Choisir un livre sur sa couverture est toujours un pari risqué. Et c'est bien la couverture de ce "
carnaval" qui m'avait attiré l'oeil, une tête de mort souriante sur un fond noir et sépia et quelques mots, la Nouvelle Orléans, le jazz, un mystérieux tueur. J'ai bien fait de me laisser tenter car le contenu est aussi réussi que le contenant.
Dans la Nouvelle Orléans de la fin des années 10, un tueur à la hache terrorise la population. Plusieurs personnages vont être amenés à mener l'enquête.
Dans sa volonté de dresser le portrait d'une ville à travers une intrigue foisonnante, touffue, aux nombreux personnages, explorant tous ses sombres aspects, "
carnaval" m'a fait penser à du
Ellroy et à ses noirs portraits de Los Angeles. Si Celestin est moins brillant que celui-ci, il est aussi plus humble (il faut reconnaître que l'humilité n'est pas le point fort du mad dog, mais il peut se le permettre, on est d'accord). Il y a aussi plus de gentillesse chez
Ray Celestin. Là où chez
Ellroy on sent une relation étrange avec Los Angeles, une relation de dépendance presque haineuse, comme s'il ne pouvait lui échapper, Celestion porte un regard très doux sur la Nouvelle Orléans.
Oh, tout n'est pas rose dans la Nouvelle Orléans de "
carnaval", le racisme est ancré dans les esprits, la mafia a des accointances avec le pouvoir local, une grande part de la population vit dans la pauvreté... Et pourtant, Celestin, tout en explorant les côtés obscurs de la ville, garde un regard presque émerveillé pour celle-ci. Car la Nouvelle Orléans a une âme. Son âme, c'est ce mélange de cultures qui imprègne la cuisine, la langue, la façon de vivre. Son âme, c'est son côté rebelle qui lui a toujours valu d'être une ville à part, pas tout à fait complètement américaine. Son âme, c'est surtout sa musique. le jazz est partout et tout le temps, des clubs aux enterrements, jusque dans une lettre écrite par le tueur. Ici, tout commence et tout finit en musique. le jazz habite la Nouvelle Orléans. le jazz est la Nouvelle Orléans.
Cette tendresse de l'auteur pour la ville se retrouve dans le traitement des personnages. Dans un roman chorale, la caractérisation des personnages est essentielle. Celestin réussit parfaitement à créer une galerie d'hommes et de femmes inoubliables. Que ce soit Michael, le flic intègre ayant une vie secrète ; Ida, la jeune métisse opiniâtre employée chez Pinkerton ; Lewis (Louis) Armstrong qui va, avant de devenir le génie que l'on sait, l'aider dans son enquête armé de son courage et de son coeur ; Luca, l'ex-flic pourri tout juste sorti de prison, brisé ; Simone, mystérieuse créole vivant dans les marais, soignant les corps et les âmes... Tous sont très bien campés, terriblement attachants. Les quitter lorsqu'on referme le livre est un déchirement.
Les personnages secondaires ne sont pas en reste. Effrayants, révoltants ou émouvants, ils complètent joliment le tableau.
Quant à l'intrigue, elle est admirablement bien menée. Très dense, mais toujours claire dans ses développements, elle avance sur un rythme trépidant, offrant surprises et émotions.
"
Carnaval" est un gros gros coup de coeur. J'ai été emportée par son efficacité et son humanité.
Et dire que c'est un premier roman !
Challenge Musique 4