ILES
Iles
Iles
Iles où l'on ne prendra jamais terre
Iles où l'on ne descendra jamais
Iles couvertes de végétations
Iles tapies comme des jaguars
Iles muettes
Iles immobiles
Iles inoubliables et sans nom
Je lance mes chaussures par-dessus bord car je voudrais bien aller
jusqu'à vous
Ce ciel de Paris est plus pur qu'un ciel d'hiver lucide de froid
Jamais je ne vis de nuits plus sidérales et plus touffues
que ce printemps
Où les arbres des boulevards sont comme les ombres du ciel,
Frondaisons dans les rivières mêlées aux oreilles d'éléphant,
Feuilles de platanes, lourds marronniers.
Un nénuphar sur la Seine, c'est la lune au fil de l'eau
La Voie Lactée dans le ciel se pâme sur Paris et l'étreint
Folle et nue et renversée, sa bouche suce Notre-Dame.
La Grande Ourse et la Petite Ourse grognent autour de Saint-Merry.
Ma main coupée brille au ciel dans la constellation
d'Orion.
Extrait de "Au coeur du monde - fragment retrouvé"
ORION
C'est mon étoile
Elle a la forme d'une main
C'est ma main montée au ciel
Durant toute la guerre je voyais Orion par un créneau
Quand les Zeppelins venaient bombarder Paris ils venaient
toujours d'Orion
Aujourd'hui je l'ai au-dessus de ma tête
Le grand mât perce la paume de cette main qui doit souffrir
Comme ma main coupée me fait souffrir percée qu'elle est par
un dard continuel
Trouées
Echappées sur la mer
Chutes d'eau
Arbres chevelus moussus
Lourdes feuilles caoutchoutées luisantes
Un vernis de soleil
Une chaleur bien astiquée
Reluisance
Je n'écoute plus la conversation animée de mes amis qui se partagent les nouvelles que j'ai apportées de Paris
Des deux côtés du train toute proche ou alors de l'autre côté de la vallée lointaine
La forêt est là et me regarde et m'inquiète et m'attire comme le masque d'une momie
Je regarde
Pas l'ombre d'un oeil
COUCHERS DE SOLEIL
Tout le monde parle des couchers de soleil
Tous les voyageurs sont d'accord pour parler des couchers de
soleil dans ces parages
Il y a plein de bouquins où l'on ne décrit que les couchers de soleil
Les couchers de soleil des tropiques
Oui c'est vrai c'est splendide
Mais je préfère de beaucoup les levers de soleil
L'aube
Je n'en rate pas une
Je suis toujours sur le pont
A poils
Et je suis toujours seul à les admirer
Mais je ne vais pas décrire les aubes
Je vais les garder pour moi tout seul
L'EQUATEUR
L'océan est d'un bleu noir le ciel bleu est pâle à côté
La mer se renfle tout autour de l'horizon
On dirait que l'Atlantique va déborder sur le ciel
Tout autour du paquebot c'est une cuve d'outremer pur
Quand tu aimes il faut partir
Quitte ta femme quitte ton enfant
Quitte ton ami quitte ton amie
Quitte ton amante quitte ton amant
Quand tu aimes il faut partir
(...)
Quand tu aimes il faut partir
Ne larmoie pas en souriant
Ne te niche pas entre deux seins
Respire marche pars va-t-en
(...)
Le monde entier est toujours là
La vie pleine de choses surprenantes
Je sors de la pharmacie
Je descends juste de la bascule
Je pèse mes 80 kilos
Je t'aime
(Extrait de "Tu es plus belle que le ciel et la mer")
Puis c'est la cataracte d'un pont métallique
La harpe martelée des aiguilles la gifle d'une gare le double crochet à la mâchoire d'un tunnel furibond
Quand le train ralentit à cause des inondations on entend un bruit de water-chute et les pistons échauffés de la cent tonnes au milieu des bruits de vaisselle et de frein
Le Havre autobus ascenseur
Dans le rapide de 19 H. 40
La Nuit monte
J'ai bien observé comment cela se passait
Quand le soleil est couché
C'est la mer qui s'assombrit
Le ciel conserve encore longtemps une grande clarté
La nuit monte de l'eau et encercle lentement tout l'horizon
Puis le ciel s'assombrit à son tour avec lenteur
Il y a un moment où il fait tout noir
Puis le noir de l'eau et le noir du ciel reculent
Il s'établit une transparence éburnéenne avec des reflets
dans l'eau et des poches obscures au ciel
Puis le Sac à Charbon sous la Croix du Sud
Puis la Voie Lactée
PARANAPIAÇABA
La Paranapiaçaba est la Sierra do Mar
C'est ici que le train est hissé par des câbles et franchit
la dure montagne en plusieurs sections
Toutes les stations sont suspendues dans le vide
Il y a beaucoup de chutes d'eau et il a fallu entreprendre
de grands travaux d'art pour étayer partout la
montagne qui s'effrite
Car la Sierra est une montagne pourrie comme les Rognes
au-dessus de Bionnasay mais les Rognes couvertes de
forêts tropicales
Les mauvaises herbes qui poussent sur les talus dans la
tranchée entre les voies sont toutes des plantes rares
qu'on ne voit à Paris que dans les vitrines des grands
horticulteurs
Dans une gare trois métis indolents étaient en train de
les sarcler