La phrase du titre, issue d'une correspondance de Camille Claudel avec Rodin du temps où elle résidait à l'hôpital de Montfavet, résume à elle seule l'histoire et s'adresse à plusieurs personnages. Nathalie, qui n'a jamais vu le cadavre de son frère officiellement déclaré mort pendant la guerre d'Algérie par l'armée française quarante ans auparavant. Flore, la jeune femme venue d'Argentine, qui a été séparée de ses parents à la naissance par la dictature de Buenos Aires. Sans oublier Hippolyte qui est en sevrage d'alcool depuis un bon moment, mais qui risque à chaque instant de retomber. L'absence, c'est aussi celle de tous ces hommes, femmes et enfants qui ont disparu, et c'est, pour finir, celle de ces soldats français envoyés officiellement par l'armée française en Argentine comme « assesseurs » pour former les bourreaux à leur triste besogne.
Jean-Pierre Cendron a choisi de cadrer son roman dans ce pan d'Histoire cachée de la France engagée à aider les dictatures de l'Amérique du Sud à « combattre les opposants » en leur enseignant les techniques d'interrogatoire et de gestion de la population. le film La Bataille d'Alger est un exemple marquant de ces techniques… Nous sommes dans cette partie très sombre de l'Histoire, car pendant des années, et aujourd'hui encore, des femmes ont cherché leurs enfants, leur mari, frère, soeur ou voisin. Elles se réunissent chaque semaine sur la place de mai, à Buenos Aires, ces mères que le dictateur avait appelées les folles, et qui ont adopté ce terme et se font appeler les folles de la place de mai… Ce sont ces enfants, élevés dans des familles proches de la mouvance du gouvernement de l'époque, des militaires, catholiques intégristes ou notables… qui ne savent pas s'ils sont réellement les fils et filles de ces familles, ou placés à la naissance, car leurs parents étaient des opposants, torturés, tués, et pour certains, jetés d'un avion en vol au-dessus de la mer à 3000 mètres d'altitude.
Heureusement, ce roman n'est pas que cela. C'est aussi la relation de Nathalie avec son frère Julien, 12 ans plus âgé qu'elle, son prince, son héros, celui qui la faisait rire et qui venait la voir dans sa chambre pour lui confier ses secrets, et qui a malheureusement disparu pendant la guerre d'Algérie. Comment admettre ce qu'elle apprend au fur et à mesure du roman que son frère a été, ou pas, un de ces tortionnaires envoyés en Argentine ? Comment l'imaginer lui, dans cet habit lugubre, alors qu'il n'avait que 19 ans et n'avait qu'à tendre la main pour attraper la vie ?
C'est aussi l'histoire du tourment d'Hippolyte qui se bat contre son vice et devra résister à la belle Flor qui se joue de lui, le manipule pour avancer dans ses recherches, sa traque contre ceux qui l'ont torturée et violée.
Ce roman est un treillis dans lequel viennent se tisser des vies, où le petit h du mot histoire s'habille d'une majuscule. Ce sont ces portraits psychologiques très fins, poussés dans leur intimité, portraits que réussit parfaitement
Jean-Pierre Cendron.
Alors, certes, un roman très sombre, mais un roman fort, structuré, qui nous amène à un dénouement très fort, lui aussi. Un choix risqué qu'a fait l'auteur, car cette partie de notre Histoire n'est pas réglée, elle divise encore, car, si peu de temps après avoir été envahie et torturée par les nazis, la France a reproduit en partie le même schéma en Algérie, améliorant même certaines techniques déjà affinées par les bourreaux antisémites !
Après avoir gagné le Prix première chance à l'écriture avec
Les deux bouts du bâton, puis édité
La Constellation des Gémeaux, un polar basé sur la légende de Médée, voici un 3e roman réussi, un thriller historique qui marque le lecteur.
Pour lire les premières pages, c'est ici :
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