Blaise Cendrars, de ses aventures, voyages et souvenirs de guerre, n'a pas tiré que des romans, mais aussi de magnifiques poèmes. Lorsqu'il écrit, il se consume jusqu'à la cendre, d'où son nom de plume. Symboliste, il expérimente comme Apollinaire de nouvelles formes poétiques, mais la plupart de ses poèmes rompent avec les écoles et, mêlant imaginaire et réel, vers libres et prose au service de l'émotion, font surtout ressentir l'accélération du monde moderne en ce début de XXème siècle. Il participe à inventer un nouveau lyrisme en se faisant reporter photographe du monde qui l'entoure, tournant le dos au romantisme centré sur je je et le tu. Sa poésie a un côté brut, non polissé, qui peut déstabiliser le lecteur : dans du monde Entier, Les Pâques à New York annoncent la couleur : des alexandrins faussement classiques : la métrique y est savamment cassée, à l'image des expériences personnelles que Blaise Cendrars s'impose à l'époque, et la musicalité qui s'en dégage est donc atypique.
Oui, vraiment, un recueil de poésies méconnu (2 critiques et 8 citations à ce jour sur Babelio), fait d'immédiateté, et autant nourri de l'émotion du poète qui sait capter la beauté de l'instantané que de l'expérience d'un voyageur passionné.
S'il fallait qualifier Cendrars d'un mot, on pourrait dire: bourlingueur, si le terme n'était pas galvaudé.
Et dans sa poésie le voyage aventureux tient une place de choix, sinon la première.
Le voyage accompli, New York, le Brésil, ou le voyage rêvé, l'Afrique, la Sibérie.
Tout ce recueil ne se lit pas avec la même intensité. Les morceaux les plus connus, Les Pâques à New York, la Prose du Transsibérien, méritent bien leur notoriété.
J'ai trouvé le reste plus inégal, voire prosaïque à force de vouloir être moderne. Les poèmes du Brésil se lisent avec agrément, sans être bouleversants. Certains textes ont manqué d'intérêt pour moi. C'est le propre des oeuvres complètes. S'il faut tout publier on ne choisit forcément pas le meilleur.
Cette édition est pourvue de notes abondantes et éclairantes sur le milieu littéraire et les influences dont Cendrars a bénéficié: Rémy de Gourmont, Apollinaire, ou les personnages qu'il apprécie moins (Cocteau).
A ce qu'il me paraît c'est d'Apollinaire qu'il était le plus proche, sauf peut-être dans leur vécu de la guerre de 14.
Donc, sans être une révélation sans pareille, la poésie de Cendrars témoigne joliment de la vie littéraire et du monde de son temps.
La poésie de Blaise Cendrars est une splendide invitation au voyage au pays de mon grand père (né en 1888) et de ma grand-mère (né en 1892). Un univers de mots qui deviennent image, qui deviennent sensations, qui deviennent souvenir.
Pourtant mes grands parents étaient juste des paysans d'Auvergne, ayant connu deux guerres effroyables. Et ce qu'ils n'ont pas eu le temps de ma raconter, Blaise Cendrars par sa poésie me l'évoque.
Merci a celui qui m'a invité à le lire. Il se reconnaitra.
La Prose du Transsibérien est magnifique. Deux autres poèmes longs. Les autres font voyager. On peut les trouver un peu faciles et opportunistes. Sachant que Blaise Cendrars est connu pour rester flou sur ses propres voyages... ça casse un peu le mythe de l'aventurier moderne qu'il voulait paraître.
Les thèmes et le style ne font pas partie de mes goûts.
Les grands fétiches
I.
Une gangue de bois dur
Deux bras d'embryon
L'homme déchire son ventre
Et adore son membre dressé
II
Qui menaces-tu
Toi qui t'en vas
Poings sur les hanches
A peine d'aplomb
Juste hors de grossir?
