AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
4,11

sur 230 notes
5
7 avis
4
7 avis
3
2 avis
2
1 avis
1
0 avis
ISBN : 978207038148

Prévu dès 1936, "Guignol's Band" sortit chez Denoël en 1944, alors que Céline envisageait de fuir la France. Passons sur l'accueil reçu par le texte et passons d'ailleurs sur une vingtaine d'années puisque c'est en 1964, que "Guignol's Band", connu comme "Guignol's Band II" et incluant à la fois le roman originel et sa, disons, sa deuxième partie, sous-titrée "Le Pont de Londres", allait paraître sous sa version définitive. Un peu plus de sept-cents pages chez Folio-Gallimard, avec un style qui, lui aussi, est devenu quasi définitif. C'est une débauche de points de suspension, d'éructations diverses, d'imprécations pleines de fureur et de tonnerre, avec une galerie de personnages dont beaucoup m'ont fait penser à la scène du bordel dans l'"Ulysse" de Joyce dont j'ignore d'ailleurs si Céline l'avait lu. (J'ignore aussi tout du contraire.)

Si résumer un roman de Céline est chose pratiquement infaisable, en tout cas de manière satisfaisante et surtout si l'on s'entête à conserver soi-même un ton classique, on doit reconnaître au "Voyage ..." et même à "Mort A Crédit" un certain nombre de fils directeurs, qui, vaille que vaille, nous permettent de préserver nos points de repère. Avec "Guignol's Band", tout cela disparaît : on passe, si l'on ose le dire au sujet de la prose célinienne, au niveau supérieur. Oh ! rassurez-vous, l'auteur sait très bien où il va mais, du début jusqu'à la fin, il joue avec vous et s'amuse à vous donner l'impression absolue du contraire et qu'il vous raconte une histoire sans queue ni tête.

"Guignol's Band", ce sont les années british de Céline. Rien à voir avec la fin d'adolescence qu'il traîne dans "Mort A Crédit" , le long des couloirs glacés de l'établissement privé - et complètement perdu, dirait-on, au bout du monde - où, désespérant de ce fils qui finira, ils en sont persuadés, sur l'échafaud, ses parents se sont décidés à l'expédier au moins pour qu'il apprenne l'anglais moderne, lequel, à la différence de celui utilisé couramment par Shakespeare, est précieux pour le commerce. Non, dans "Guignol's Band", c'est plutôt l'anglais crapouilleux, l'argot des demi-sels, une apothéose de vertigineuses éjaculations verbales, qui culmine sous le feu (oh ! la belle rouge ! oh ! la belle verte !) des zeppelins. Notre Ferdinand affirme bien haut avoir ici vingt-deux ans et filer le parfait amour avec une fille - plutôt délurée mais de bonne famille - âgée pour sa part de ... quatorze ans. Au point que, à la toute fin, voilà la pauv' Virginie en cloque et que l'heureux papa ne serait autre que Ferdinand !

Mais avant d'en arriver là, sept-cents pages, je vous dis ! Un sacré paquet, c'est dire, qui commence dans la pègre et finit de même avec un long, très long intermède au coeur une famille complètement louftingue - celle de Virginie, avec son oncle, le colonel Cologham et toute une ribambelle de domestiques. Parce que, chez le colon, comme prend très vite l'habitude de le nommer Ferdidand, pour de l'oseille, il y en a ! Et du luxe ! Et de l'argenterie que c'est à se perdre quand on se demande quel couteau choisir ! Et les verres, les cristaux ! Sans oublier les lustres ! le confort, la soie, le velours, le douillet partout, partout ...

Encore peut-on se demander de bonne foi si, entre Cologham et Sosthène de Rodiencourt, un ancien prestidigitateur qui n'aime rien tant que s'habiller en Chinois et se promener ainsi dans Londres, attirant de mille manières la curiosité des badauds, ce dernier n'emporte pas la palme. Si nous avions fini, dans "Mort A Crédit", par être mis au courant du patronyme, tout ce qu'il y a de plus humble, de l'inoubliable Courtial des Péreires, il n'en sera point de même pour Sosthène. (Notez qu'il ne se suicidera pas non plus .) Ayant encore tout à découvrir de Céline, je ne saurais dire s'il a vraiment existé un modèle du personnage mais, si tel est le cas et si Céline est resté relativement raisonnable dans sa description de l'individu, on peut affirmer sans mentir qu'il avait le chic pour attirer les excentriques les plus fous - et même les tarés.

