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Jean-Pierre Lefebvre (Traducteur)
EAN : 9782757801567
263 pages
Points (30/11/-1)
4.51/5   37 notes
Résumé :
C’est après la publication de La Rose de personne, Die Niemandsrose, en 1963, que Paul Celan écrit les poèmes du présent livre. En avril 1967, quelques mois avant la parution de Renverse du souffle, Atemwende, Celan écrit à son fils : « Tu sais, je pense, qu’un nouveau recueil de poèmes doit paraître en septembre aux Éditions Suhrkamp (mon nouvel éditeur à Francfort), c’est une date importante dans ma vie, car ce livre, à plusieurs égards, dont, avant tout, celui de... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (4) Ajouter une critique
Atemwende (Renverse du souffle) désigne en allemand le moment précis où s'inverse le mouvement de la respiration, ce basculement entre le passage de l'air que nous ravalons sans cesse (l'inspiration) et celui que nous propulsons au-dehors (l'expiration). L'atemwende gît dans cet entre-deux, dans la régularité de la renverse, sa mesure ou ses cassures de rythme, qui révèle l'existence particulière des mots nés du souffle.

Les poèmes de Renverse du souffle ont été écrits durant les deux années qui ont suivi le premier internement psychiatrique de Paul Celan, entre 1963 et 1965. Publiés à Francfort en 1967, les textes de Renverse du souffle sont très représentatifs de l'oeuvre poétique et du style de Paul Celan.
Des poèmes de forme plutôt courte, d'apparence assez dysharmonique, dissonante et un sens difficile à saisir.

" SOLEILS-FILAMENTS
au-dessus du désert gris-noir.
Une pensée à hauteur
d'arbre
attrape le son de lumière : il y a
encore des chants à chanter au-delà
des hommes. "

Paul Celan niait que dans ses poèmes figure une dimension auto-biographique. Et pourtant, deux éléments de sa vie vont profondément marquer son écriture.

Né de parents d'origine juive, tous deux germanophones, le jeune Paul Antschel était profondément attaché à sa mère. Friederike Anstchel née Schrager, lui transmis très tôt la passion de la langue allemande. de ses premiers écrits (il avait alors 17-18 ans) jusque dans ses derniers poèmes, Paul Celan restera fidèle à cette langue maternelle.
En contrepoint à cet apprentissage, à ce lien indéfectible avec la langue, va survenir un événement tragique.
En 1942, ses parents alors résidents à Cernăuți, une petite ville de Bucovine (région située en Roumanie à l'époque), sont tous les deux arrêtés par les nazis et déportés dans un camp de concentration. Son père y mourra du thyphus et sa mère sera exécutée d'une balle dans la nuque.
Absent lors de leur arrestation, la disparition de ses parents va profondément marquer Paul Celan. Comme un trauma, cette expérience fondamentale va rapidement influer son écriture. Elle ne cessera jamais de le faire jusque dans ses derniers poèmes.

L'impossibilité, le refus de faire le deuil est une constante dans l'oeuvre de Paul Celan. Ce n'est pas une poésie de la résilience, de la consolation. C'est une poésie qui maintient la douleur ouverte, à vif. Prenant son origine dans le drame de la Shoah, elle est l'expression de la détresse humaine au travers de la sienne.

Dans cette poésie dissonante, presque impénétrable, Paul Celan rend compte de la douloureuse expérience d'une langue double, d'une langue qui le ramène à son enfance, mais qui est aussi celle des bourreaux, des meurtriers de ses parents. L'amour de la langue allemande d'un côté et toute l'étendue de sa perversion, de son dévoiement de l'autre.
De là naît une poésie dissonante, une contre-langue ou un contre-discours, à la forme syntaxique déconstruite, brisée, qui déjoue les tentatives de représentation, d'appropriation. Paul Celan ne délaissera jamais l'allemand, une langue à laquelle le poète reste attaché mais aussi détaché. Une ambivalence qui nourrit sa poésie, ce mouvement d'intériorisation et d'expulsion, ce renverse(ment) du souffle.

