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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
La Colmena
Traduction : Henri L. P. Astor
Préface : José María Castellet

ISBN : 9782070707720

Le nombre de personnages que l'on voit ou dont on entend parler dans "La Ruche" a toujours fait sinon polémique, certains ergotant avec plus ou moins de mauvaise foi sur leur nombre précis, en tous cas plongé le lecteur digne de ce nom dans une phase de béatitude admirative ... ou agacée. Mais attention ! "La Ruche" est bien un roman, axé sur cinq chapitres et un épilogue, lesquels se présentent un peu comme des alvéoles. Dans chacune d'elles, un groupe de personnages (principaux, secondaires ou simples utilités) dont beaucoup se croisent et s'entrecroisent avec les occupants des cinq autres alvéoles, la première marquant le début du livre dans le café que tient doña Rosa, veuve, obèse, barbichue, grande gueule, plutôt stricte en affaires mais dans le fond assez sympathique. Chien qui aboie ne mord pas, dit-on et, dans le cas de doña Rosa, c'est vrai que, si elle s'étrangle d'aboiements du début jusqu'à la fin de la journée, au point que toute sa clientèle se trouve toute perdue lorsque, d'aventure, la terrible femme ne se risque qu'à quelques mots amers et à quelques ricanements de l'ouverture jusqu'à la fermeture de son établissement, elle mord rarement. Parfois, elle fait suivre un client qui n'a pas payé ou s'est montré malpoli (enfin, selon elle) par l'un de ses serveurs afin qu'il règle l'affaire mais en général, ledit serveur, tout en racontant la façon épouvantable dont il a roué de coups le malotru et l'a pratiquement laissé fin prêt pour les Urgences, s'est contenté de suivre un peu le réprouvé en question en échangeant au besoin avec lui une cigarette ...

"La Ruche", c'est comme la Vie et, forcément, comme dans l'existence, on y trouve de tout . Des thèmes comme l'homosexualité par exemple (avec la mère de l'un des membres du couple gay que l'on retrouve étranglée dans son lit, une serviette éponge autour du cou), les relations sexuelles souvent adultères ou illicites au regard de la Loi mais clairement explicites à ceux du lecteur, et plus encore les mutations qui bouleversent la société madrilène de l'époque (l'action se situe en 1942) au lendemain de la Guerre civile, alors que les Allemands tiennent toujours dans les steppes russo-asiatiques, allaient donc interdire de parution ce roman-clef de son auteur dans son pays natal jusqu'en 1963. Et c'est "en exil", en 1951, que "La Ruche" fut éditée pour la première fois, à Buenos Aires, en Argentine, avec un succès immédiat.

Ignoré par la plupart des lecteurs français qui ne lisent que les best-sellers ou les nouveautés, même si celles-ci ne valent pas grand chose, José Camilo Cela, qui s'était déjà fait remarquer avec "La Famille de Pascual Duarte" quelques années plus tôt, est l'un de ces auteurs qui, bien qu'ayant accepté de vivre sous Franco, entendait écrire comme il le désirait et faire renaître une littérature espagnole qui, depuis la Génération de 1898 (grosso modo), avec des auteurs comme, par exemple, Pío Baroja, faisait désormais, et malgré l'éclat sans conteste de sa jeunesse passée, plus du "sur-place" qu'autre chose. le plus étonnant, et ce qui prouve sans doute le mieux la valeur de cet écrivain, c'est qu'il y est parvenu et que des auteurs contemporains, de langue ibérique ou pas, le saluent comme un maître.

Dans "La Ruche" (moins toutefois que dans "La Famille de Pascual Duarte"), le récit demeure assez linéaire et l'auteur ne cherche visiblement pas à imposer un style particulièrement déconstruit ou novateur. Il prend ses personnages, leur donne vie et les fait nous raconter l'histoire d'une Espagne déboussolée, qui se cherche encore (et se cherchera encore longtemps). Dans le viseur de l'écrivain, les gens de la petite bourgeoisie et des classes moyennes inférieures, pauvres, voire très pauvres. Cela, qui en a vu d'autres à cette époque, n'hésite pas à nous évoquer le trafic d'enfants qui se fait par exemple dans la capitale. Si le petit gitano de six ans qui danse jusqu'à 2 heures du matin par les rues pour pouvoir consommer son seul "repas" de la journée dans une gargote d'habitués avant de s'étendre sur le trottoir, sous un pont, avec d'autres membres de sa "famille" gitane et de repartir, dès sept heures le lendemain, pour retourner chanter, danser - et gagner sa pauvre petite existence - sait se méfier des messieurs trop gentils, il n'en est pas de même pour tous. Et puis, la Guerre est passée par là. Beaucoup d'orphelins sont restés sur le pavé ou à la charge d'un parent souvent pauvre qui finit par les vendre à un réseau, voire à un notable, telle la petite fille, Cristina, que sa tante vend tout simplement à un riche médecin pédophile dont on peut penser qu'il dirige lui-même une filière dont il entend faire profiter à bon prix ses "amis."