Comment évoquer Sosthène - qui est français, d'ailleurs - sans parler de sa Pépé, qu'il a épousée tout ce qu'il y a de plus légitimement et qui lui a servi d'assistante pendant vingt ans sur toutes les plus grandes scènes d'Europe - avant de rétrograder dans les salles de patronage . Aussi loufoque que son légitime, Pépé aime le sexe à la folie et, tous les jours, fait son affaire au jeune laitier londonien de quinze ans qui, d'ailleurs, ne demande pas mieux. Elle essaie aussi avec Ferdinand et leurs enlacements et délacements ressemblent tellement, en tous cas par le phrasé célinien, aux complexités d'Angkor que, en toute honnêteté, je ne saurais vous dire si elle parvient vraiment à ses fins . le plus étonnant, c'est qu'on se demande si Ferdinand lui-même est au courant ...

Toutes les fois que Sosthène, engagé par le colon pour tester des masques à gaz, a besoin de se replonger dans "les Végas des Stances" - une espèce de livre mi-hindou, mi-zen, mi-on ne sait trop quoi et attention : je pourrais ajouter un quatrième "mi" si vous m'énervez avec des considérations mathématiques - par exemple, il expédie Ferdinand le réclamer à Pépé. Après de multiples torsions et contorsions, Ferdinand le Dévoué parvient enfin à récupérer cet ouvrage sacré qui, si l'on en croit un Sosthène de Rodiencourt au bord de la rupture mentale, est le seul à pouvoir permettre aux modèles de masques à gaz créés par le colon d'avoir une chance de remporter le concours. (Oui, il y a aussi un concours, organisé par Sa Très Gracieuse Majesté mais si vous voulez en savoir plus, faites un effort : lisez Céline en cessant de faire la moue et de le traiter de grossier parce qu'il surnommait Sartre "Tartre" et qu'il a fini, en toute simplicité, à le faire entrer dans l'Immortalité sous le nom de "L'Agité du Bocal." )

"Les Végas" récupérés, Ferdinand n'en a pas fini avec les contorsions et les danses car, pendant que Sosthène se livre à diverses figures de ballets pseudo-orientaux pour invoquer la bienveillance, notamment, d'un certain "Goâ", lui doit fournir l'accompagnement musical (à l'aide de manches de brosses-à-dents ou de baguettes diverses), et en suivant un rythme bien spécial.

Sinon, pas de Goâ : rien que l'échec calamiteux.

Tandis que le lecteur se demande s'il doit s'écrouler de rire ou si Ferdinand lui-même ne tourne pas au foldingue complet, notre héros nous distrait en parallèle en nous décrivant ses "amours" avec Virginie. Je vous arrête tout de suite : il est sûr que c'est un peu salace mais tout cela est présenté dans un univers de "Pays des Merveilles" complètement distordu et peuplé d'êtres ma foi si bizarres que, quand on y réfléchit, on n'a guère le temps de s'y attarder.

En arrière-plan, toujours la pègre qui poursuit Ferdinand depuis le début et l'incendie où a trouvé la mort un usurier du nom de van Bladen. Des silhouettes qui bougent, rampent, jaillissent, s'effacent, un "Mille-Pattes" que notre Bardamu est pourtant persuadé d'avoir fait choir au bon moment sous une rame du "Tube" londonien. Des endroits louches, brouillards et embrouillaminis mêlés, le "Touit-Touit Club" où un Mille-Pattes ressuscité fait le fou sur les murs et au plafond tout à fait à la manière dont Jeff Goldblum interprète "La Mouche" pour Cronenberg, toute une ribambelle de filles publiques laissées en garde à Cascade (un autre Français et ami en principe de Ferdinand) par leurs "hommes" partis s'engager pour se battre en France, une Bigoudi qui préfère plutôt la motte (c'est le langage de Ferdinand, non le mien), qui tombe raide amoureuse de la petite Virginie dont je ne me rappelle absolument plus ce qu'elle fait là, au "Touit-Touit" (sinon bien s'amuser car la gosse est singulièrement dessalée, vous pouvez m'en croire, à s'imaginer que, entre son "oncle" et elle ...)