" AVEC LES PERSÉCUTÉS en alliance
tardive, et non
tue,
radieuse

La sonde du matin, recouverte d'or,
se colle à ton
talon qui avec eux
prête serment, avec eux
racle, avec eux
écrit. "

La poésie de Paul Celan est un lieu de confluence où se rejoignent l'absurde, le drame de l'existence et l'attachement secret qu'elle suscite pourtant en chacun de nous. Elle est ce point d'équilibre précaire, cette clairvoyance particulière que porte en lui tout grand poète.

"[...] le monde est parti. Il faut que je te porte."
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Un des derniers recueils publiés du vivant de Paul Celan qui ne manque pas de cumuler un certain nombre de paradoxes. D'abord, Celan a écrit ses poèmes durant une période très difficile, marquée par des séjours en hôpital psychiatrique, mais il était très fier de l'oeuvre qui avait atteint une forme de densité, d'amplitude selon lui. C'est aussi une oeuvre cosmopolite où l'on croise les villes de Hambourg, Copenhague, Prague ou Mangalia où il s'est rendu avec Petre Solomon et Nina Cassian, des amis roumains. L'allemand employé par Celan, du fait de sa polysémie et de l'usage érudit extrêmement travaillé des mots composés, souples dans la langue de Goethe, est toutefois intraduisible. Jean-Pierre Lefebvre a eu recours aux notes, sans doute bien plus étendues que le texte, dont beaucoup très intéressantes (Rosa Luxemburg et les buffles de Roumanie pour le poème "Coagula" par exemple). Par-delà mes lacunes, j'ai regardé souvent l'allemand, puisque, il n'est pas inutile de le rappeler, il s'agit d'une édition bilingue. Celan avait indéniablement raison d'être fier, même si son impeccable technique le rendait plus hermétique. Il a laissé la clé de son recueil dans le poème "Un vacarme" : "C'est/la vérité même qui/est entrée/parmi les hommes/ au beau milieu/des bourrasques de métaphores". Rien que le titre, "Atemwende", "La Renverse du souffle", changement de respiration, la bourrasque du souffle métaphore, vacarme de la respiration qui renverse tout. Germanophone né roumain dans une ville aujourd'hui ukrainienne puis résident français (sa nationalité?), pour Celan le changement c'était (!) tout le temps, comme il respirait jusqu'au... dernier souffle.
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C'est une poésie à la fois dure, dans son contenu, et complexe, dans son expression, mais il faut se remémorer la vie de ce poète Paul Antschel de son vrai nom, né en 1920 en Roumanie dans une famille juive de langue allemande. Il a été interné dans un camp roumain et sera libéré par l'armée rouge. Ses parents, eux, moururent dans le camp où eux avaient été placés.

C'est toute cette douleur qui transparaît à chaque instant dans ces méandres de poésie qu'il nous a laissés. C'est beau et, à la fois, j'ai l'impression qu'une partie m'a échappé. du reste, à lire les autres critiques, je pense effectivement qu'il y a un sens subliminal plus intellectuel qui n'est pas facilement perceptible.

Il n'en reste pas moins que, même en traduction, on apprécie de lire cette immense poésie. Et quelle joie cela doit être d'entendre les sonorités et les rythmes imprimés dans la langue allemande pour ceux qui savent la lire.
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Paul Celan fait partie de ces poètes connus de beaucoup, et inconnus de beaucoup. Pour ceux qui connaissent sa vie et son oeuvre, tout ce que je peux écrire ici semblera bien réducteur. Pour ceux qui ne savent rien de są vie, ce que j'écris ne pourra jamais en dire toute la complexité. de sa naissance en tant que Juif dans les 'terres de sang' de l'actuelle Roumanie en 1920 à son suicide à Paris en 1970, il a incarné un demi-siècle de la culture de mort de l'Europe.

