Atemwende (
Renverse du souffle) désigne en allemand le moment précis où s'inverse le mouvement de la respiration, ce basculement entre le passage de l'air que nous ravalons sans cesse (l'inspiration) et celui que nous propulsons au-dehors (l'expiration). L'atemwende gît dans cet entre-deux, dans la régularité de la renverse, sa mesure ou ses cassures de rythme, qui révèle l'existence particulière des mots nés du souffle.
Les
poèmes de
Renverse du souffle ont été écrits durant les deux années qui ont suivi le premier internement psychiatrique de
Paul Celan, entre 1963 et 1965. Publiés à Francfort en 1967, les textes de
Renverse du souffle sont très représentatifs de l'oeuvre poétique et du style de
Paul Celan.
Des
poèmes de forme plutôt courte, d'apparence assez dysharmonique, dissonante et un sens difficile à saisir.
" SOLEILS-FILAMENTS
au-dessus du désert gris-noir.
Une pensée à hauteur
d'arbre
attrape le son de lumière : il y a
encore des chants à chanter au-delà
des hommes. "
Paul Celan niait que dans ses
poèmes figure une dimension auto-biographique. Et pourtant, deux éléments de sa vie vont profondément marquer son écriture.
Né de parents d'origine juive, tous deux germanophones, le jeune Paul Antschel était profondément attaché à sa mère. Friederike Anstchel née Schrager, lui transmis très tôt la passion de la langue allemande. de ses premiers écrits (il avait alors 17-18 ans) jusque dans ses derniers
poèmes,
Paul Celan restera fidèle à cette langue maternelle.
En contrepoint à cet apprentissage, à ce lien indéfectible avec la langue, va survenir un événement tragique.
En 1942, ses parents alors résidents à Cernăuți, une petite ville de Bucovine (région située en Roumanie à l'époque), sont tous les deux arrêtés par les nazis et déportés dans un camp de concentration. Son père y mourra du thyphus et sa mère sera exécutée d'une balle dans la nuque.
Absent lors de leur arrestation, la disparition de ses parents va profondément marquer
Paul Celan. Comme un trauma, cette expérience fondamentale va rapidement influer son écriture. Elle ne cessera jamais de le faire jusque dans ses derniers
poèmes.
L'impossibilité, le refus de faire le deuil est une constante dans l'oeuvre de
Paul Celan. Ce n'est pas une poésie de la résilience, de la consolation. C'est une poésie qui maintient la douleur ouverte, à vif. Prenant son origine dans le drame de la Shoah, elle est l'expression de la détresse humaine au travers de la sienne.
Dans cette poésie dissonante, presque impénétrable,
Paul Celan rend compte de la douloureuse expérience d'une langue double, d'une langue qui le ramène à son enfance, mais qui est aussi celle des bourreaux, des meurtriers de ses parents. L'amour de la langue allemande d'un côté et toute l'étendue de sa perversion, de son dévoiement de l'autre.
De là naît une poésie dissonante, une contre-langue ou un contre-discours, à la forme syntaxique déconstruite, brisée, qui déjoue les tentatives de représentation, d'appropriation.
Paul Celan ne délaissera jamais l'allemand, une langue à laquelle le poète reste attaché mais aussi détaché. Une ambivalence qui nourrit sa poésie, ce mouvement d'intériorisation et d'expulsion, ce renverse(ment) du souffle.
" AVEC LES PERSÉCUTÉS en alliance
tardive, et non
tue,
radieuse
La sonde du matin, recouverte d'or,
se colle à ton
talon qui avec eux
prête serment, avec eux
racle, avec eux
écrit. "
La poésie de
Paul Celan est un lieu de confluence où se rejoignent l'absurde, le drame de l'existence et l'attachement secret qu'elle suscite pourtant en chacun de nous. Elle est ce point d'équilibre précaire, cette clairvoyance particulière que porte en lui tout grand poète.
"[...] le monde est parti. Il faut que je te porte."