Et puis, éternels, à demeure, on les entend dès le "Voyage ..." et on les entendra encore, les bourdonnements provoqués par la balle restée derrière l'oreille de Bardamu au temps où il combattait lui aussi en France. Et puis les crises, les hallucinations qui le prennent aussi - et qui, elles, semblent par contre antérieures à la Première guerre mondiale. Ce sont elles peut-être les plus terribles car on ne sait trop si tout ce que voit notre héros est vrai ou s'il ne s'agit pas, le plus souvent, de cauchemars. N'oublions pas la paranoïa qui se développe chez lui - il le reconnaît volontiers - et une excentricité congénitale où elle ne peut que croître et embellir.

"Guignol's Band", littéralement la "troupe" ou l'"orchestre" du Guignol, est une ronde formidable, qui éclate de folie et de cynisme, qui oppose la froideur parfois très raisonnable d'un Ferdinand à qui on ne la fait pas mais qui feint la naïveté à une belle flopée de démences : celle de de Sosthène, bien sûr, celle, plus ricanante, plus sadique encore du colon, celle, à la fois formidable, incroyable et répugnante, de "Mille-Pattes" et celle, terriblement organisée, de Cascade. Il faut dire que, tout autour d'eux, le monde est fou. Alors, pourquoi les hommes ne le seraient-ils pas eux aussi ? Les zeppelins illuminent le ciel de Londres ; Big Ben carillonne avec fureur ; les ruelles et les étals d'une ville que Céline ne reverra plus jamais comme il les vit jeune homme, serpentent et reserpentent, se perdent, se reperdent, s'étrécissent, s'escamotent ... ; dans le caniveau ou dans les draps douteux, le sexe s'en donne à coeur joie parce qu'il redoute que ce ne soit pour lui la dernière fois et que la Mort n'empuantisse tout le monde de son sceau, lui le premier - comme cet immonde Mille-Pattes qui, aux yeux de Ferdinand (et aux nôtres) a tout du zombi, y compris les fragrances aussi répugnantes que sinistres ; l'argent fait comme d'habitude : il se laisse courir après ou il s'endort sur place, chez ceux qui ont de la chance ; aux pages qu'un Rabelais n'eût pas reniées, succèdent les émotions poétiques de Céline nous parlant de la Tamise, de l'Eau toute puissante, de l'Eau pourrissante mais aussi de l'Eau qui purifie tout ; la tempête souffle sur nous et nous emporte. Il ne nous manque plus que Mary Poppins, revue et corrigée à la manière Céline, avec son parapluie à bec de canard transformé en godemichet géant, l'horrible Vieille Sorcière de l'Ouest voulant baiser à peut près tout le monde, mâles et femelles, se joignant à cette vaste, cette énorme, cette époustouflante saturnale avec, en prime, une bande d'angelots-diablotins prêts à se délurer.

C'est du Céline, du pur de pur, du fil-en-quatre : cramponnez-vous à la bouteille et buvez, buvez jusqu'à plus soif. Céline : la seule gueule-de-bois qui vous fera toujours du bien. ;o)
Commenter  J’apprécie          322
Avant celui-ci, le dernier Céline que j'ai lu était D'un château l'autre, que je n'avais que modérément apprécié, sentiment qui ne peut être imputable qu'à une mauvaise lecture, car j'adore ce style, il me semble impossible de ne pas l'avoir aimé, c'est une écriture phénoménale.


Guignol's band se déroule dans Londres, je ne pense pas qu'il soit nécessaire de vous faire un résumé de l'histoire, car celle-ci est tellement décousue et impromptue qu'elle ne peut qu'être découverte avec son auteur.
Beaucoup d'auteurs -je pense notamment à Foucault- considère que le style doit être au service de l'idée ou l'histoire exprimée dans le livre, que celui-ci doit simplement agir comme un excipient pour mieux permettre l'assimilation de cette dernière, que la forme doit presque disparaître afin de laisser au fond la pleine expression. Céline ne pense pas comme ça.
Pour Céline et particulièrement pour ce roman -je ne prétends pas avoir une connaissance exhaustive de son oeuvre, du moins pas encore,ce n'est que mon sentiment-, j'ai l'impression que justement le fond n'est là que pour permettre la forme. Que l'histoire existe afin de faire surgir le style. Et quel style ! Il a sans doute raison de penser ainsi, en ce qui concerne son oeuvre tout du moins, car elle est incroyablement expressive, tant dans la haine qui l'habite que dans l'amour.
L'émotion ! Voilà ce qui domine et ce que Céline voulait faire dominer, si elle était plutôt négative dans Mort à crédit -car le Voyage est toujours très proche du style conventionnel, quoiqu'on en dise-, une autre, positive, semble exister dans Guignol's band ; celle de l'amour. Ça reste du Céline, tout ça reste crasseux et sombre, mais quel plaisir de voir ce sentiment décrit avec une telle plume, ça change des éternels comparaisons et métaphores dont regorge la littérature à ce sujet.