Celan (né Paul Antschel) écrivait en roumain et en français, et traduisait également de la poésie dans d'autres langues, mais son combat effrayé avec cet ange déchu qu'était pour lui la langue allemande marque toute son oeuvre. Comme son contemporain Günter Grass, il est aux prises avec l'angoisse d'écrire dans une langue 'abîmée', dégradée par la politique et la propagande de son époque.
Celan exploitait ce qu'il y a de plus profondément allemand dans la langue et le nouait dans des artefacts serrés aussi délicats que de la dentelle et aussi expressifs que des gestes. Son poème le plus connu, Todesfuge (fugue de mort), a laissé croire ' espérer? - à une poésie 'après Auschwitz', une résurrection par les mots malgré la dévastation de la mort qui a emporté ses parents et lui a volé sa maison.

Schwarze Milch der Frühe wir trinken dich nachts
wir trinken dich mittags und morgens wir trinken dich abends
wir trinken und trinken
ein Mann wohnt im Haus dein goldenes Haar Margarete
dein aschenes Haar Sulamith er spielt mit den Schlangen
Er ruft spielt süßer den Tod der Tod ist ein Meister aus Deutschland

Lait noir du petit jour nous te buvons la nuit
nous te buvons midi et matin nous te buvons le soir
nous buvons et buvons
un homme habite la maison tes cheveux d'or Margarete
tes cheveux de cendre Sulamith il joue avec les serpents Il crie jouez la mort plus doucement la mort est un maître d'Allemagne


Les poèmes ne sont pas destinés à être lus tous ensembles, mais discrètement, un par un, en prenant le temps de ruminer.
La vitesse brouillerait les contours.
Lien : http://holophernes.over-blog..
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Citations et extraits (22) Voir plus Ajouter une citation
Fais que ton œil dans la chambre soit une bougie, ton regard une mèche,
fais moi être assez aveugle pour l'allumer.

*******

À la source de tes yeux
vivent les filets des pêcheurs d'eaux folles.

À la source de tes yeux
la mer tient sa promesse.

Je jette là
un cœur qui a vécu parmi les hommes,
jette bas mes vêtements et l'éclat d'un serment
Plus noir dans le noir je suis plus nu.
Infidèle seulement je suis fidèle.

Je suis tu quand je suis je.

À la source de tes yeux
je suis emporté et je rêve de rapine.
Un filet a pêché un filet :
nous nous séparons enlacés.

À la source de tes yeux
un pendu étrangle sa corde.


(Louange du lointain du Recueil Pavot et Mémoire)
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PRÈS DU GRÊLON, dans la
quenouille de maïs
charbonnée, au pays,
obéissant aux tardives, aux dures
étoiles de novembre :
     
noués dans le fil du coeur les
dialogues des vers de terre – ;
     
corde tendue qui fait
vibrer ton texte-flèche,
Sagittaire.
     
8 novembre 1963
     
-
BEIM HAGELKORN, im
brandigen Mais-
kolben, daheim,
den späten, den harten
Novembersternen gehorsam :
     
in den Herzfaden die
Gespräche der Würmer geknüpft – ;
     
eine Sehne, von der
deine Pfeilschrift schwirrt,
Schütze.
     
(pp. 30-31)
     
*
BEIM HAGELKORN
Le maïs, ou « blé de turquie », se sème en avril-mai et se récolte tard à partir de septembre jusqu’en novembre. Après les récoltes, on trouve sur le sol des épis brûlés par un champignon, atteints par le « charbon » ou la « rouille », abandonnés. Le grêlon est un cristal, une sorte de perle. Le pays du poète est chez les abandonnés-brûlés du côté du poème, du cristal de souffle qui témoigne. Les vers qui rongent ces restes dans la métaphore transcendent celle-ci, ce sont aussi les vers du poème : ils dialoguent avec ces restes et se tressent dans le cordon qui tend l’arc du sagittaire, le signe astral (22 novembre-20 décembre) de Paul Celan, et fait vibrer les flèches-poèmes qu’il décoche d’une manière particulière, cordiale si l’on veut. Gehorsam (obéissant, plus qu’un comportement d’obéissance ponctuel, désigne une attitude générale ainsi qu’une sorte d’appartenance docile (via gehören). Herzfaden (« fil du coeur ») : allusion peut-être au nom du fil rouge que, pendant la dictature nazie, on attachait sur la chemise des élèves de l’école juive de Königsberg, le dernier vendredi qui précédait leur départ en exil, symbole du lien qui continuerait de les unir malgré leur séparation… Annotations de Jean-Pierre Lefebvre (pp. 202-203).
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La NUIT, quand le pendule de l'amour balance
entre Toujours et Jamais,
ta parole vient rejoindre les lunes du cœur
et ton œil bleu,
d'orage
tend le ciel à la terre.

