs de la forêt, comme il en existe tant en Amazonie. Des gens abandonnés par les autorités et par le gouvernement dans des hameaux où il n’y a aujourd’hui encore ni électricité, ni eau courante, ni égout, ni école, ni dispensaire. Où la sécurité est inexistante et où la police ne met pas les pieds. Un univers d’une grande beauté naturelle, peuplé d’animaux extraordinaires et couvert d’arbres centenaires et de cours d’eau apparemment sans fin. C’est de ce monde fabuleux et inhospitalier qu’est sorti Júlio Santana, un Brésilien qui a passé sa vie à tuer des Brésiliens. Et n’allez pas croire que tous ses crimes ont été commis au fin fond de l’Amazonie. En trente-cinq ans de métier, Júlio a tué des gens dans bon nombre d’États, dont ceux de São Paulo, de Bahia, du Paraná et de Goiás. Mais il s’est toujours enorgueilli de n’avoir jamais assassiné personne par haine ou de son propre chef. “Je ne tue que quand on me paye pour tuer”, m’a-t-il dit je ne sais combien de fois. Et malgré les près de cinq cents morts qu’il porte sur ses épaules, Júlio Santana n’a été arrêté qu’une seule fois, en mai 1987. Il espère ne pas revivre cela.
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Malgré lui, il était fier d’avoir participé à cette opération complexe. Après avoir passé toute la journée à filer Anibal, son oncle et lui avaient réussi à faire le boulot. Et, surtout, sans attirer l’attention de personne. Il pensait toujours à ça quand Cícero voulut savoir ce qu’il avait dit à l’homme pour le faire arrêter.
– Je lui ai demandé s’il savait où je pouvais m’acheter un Coca.
– Excellent, Julão. Tu es encore plus main que je ne le pensais.
– Tu trouves ? Vraiment ?
– Et comment. Le coup du Coca, c’était parfait. Tu es né pour ce genre de travail, gamin. Tu as du talent pour ça.
Júlio n’apprécia pas d’entendre son oncle dire qu’il était né pour devenir un assassin. Mais en même temps il trouvait très agréable l’idée d’avoir un talent particulier. Ce soir-là, il resta à la maison avec son oncle. Après avoir dîné de riz et d’œufs au plat, ils discutèrent jusqu’à une heure du matin. Júlio alla se coucher convaincu qu’il devait devenir tueur à gages. Les arguments de Cícero semblaient solides. En travaillant comme pistolero, il pourrait faire des voyages, découvrir plein d’endroits, vivre des histoires excitantes et gagner raisonnablement sa vie. Pour tuer Anibal, par exemple, Cícero lui raconta qu’il avait touché 500 cruzeiros. En un seul jour, son oncle avait encaissé plus de la moitié de ce que lui avait amassé en trois mois de travail dans l’Araguaia. Ce métier de tuer des gens était peut-être difficile, mais l’argent en valait la peine. Quant à sa peur de finir en prison, Cícero affirma qu’elle était infondée. Dans le coin, disait-il, la police ne se mêlait pas des affaires des pistoleros.
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Cícero mit trois jours à persuader son neveu de l’accompagner pour un boulot. Il devait tuer un homme à la suite d’une dispute sur un terrain de foot. Le type qui l’avait engagé s’était pris une gifle dans la figure en plein match, devant tout le monde. Sur le terrain même, Leandro, qui avait reçu la claque, avait menacé son agresseur : « Je vais te tuer ! » Mais comme il n’en avait pas le courage, ce fils d’un fazendeiro des environs avait payé Cícero pour le faire à sa place.
– Tu vas tuer ce type seulement parce qu’il a mis une baffe à quelqu’un ? demanda Júlio, nerveux.
– Non, Julao. Je vais le tuer parce que ce quelqu’un m’a payé pour ça. Il faut que tu apprennes un truc. Dans ce métier, on se fiche de savoir si le type est tout gentil ou si c’est un emmerdeur fini. Qu’il ait mis une baffe à l’autre ou violé sa fille, ça n’est pas mon problème. Ce qui compte, c’est qu’on me paye et que le boulot soit fait.
La froideur de cette réponse effraya Julio, mais il se souvient aussi d’avoir admiré la force et le courage que semblait montrer son oncle. Tout le monde n’était pas capable de tuer quelqu’un sans peur, sans remords, sans tristesse.
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Cela faisait environ trois heures que Júlio épiait le pêcheur Antônio Martins en pleine jungle amazonienne, à la frontière du Maranhão et de la partie nord de Goiás – actuel État du Tocantins, fondé en octobre 1988. La chaleur était intense. Mais il avait étrangement froid, et son estomac était noué. Tapi entre les arbres séculaires, dont certains mesuraient plus de quarante mètres, il maintenait sa carabine pointée sur le pêcheur. Depuis les fourrés, il voyait Antônio assis dans sa pirogue sur un bras du rio Tocantins. Il savait parfaitement quoi faire. Mets-lui une balle dans le coeur et on n’en parlera plus, se disait-il. Pour un garçon qui venait d’avoir dix-sept ans et n’avait jamais tiré sur personne, la tâche n’était pas aussi simple.
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