Il faut être accoutumé à l'univers du sieur Destouches afin d'apprécier cet ouvrage, d'abord pour, encore et toujours, cette révolution stylistique qui est ici encore plus poussée que dans Mort à crédit -qui y était déjà plus poussée que dans le Voyage- ; mais également pour cette grandiloquence, pour cette exagération permanente, pour cette hallucination constante, car oui, tout ce qu'il nous raconte est halluciné et hallucinant. Il m'est souvent arrivé, au cours de la lecture, de me dire que quelques pages plus loin, Ferdinand se réveillerait dans son lit, et que tout ce qu'il vient de me décrire était un rêve ou un cauchemar, mais non, ce n'était que la description du délire dans lequel il se trouve, un délire que j'adore.


Ce n'est ni le plus connu ni le plus abordable des romans de Céline, il s'agit d'une sorte de "pont" entre ses premières oeuvres, la coupure de la guerre et des pamphlets, et sa trilogie allemande. Durant toute cette évolution, le style s'affute, se précise, se crée sous nos yeux ; il est primordial de prendre en compte la parution chronologique.
Si vous avez la capacité à entrer dans ce délire, cette hallucination, à apprécier ce style, lisez-le. N'espérez pas y trouver de grandes considérations sur la nature humaine comme on peut en trouver dans le Voyage, non, vous n'y trouverez qu'un style délirant -davantage qu'un délire stylisé.
Ce n'est pas un chef-d'oeuvre pour Céline en ce sens qu'il n'est pas son roman le plus marquant, mais c'est un chef-d'oeuvre pour la littérature en ce sens que Céline a révolutionné cette dernière et qu'une telle puissance évocatrice ne peut que nous retourner.
Commenter  J’apprécie          222
Ferdinand est mutilé pendant la première guerre mondiale, à 80%, et donc réformé. À l'hôpital, un de ses camarades de chambre a juste le temps de lui donner l'adresse de son oncle Cascade à Londres, avant d'être fusillé pour mutilation volontaire.

Ferdinand se rend donc à Londres en compagnie de Boro, un chimiste peu fréquentable fasciné par les explosifs, chez Cascade. Celui-ci, proxénète important, se retrouve avec toutes ses filles sur les bras, ses souteneurs partant un à un pour la guerre. C'est le début d'une longue errance pour notre héros, qui va rencontrer des personnages plus fantasques les uns que les autres : un usurier obsédé par la musique, un Français fasciné par les rites hindous, un général qui se lance dans la construction de masques à gaz, … Pour ne rien arranger, Ferdinand tombe même follement amoureux de la nièce de ce dernier, âgée de seulement treize ans.

Ce récit est assez étrange : Ferdinand est paranoïaque, il craint tout le long du récit des rencontres avec la police, avec ses anciens amis qu'il a laissé en plan, … il est pris de délire, d'abord par la drogue et l'alcool, mais plus le roman avance, plus il est difficile de déterminer où s'arrête la réalité et où commence les hallucinations. À tel point qu'aux deux tiers du roman, j'ai dû faire quelques recherches, persuadé d'avoir manqué quelques moments clés de l'intrigue...

Si l'histoire m'a glissé entre les doigts, le style est par contre un vrai régal : sombre, haché, brutal.
Commenter  J’apprécie          150
C'est pour rire...!
En tout cas moi c'est comme ça que je le vois.
Effectivement style personnel, histoire délirante, un peu floue sur certains points. Mais et ça je pense que c'est capital, il a servi d'exemple à M. Audiard.
Pour ceux qui ont vu certains de ses films, les livres de Céline sont incontournables, franche rigolade assurée, et c'est rare très rare un livre qui fait bien marrer.
Prenez du plaisir positif !... lisez...!
Commenter  J’apprécie          140
CRITIQUE DU VOLUME 1