D'un bois lointain,
d'un bosquet noirci de rêve
l'Expiré nous effleure
et le Manqué hante l'espace, grand comme les spectres du futur.

Ce qui maintenant s'enfonce et soulève
vaut pour l'Enseveli au plus intime :
embrasse, aveugle,
comme le regard que nous échangeons,
le temps sur la bouche.
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DANS LA LANIERE DE PRIERE BLANCHE - le
Seigneur de cette heure
était
une créature d'hiver, c'est
pour lui plaire
qu'est arrivé ce qui est arrivé -
ma bouche en grimpant s'est accroché avec les dents, une fois encore,
quand elle t'a cherchée, toi, trace de fumée,
là-haut,
silhouette de femme,
toi en voyage vers mes
pensées de feu dans le gravier noir
au-delà des mots de fission à travers
lesquels je t'ai vue marcher, haut
perchée sur tes jambes avec
ton opiniâtre tête aux lèvres
lourdes
sur le corps
tenu vivant par mes
mains
mortellement précises.

Dis à tes
doigts qui t'accompagnent
jusque dans les gouffres, combien
je t'ai connue, combien je t'ai
poussée loin dans les profondeurs, où
mon rêve le plus amer
a de coeur couché avec toi, dans le lit
de mon inarrachable nom.
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Tremble aux feuilles qui brillent blanches dans les tenèbres.
Ma mère jamais n'eut les cheveux blancs.
L'Ukraine est verte comme les dents- de- lion.
Ma mère si blonde n'est pas rentrée.
Nuage de pluie, tu hésites là, aux puits?
Ma mère si douce pleure pour tous.
Étoile ronde, tu enroule la traîne d'or.
Ma mère avait au coeur une blessure de plomb.
Porte de chêne, qui t'a soulevée hors des gonds?
Ma mère si tendre ne peut pas venir.

( La mère de Paul Celan est morte en camp d'internement, sans doute d'une balle dans la tête.. .)
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Vidéo de Paul Celan
Chaque mois, un grand nom de la littérature contemporaine est invité par la BnF, le Centre national du livre et France Culture à parler de sa pratique de l'écriture. L'écrivain Stefan Hertmans est à l'honneur de cette nouvelle séance.
Rencontre animée par Cécile Bidault, productrice chez France Culture
QUI EST STEFAN HERTMANS ? Stefan Hertmans, né à Gand en 1951, a publié plusieurs recueils de poésie, des essais et des romans. Son oeuvre poétique a été récompensée par le prix triennal de la Communauté flamande. Son roman Guerre et Térébenthine, traduit dans vingt-quatre langues, a été nommé pour le Man Booker International Prize. Il a publié tous ses romans aux éditions Gallimard, dont Une ascension en janvier 2022. Dans la collection « Arcades » paraît également en mai 2022 Poétique du silence, un volume regroupant quatre essais de Stefan Hertmans sur la modernité poétique dans ses rapports au langage et au mutisme, concentré de ses réflexions sur les oeuvres de Hölderlin, de Paul Celan et De W.G. Sebald notamment.
En savoir plus sur les masterclasses littéraires : https://www.bnf.fr/fr/agenda/masterclasses-en-lisant-en-ecrivant
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