Dans cette Espagne où Franco, certes, l'a emporté mais dans cet univers qui vit toujours de tickets de rationnement et où la stabilité demeure encore menacée par la Seconde guerre mondiale, demain est loin d'être sûr. On ne sait plus trop qui est qui, le travail est rare, l'argent encore plus et, si l'on vend les enfants, les femmes (et les hommes) n'hésitent pas à se prostituer. Il y a bien quelques privilégiés mais ils sont rares. Ainsi, nous croiserons peu de représentants de la classe ouvrière et encore moins de notables vraiment riches. Ceux que nous a dénichés l'auteur sont, eux aussi, sur la corde raide. Ils le savent et se doivent tout de même de travailler même si leur situation financière est moins inquiétante que celle, par exemple, de Melle Elvira, une cliente de doña Rosa qui, grâce au ciel, a su gagner la sympathie de la patronne de café. Songez que, très, trop souvent, le "dîner" de Melle Elvira, qu'elle prend en lisant quelques pages des "Mystères de Paris" d'Eugène Sue, ne se compose que de quelques châtaignes chaudes ou tièdes, seul aliment consistant qu'elle ait pu s'acheter auprès d'une marchande des rues. Tout ça dans une chambre si peu chauffée que la malheureuse entasse tous ses vêtements sur le lit pour pouvoir dormir un peu ...

Oh ! rassurez-vous, Camilo José Cela est à dix-mille lieues du pathos ou du mélo . Lui, il raconte. Aussi simplement que possible. Avec des touches d'ironie qui aident à faire passer l'affaire, soit en soulignant le désespoir de l'époque, soit en le tournant en ridicule. Avec réalisme aussi, mais un réalisme qui ne frôle jamais les périlleux abîmes de l'excès. de temps à autre, il donne la parole à l'un de ses personnages principaux en nous invitant, pour un temps, dans ses pensées les plus intimes. Mais c'est assez rare sauf, peut-être, en ce qui concerne Manuel Marco, notre "fil rouge" qui se glisse d'alvéole en alvéole, poète et anarchiste, bien entendu mais qui se garde en principe de faire de la politique. Enfin, c'est ce qu'il affirme . Pourtant, un soir, dans la nuit madrilène, il subit un contrôle d'identité et, sans que Cela se montre vraiment précis sur la question, à partir de là, il devient comme un homme traqué qui fait les manchettes des journaux.

Mais pourquoi ? Pour le meurtre de doña Margot, la mère du quinquagénaire homosexuel - avec laquelle il ne semble pourtant n'avoir jamais entretenu de rapports ? Ou parce que le policier de la veille, prêt à faire du zèle ou tout à fait de bonne foi, le soupçonne d'amitiés "rouges" ?

Il y a des ellipses dans "La Ruche", ellipses probablement souhaitées par son auteur. Deux ou trois personnages apparaissent, qui donnent l'impression de devoir par la suite tenir leur partie, mais qu'on ne reverra plus dès la moitié du livre sans savoir dans quels gouffres elles ont disparu. On les croirait surtout destinées à renforcer ce climat ambigu, glauque, dangereux (pour tous, sauf pour les "huiles", et encore y avait-il des rivalités au sein même des gouvernants) que Cela nous dépeint sans avoir vraiment l'air d'y toucher. On croirait qu'il était là par hasard, qu'il a vu par hasard et qu'il a pris des notes parce qu'un écrivain, c'est plus fort que lui, tout lui fait bois.

Aux admirateurs, aux simples connaisseurs de la littérature espagnole et hispanique et de toute la culture qu'elle recouvre, "La Ruche" est un livre que je recommanderai avec enthousiasme de déguster dans les règles. Après tout, ce "Petit Tour du Monde Par Les Livres" est fait pour ça : découvrir des auteurs pour nous inconnus mais qui ont laissé leur empreinte, qu'on l'apprécie ou pas, dans l'univers littéraire de leur pays. Or José Camilo Cela est sans conteste l'un des chefs de file de cette littérature hispanophone qui va se régénérer après la Guerre civile, grâce et malgré le Franquisme, régime ô combien ambigu, nous le découvrons de plus en plus aujourd'hui, avec le recul dont le Temps et L Histoire patinent toute chose.

Ergo, si vous aimez l'Espagne, sa langue et le monde qu'elle a engendré hors du Vieux Continent, jetez un coup d'oeil à José Camilo Cela : il en vaut, croyez-moi, largement la peine. :o)
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