C'est par ce petit recueil que Paul Celan, qui est devenu aujourd’hui l’un des plus grands poètes du XXème siècle, se fait connaitre dans ses débuts. D'ailleurs, c'est dans ce recueil qu'on trouve le fameux poème "La fugue de la mort".
On se trouve face à une poésie d'une complexité et d'une originalité impressionnantes (au niveau de la langue et de l'expression des idées). Il s’agit d’une poétique de la mémoire, une anamnèse où Celan, accablé de ses souvenirs des camps de concentration, veut évoquer les disparus et les cendres et combattre l'oubli de ce qui doit être inoubliable.
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La nuit, quand le pendule de l’amour balance
entre Toujours et Jamais,
ta parole vient rejoindre les lunes du coeur
et ton œil bleu
d’orage tend le ciel à la terre.
D’un bois lointain, d’un bosquet noirci de rêve
l’Expiré nous effleure
et le Manqué hante l’espace, grand comme les spectres du futur
Ce qui maintenant s’enfonce et soulève
vaut pour l’Enseveli au plus intime :
embrasse, aveugle, comme le regard
que nous échangeons, le temps sur la bouche.
La plus blanche des colombes s’est envolée : j’ai le droit de t’aimer !
Dans la fenêtre discrète hésite la porte discrète.
L’arbre silencieux est entré dans la pièce silencieuse.
Tu es proche comme si tu ne demeurais ici.
Dans ma main tu prends la grande fleur :
elle n’est pas blanche, pas rouge, pas bleue – pourtant, tu la prends
Où jamais elle ne fut, elle restera toujours.
Nous ne fûmes jamais, nous restons donc chez elle.
L’automne me mange sa feuille dans la main : nous sommes amis.
Nous délivrons le temps de l’écale des noix et lui apprenons à marcher :
le temps retourne à l’écale.
Dans le miroir, c’est dimanche,
dans le rêve on est endormi
la bouche parle sans mentir.
Mon œil descend vers le sexe de l’aimée :
nous nous regardons
nous nous disons de l’obscur,
nous nous aimons comme pavot et mémoire,
nous dormons comme un vin dans les coquillages,
comme la mer dans le rai de sang jailli de la lune
Nous sommes là enlacés dans la fenêtre, ils nous regardent depuis la rue :
Il est temps que l’on sache !
Il est temps que la pierre se résolve enfin à fleurir.
qu’à l’incessante absence de repos batte un cœur.
Il est temps que le temps advienne.
Il est temps.
CRISTAL
Ne cherche pas ta bouche à mes lèvres,
ni l'étranger au portail,
ni à l'oeil les larmes.
Sept nuits plus haut le rouge s'en va au rouge,
sept coeurs plus avant la main frappe au portail,
sept roses plus tard la source est en murmures.
-
JE SUIS SEUL, je dépose la fleur des cendres
au verre rempli de noir mûri. Bouche soeur,
tu dis un mot qui va encore sa vie aux fenêtres,
et ce que j'ai rêvé grimpe contre moi sans bruit.
Je porte le deuil de l'heure flétrie
et je garde de la résine pour un oiseau tardif :
il porte le flocon sur sa plume rouge vie ;
grain de glace au bec, il traverse l'été.
⁂
KRISTALL
Nicht an meinen Lippen suche deinen Mund,
nicht vorm Tor den Fremdling,
nicht im Aug die Träne.
Sieben Nächte höher wandert Rot zu Rot,
sieben Herzen tiefer pocht die Hand ans Tor,
sieben Rosen später rauscht der Brunnen.
-
ICH BIN ALLEIN, ich stell die Aschenblume
ins Glas voll reifer Schwärze. Schwestermund,
du sprichst ein Wort, das fortlebt vor den Fenstern,
und lautlos klettert, was ich träumt, an mir empor.
Ich steh im Flor der abgeblühten Stunde
und spar ein Harz für einen späten Vogel :
er trägt die Flocke Schnee auf lebensroter Feder ;
das Körnchen Eis im Schnabel, kommt er durch den Sommer.
CONTRE-JOUR / GEGENLICHT
Traduction de Valérie Briet | pp. 106-7 & 112-3
Corona
traduction n° 1
L’automne mange sa feuille dans ma main :
nous sommes amis.
Des noix que nous cassons nous retirons
le temps et nous lui apprenons à marcher :
le temps s’en retourne aux coquilles.
Au miroir c’est dimanche,
en rêve c’est qu’on dort,
la bouche parle vrai.
Mon œil s’en va là-haut au ventre de ma bien
aimée :
nous nous regardons,
nous nous disons des choses sombres.
nous nous aimons comme pavot et mémoire,
nous dormons comme le vin dans les coquil-
lages,
comme la mer dans le rai sanglant de la lune.
Nous nous tenons là, étreints dans la croisée,
ils nous regardent depuis la rue :
il est temps que l’on sache !
Il est temps que la pierre veuille fleurir,
qu’un cœur palpite pour l’inquiétude.
Il est temps qu’il soit temps.
Il est temps.
/Traduction Valérie Briet
Chaque mois, un grand nom de la littérature contemporaine est invité par la BnF, le Centre national du livre et France Culture à parler de sa pratique de l'écriture. L'écrivain Stefan Hertmans est à l'honneur de cette nouvelle séance.
Rencontre animée par Cécile Bidault, productrice chez France Culture
QUI EST STEFAN HERTMANS ?
Stefan Hertmans, né à Gand en 1951, a publié plusieurs recueils de poésie, des essais et des romans. Son oeuvre poétique a été récompensée par le prix triennal de la Communauté flamande. Son roman Guerre et Térébenthine, traduit dans vingt-quatre langues, a été nommé pour le Man Booker International Prize. Il a publié tous ses romans aux éditions Gallimard, dont Une ascension en janvier 2022. Dans la collection « Arcades » paraît également en mai 2022 Poétique du silence, un volume regroupant quatre essais de Stefan Hertmans sur la modernité poétique dans ses rapports au langage et au mutisme, concentré de ses réflexions sur les oeuvres de Hölderlin, de Paul Celan et De W.G. Sebald notamment.
En savoir plus sur les masterclasses littéraires : https://www.bnf.fr/fr/agenda/masterclasses-en-lisant-en-ecrivant
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