III
Noeud de bois
Tête en forme de gland
Dur et réfractaire
Visage dépouillé
Jeune dieu insexué et cyniquement hilare
IV
L'envie t'a rongé
Je menton
La convoitise te pipe
Tu te dresses
Ce qui te manque du visage
Te rend géométrique
Arborescent
Adolescent
v
Voici l'homme et la femme
Également laids également nus
Lui moins gras qu'elle mais plus fort
Les mains sur le ventre et la bouche en tire-lire
VI
Elle
Le pain de son sexe qu'elle fait cuire trois fois par jour
Et la pleine outre du ventre
Tirent
Sur le cou et les épaules
VII
Je suis laid!
Dans ma solitude à force de renifler l'odeur des filles
Ma tête enfle et mon nez va bientôt tomber
VIII
J'ai voulu fuir les femmes du chef
J'ai eu la tête fracassée par la pierre du soleil
Dans le sable
Il ne reste plus que ma bouche
Ouverte comme le vagin de ma mère
Et qui crie
IX
Lui
Chauve
N'a qu'une bouche
Un membre qui descend aux genoux
Et les pieds coupés
x
Voici la femme que j'aime le plus
Deux rides aiguës autour d'une bouche en entonnoir
Un front bleu
Du blanc sur les tempes
Et le regard astiqué comme un cuivre
Trouées
Échappées sur la mer
Chutes d'eau
Arbres chevelus moussus
Lourdes feuilles caoutchoutées luisantes
Un vernis de soleil
Une chaleur bien astiquée
Reluisance
Je n'écoute plus la conversation animée de mes amis qui se partagent le nouvelles que j'ai apportées de Paris
Des deux côtés du train toute proche ou alors de l'autre côté de la vallée lointaine
La forêt est là qui me regarde et m'inquiète et m'attire comme le masque d'une momie
Je regarde
Pas l'ombre d'un oeil
(Le Formose)
Bombay-express
La vie que j'ai menée
M'empêche de me suicider
Tout bondit
Les femmes roulent sous les roues
Avec de grands cris
Les tape-cul en éventail sont à la porte des gares.
J'ai de la musique sous les ongles.
(...)
Au revoir au revoir
Je suis né dans cette ville
Et mon fils également
Lui dont le front est comme le vagin de sa mère
Il ya des pensées qui font sursauter les autobus
Je ne lis plus les livres qui ne se trouvent que dans les
bibliothèques
Bel A B C du monde
Bon voyage !
Que je t'emporte
Toi qui rit du vermillon
Avril 1914
6 – Sur la robe elle a un corps
Le corps de la femme est aussi bosselé que mon crâne
Glorieuse
Si tu t'incarnes avec esprit
Les couturiers font un sot métier
Autant que la phrénologie
Mes yeux sont des kilos qui pèsent la sensualité des femmes
Tout ce qui fuit, saille avance dans la profondeur
Les étoiles creusent le ciel
Les couleurs déshabillent
« Sur la robe elle a un corps »
Sous les bras des bruyères mains lunules et pistils quand les eaux se déversent
dans le dos avec les omoplates glauques
Le ventre un disque qui bouge
La double coque des seins passe sous le pont des arcs-en-ciel
Ventre
Disque
Soleil
Les cris perpendiculaires des couleurs tombent sur les cuisses
EPEE DE SAINT-MICHEL
Il y a des mains qui se tendent
Il y a dans la traîne la bête tous les yeux toutes les fanfares tous les habitués du bar Bullier
Et sur la hanche
La signature du poète
Février 1914
3064 – [Poésie/Gallimard n° 17, p. 83]
Ailerons de requin confits dans la saumure
Jeunes chiens morts-nés préparés au miel
Vin de riz aux violettes
Crème au cocon de ver à soie
Vers de terre salés et alcool de Kawa
Confiture d'algues marines
(Menus, dans Documentaires)
Quel est le vrai nom de Cendrars ?