Difficile en quittant Céline d'écrire à son tour. Il est de ces auteurs qui paralysent autant qu'ils encouragent ; étendant le possible de l'écriture romanesque, il montre aussi la vanité de toute imitation. Tout auteur qui s'essayerait à gonfler son texte des fameux « trois points », les agrémentant ci et là de joyeux points d'exclamations, de « Merde ! » et de « plof ! », ou de tout autre crachat verbal de son invention, serait grotesque, caricatural ; condamné à imiter, peut-être avec talent, certainement sans intérêt. Pourtant la tentation est là d'écrire quelque chose de proche. Personne ne raconte comme Céline, et l'on ne sait pas avant de le lire que la chose est possible. On voudrait étendre les richesses de cette écriture romanesque – mais Céline la pousse à l'extrême et coupe l'herbe sous le pied des héritiers. On rit, on s'extase, on s'ennuie parfois ; mais la vague célinienne, féérique et sinistre, reprend le lecteur dans un nouveau délire, le dépose en un feu d'artifice langagier, à la limite de l'écoeurement, dans quelque gargote anglaise où se croise une flopée de personnages littéralement incroyables.
Guignol's Band I a été publié en 1944 aux Editions Denoël. Flairant l'épuration, Céline délivre à son éditeur cette première partie, agrémentée d'une légendaire préface où l'on croirait entendre Céline boucler ses valises. « Il a fallu imprimer vite because les circonstances si graves qu'on ne sait ni qui vit qui meurt ! Denoël ? vous ? moi ?... ». Denoël est assassiné l'année suivante.
La deuxième partie, Céline l'écrit dans la foulée : elle ne sera publiée dans une version primitive qu'à titre posthume, en 1964. Il faudra attendre encore vingt ans pour découvrir le dernier état du manuscrit. Guignol's Band I et II peut donc être lu comme un tout, mais c'est bien comme un roman magnifiquement inachevé que les lecteurs le découvrirent alors. Et la fin, qui semble n'en être une que parce que l'auteur l'a décidé ainsi, sans que la narration ne le justifie, n'est finalement pas moins abrupte que celle de Mort à Crédit, roman que l'on ne soupçonnerait d'aucune incomplétude. C'est que Céline n'écrit pas ici une histoire qu'il déroulerait sur trois-cent pages ; il offre une succession d'hallucinations liées les unes aux autres par les pérégrinations hasardeuses d'un narrateur malléable. Aucune conclusion. Juste une succession de plaisanteries coupées au lyrisme.
Ce roman de Céline est probablement le meilleur des trois premiers. Guignol's Band se lit pour l'essentiel comme les aventures d'un clochard sous métamphétamines. Pas de pessimisme appuyé par des aphorismes : Voyage au bout de la nuit, déjà, semble bien dépassé. le narrateur déambule dans le Londres des années 1910, entre un mac, des prostituées, un prêteur sur gages, un Chinois Européen dont on ne comprend pas grand-chose : autant de personnages qui se ressemblent, parlent à peu près pareil comme chez n'importe quel mauvais romancier. Mais Céline a trouvé la parade : tout le récit est raconté par l'intermédiaire de ce narrateur peu fiable, dont on ne sait rien sinon que, mutilé de guerre, il souffre d'une paranoïa excessive qui lui fait voir les autres comme des dangers potentiels – tous semblables, tous fous. Difficile de savoir si le monde évoqué par Céline est véritablement pourri, rongé par une sexualité débridée, vérolée, ou si le cerveau extraordinaire du narrateur n'est pas plutôt un formidable amplificateur qui lui fait voir des êtres et des choses n'existant que dans le roman. Toujours est-il qu'il nous emporte, dans une prose explosive, tremblante entre l'argot et les exclamations diverses, au service d'un récit tourbillonnant. Pour la première fois dans l'oeuvre de Céline l'on songe à Boris Vian : mêmes séquences de délires sexuello-comiques, même tristesse sous-jacente, même incursion, parfois, d'un fantastique étrangement assimilé par les personnages d'un univers presque réaliste. Refus, aussi, des idées : Guignol's Band ne délivre pas de message. C'est une fête sinistre, une expérience esthétique spécifiquement littéraire qui repousse les frontières du genre ; libre à nous alors d'en faire quelque chose ou de n'en garder rien.

Commenter  J’apprécie          90
Oeuvre difficile mais quel plaisir ! Si vous n'avez jamais lu de Céline, commencez plutôt par le Voyage ou Mort à Crédit (de préférence dans cet ordre), ou D'un Château l'Autre (si vous cherchez plus de réalisme) car le style du Guignol's band est poussé à l'extrême et demande autant de souffle dans sa lecture que Céline en a dû en mettre à l'écrire. Une fois cette barrière franchie : aucun livre ne m'a fait rire comme celui-ci (et même rire tout haut...). Je garde le souvenir d'une explosion ahurissante, d'un port de Londres, d'une fillette angélique, d'une bande de timbrés plus fous les uns que les autres, et d'un délirant appel téléphonique qui s'étale sur quelque chose comme 100 pages à se tordre. Bref : un livre à part, unique en son genre, même au sein des livres de Céline. Un des rares romans que je me suis promis de relire un jour.
Commenter  J’apprécie          80
Comme tous les ouvrages de LFC, ce livre est en grande partie autobiographique.

Rédigé après le voyage et après mort à crédit, l'auteur n'avait plus rien à prouver et s'est complètement lâché dans l'écriture. Pour moi, c'est le roman le plus abouti au niveau du style de Céline: plus aucune retenue au point qu'on se demande si l'auteur se soucie qu'on comprenne ses phrases.
Cela donne lieu à un rythme inconstant, à un vocabulaire de plus en plus délié, riche et hétérogène et surtout à une déconstruction de la phrase, de syntaxe.
Mais quand Céline déconstruit, c'est pour reconstruire après, pour construire quelque chose de mieux, d'inédit.
Guignol's band c'est un autre français, plus franc, moins lourd, qui touche directement au coeur, aux tripes, à la cervelle.

Il écrit comme on parle mais on ne pourra jamais parler comme il écrit.

S'il y a un Céline à lire, c'est bien Guignol's Band. Bien que le récit soit moins intéressant que le voyage, ce livre reste le plus accompli. de toute façon, on ne lit pas Céline pour ses histoires mais pour son écriture !
Commenter  J’apprécie          61
Troisième roman de ce ci controversé Céline, "Guignol's band" est tel que son tître l'indique : la description décousue d'une bande de zozos dans le Londres des années 1915-1916. Nous sommes dans les bas-fonds, avec toute sa clique de personnages peu reluisants, maquereaux, prostituées, tous venus se réfugier en Angleterre en attendant que les temps se calment. Et au milieu, le réformé Ferdinand...
A part cela, pas d'action, si ce n'est que le héros tombe amoureux d'une adolescente bien délurée, Virginie à la cuisse brune (et légère), et va largement au-delà de ce que la loi aujourd'hui autoriserait. Sinon l'interêt se situe dans l'écriture : fini la phrase classique, le signe de ponctuation est roi et prétexte à n'en achever aucune. Cela donne un style frénétique, haché, plus intéressant à lire à voix haute et terriblement fatiguant parfois. On peut sauter quelques pages, faire des allers-retours, pas de différence. Peut-être est-ce un fidèle reflet de l'esprit tourmenté de l'époque. Perso, je préfère nettement "Voyage au bout de la nuit".
Lien : http://lapetitesteph.blogspo..
Commenter  J’apprécie          62
Les aventures d'un jeune homme, Ferdinand, dans Londres, pendant la 2e guerre, allant de mésaventures en quiproquos, convalescent depuis sa participation à la Première Guerre. Bien que ce roman semble emboiter le pas à « Mort à Crédit » et « Voyage au bout de la nuit », je n'y ai pas trouvé le même intérêt. Aucune comparaison non plus — pour moi — avec la trilogie de l'exil. Je n'ai pas saisi l'intérêt de ce livre : je n'y ai pas discerné comme dans les autres livres de Céline une correspondance avec une réalité historique, familiale, relative à sa vie ou à un contexte. Même si le style est là, même si la fin m'a plus accroché, rarement un roman aura été aussi soporifique et difficile à suivre pour moi.
Commenter  J’apprécie          60
Cette critique concerne uniquement la version initiale du tome I, publiée trop vite en 1944. Céline s'en explique en quelques pages de postface : « il a fallu imprimer vite because les circonstances si graves… » ; l'écrivain avait en projet trois volumes mais seul le tome I fut publié de son vivant, tandis que le tome II serait exhumé vingt ans après par Gallimard sous le titre « Le pont de Londres ». La genèse de l'oeuvre est mieux connue aujourd'hui grâce à l'édition Pléiade des romans.
Un chapitre inaugural en forme de prologue sans rapport apparent avec l'histoire d'après, et l'on entre dans le récit comme par une porte dérobée. Dans le Voyage au bout de la nuit, le lecteur suivait les aventures de Bardamu qui s'était engagé sur un coup de tête dans l'armée et par conséquent la Grande Guerre, tandis qu'ici le héros/narrateur se débat dans l'Exode de 1940 à Orléans, essaie de traverser la Loire sous les attaques aériennes, et puis sans transition nous emmène à Londres pour conter des épisodes picaresques datés (explicitement) de 1916/1917, autour d'un proxénète réformé du service armé, d'un pianiste anarchisant, et d'une bande de prostituées hystériques, tous poursuivis par les Bobbies. J'avoue ne pas avoir retrouvé là le charme du Voyage, et du coup réapprécie la place de Céline dans mon Panthéon personnel : quoique généralement jugé un auteur majeur de la littérature contemporaine, cette suite d'incartades et d'échauffourées servies dans une langue jaculatoire tendrait plutôt à me faire resituer le romancier dans une honnête moyenne expérimentale de l'entre-deux-guerres, du côté de Queneau (celui de Zazie et de Sally Mara) et du Gombrowicz de Ferdyduke. de là à en faire le troisième pilier de la littérature au XXeme siècle avec Proust et Joyce, il y a un pas que je ne franchirai pas : aucune perspective philosophique, de la faconde c'est entendu, mais depuis Rabelais était-ce si novateur ? La vision politique reste obstinément négative, hostile à tout engagement - bien dans l'esprit d'une France à L'Etrange Défaite (Marc Bloch), qui a réduit ses capacités combatives à une agressivité de roquet, et ses héros littéraires à de sympathiques mais plutôt minables exclus.
Le mode narratif est certes intéressant, une ligne fantaisiste à la Sterne, mais plutôt quelques coudées au-dessous en ce qui concerne l'intérêt des épisodes : franchement ces bagarres de comptoir de pub anglais, ces échanges salaces ne mènent pas très loin. On rit toujours bien sûr, mais ce qui à mon sens sauve le roman, ce sont les descriptions sans pareilles de Londres : de véritables tableautins de la Tamise et des docks embrumés. Un extraordinaire passage avec l'anarchiste Boro au piano montre aussi combien le fameux style célinien parvient à mimer tous les rythmes et pourrait toucher juste s'il s'élevait tant soit peu au-dessus de ses pochades, jusqu'à l'essence de la musique. Mais comme le sentiment poétique se trouve rejeté a priori par l'auteur, qui devait mépriser ces faiblesses « de gonzesse » et se pique absolument de cynisme, il s'agit donc seulement d'aspects accessoires à ses yeux et l'on peut le regretter. A propos de féminité, le statut de la femme dans ce livre me paraît déplorable : il est difficile d'accepter aujourd'hui de voir la vocation féminine réduite au commerce du corps et les meilleures espérances sociales de ces dames à celles d'une promotion en tant que souteneuse (« mère maquerelle »).
Ayant recherché un peu les circonstances de publication, je suis tombé sur ces lignes de François Nourrissier, que je fais miennes bien qu'elles visent exclusivement le tome II, paru posthumément :
« Le lyrisme de l'écrivain, son invention, ses explosions, sa fureur, employés au simple déroulement d'une intrigue, donnent l'impression d'une énorme machine qui patine, s'emballe, ronfle en vain, sans que le livre, immobile, embourbé, avance d'un pouce. de ce torrent encore prodigieux, soudain, c'est une certaine pauvreté qui nous frappe. Nous remarquons les tics d'écriture, dénombrons les mots inlassablement répétés. La préciosité nous gêne. Ce n'est plus toujours éblouissant, et c'est gratuit. Au fond, l'histoire nous ennuie, et le style célinien, quand il n'est plus sous-tendu par la révolte ou l'émotion, tourne à l'autopastiche. »
François Nourissier, "Le Pont de Londres de LF Céline", in Les nouvelles littéraires, 9 avril 1964. 
Commenter  J’apprécie          50





Lecteurs (660) Voir plus



Quiz Voir plus

Quiz Voyage au bout de la nuit

Comment s'appelle le héros qui raconte son expérience de la 1ère guerre mondiale

Bardamu
Bardamur
Barudamurad
Barudabadumarad
Rudaba Abarmadabudabar

9 questions
1300 lecteurs ont répondu
Thème : Voyage au bout de la nuit de Louis-Ferdinand CélineCréer un quiz sur ce livre

{* *}