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EAN : 9782355220456
192 pages
La Découverte (24/05/2012)
3.2/5   5 notes
Résumé :
En pleine guerre froide, la CIA – sous le nom de code « KUBARK » – rédige un manuel d’interrogatoire secret destiné à ses agents. Mobilisant les résultats les plus récents des recherches en psychologie expérimentale, les auteurs de ce guide formulent les principes d’une pratique scientifique de l’interrogatoire à la violence aseptisée. Plutôt que les coups ou la douleur, il s’agit de manipuler habilement le psychisme du sujet pour le faire craquer. À cette fin, ils ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
Torturer, c'est imposer à un-e sujet-e captif/captive ce qui lui est intolérable

La lecture de ce « manuel » est plus qu'édifiante sur la conception du droit, de son respect à géométrie/idéologie variable dans la « démocratie » de l'impérialisme dominant.

A l'heure ou certains dressent une statue au défenseur de l'utilisation de la torture physique (le général Massu) contre les algérien-ne-s qui se battaient pour leur émancipation, il est important de connaître la version étasunienne des moyens extra-légaux, ici la torture psychologique, pour défendre une certaine conception de « l'ordre démocratique ».

Mais c'est aussi un « devoir » de mémoire envers les victimes, les torturé-e-s.

Comme le souligne Grégoire Chamayou, en absence de traces compromettantes sur les corps, les procédés utilisés « ôtent aussi à leurs victimes la possibilité de témoigner de l'intensité de leur calvaire ». Et cela fait aussi partie du procédé « prolonger la violence de la torture par son indicibilité, c'est à dire par la négation publique du vécu des victimes ».

La brochure, manuel d'interrogatoire destiné au contre-espionnage, écrite dans la « paranoïa de la guerre froide », n'appelle pas vraiment de commentaires. Je ne présente donc que la pertinente introduction de Grégoire Chamayou : « Introduction de la torture en Amérique ».

Des interrogations autour des « aveux » des procès de Moscou, de « ces pouvoirs manifestement ventriloques », de l'utilisation éventuelle de procédés chimiques… En pleine guerre froide la CIA s'interroge.

Et expérimente la psychopharmacologie. Avec humour Grégoire Chamayou indique que « faute d'avoir découvert la poudre à laver les cerveaux », ils ont cependant réussi à « transformer quelques sujets en légumes, et à en tuer d'autres », et « à faire émerger des recherches d'un tout autre genre, qui se concrétisèrent par les expériences poético-chimiques de la beat generation ».

Donc des recherches : « Ce furent les noces secrètes du contre-espionnage et des sciences du comportement, des barbouzes et des docteurs en psychologie ». En premier lieu des expériences sur l'isolement radical, puis la naissance de la torture « psy » et la « création intentionnelle de patient ». L'auteur souligne « Il faut prendre toute la mesure de l'événement que cela représente dans l'histoire du XXe siècle : la mobilisation consciente des savoirs ”psy” au service d'un programme de dislocation méthodique de la personnalité, dans un mouvement visant à exploiter une détresse psychique sciemment provoquée à des fins d'emprise et de destruction ».

Il indique aussi dans un chapitre nommé « La torture sans peine ? », que la lecture de KUBARK (KUBARK était le nom de code dont s'affublait la CIA pendant le guerre froide) montre la discrétion « quant aux procédés de violence physique directe », mais que « L'extrême violence se devine de façon inquiétante sous les blocs d'encre noire. Elle rôde à la lisière du texte et montre parfois ses babines, mais elle n'est pas centrale ni dans le corps de l'ouvrage ni dans la théorie qu'elle expose ».

Il analyse aussi « le paradoxe de l'inquisiteur », les conditions de véridicité, ce qui pousse le sujet à dire « ce qu'il pense que l'interrogateur veut entendre de lui », pour indiquer que la torture est à la fois juridiquement irrecevable et étymologiquement viciée, sans oublier que « Les mêmes raisons qui ont fait de la torture classique un pauvre moyen de preuve en font un piètre moyen de renseignement ».

En fait la torture psychologique vise à « détériorer en amont, par un assaut sévère, systématique et persistant, les capacités de résistance du sujet », d'autant que que la crainte de la douleur, par le silence assumé, entraîné un déplacement de causalité et un positionnement du sujet comme responsable de ses douleurs.

En absence de traces, « ni bleus ni cicatrices », il est important de redéfinir ce qu'est la torture. le titre de la note est issu de cette partie de l'introduction. Et les États tortionnaires n'ont pas manqué de réserver le mot « torture » pour les cas « de douleur physique extrême, et directement infligé par un tiers », ou en instant seulement sur « la durabilité de ses effets » niant ainsi la réalité des tortures et de leurs propres agissements illégaux.

La torture est à la fois « L'art de l'intolérable » et cet intolérable ne peut être défini que par la victime captive, un moyen « de vous faire taire », une question de pouvoir « Une question non pas de connaissance vraie, mais de pouvoir efficace », un « principe de rétrécissement du monde », un retournement du sujet contre lui-même….

Grégoire Chamayou conclut sur le retournement des moyens, les modalités possibles de résistance, dont « Les rituels de cette petite discipline personnelle jouaient un rôle de contre-stimulation interne ».
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Datant de l'époque de la guerre froide, Kubark est le nom de code d'un manuel d'interrogatoire destiné aux agents de la CIA. Très inquiets des résultats obtenus par les communistes russes et chinois, les Américains ne voulaient pas être à la traine dans les techniques de lavage de cerveau et d'extorsion de renseignements. Ils découvrent que l'on peut pratiquer une violence aseptisée et manipuler de toutes sortes de manières le psychisme d'un individu pour arriver à le faire craquer et à obtenir aveux ou informations. Ainsi commencent-ils à mettre en place, à une échelle individuelle, tous les éléments de ce qu'on a appelé ensuite « la stratégie du choc » pratiquée plus tard par le néo-libéralisme mondialiste à l'échelle de sociétés entières et tout récemment à celle de l'ensemble de la planète lors de la crise du Covid. Il s'agit de provoquer brutalement un état de régression psychique en agitant des peurs pour mettre le sujet sous emprise. Tous les moyens sont bons. L'isolement sensoriel est sans doute le plus important. La CIA expérimentera même un caisson d'isolement dans lequel un humain est attaché dans une sorte de cercueil rempli d'ouate où il ne peut rien voir, ni entendre, ni sentir. Il peut en résulter des perturbations graves du psychisme (amnésies, hallucinations ou désintégration totale de l'identité). Elle pratiqua également les électrochocs, l'hypnose, le détecteur de mensonges et l'administration de drogues. (dont le LSD distribué à grande échelle qui ne donna pas grand-chose si ce n'est le psychédélisme du mouvement hippie avec des gens comme Leary, Ginsberg ou Kesey…)
« Kubark » est un document récemment déclassifié, brut de décoffrage et relativement peu agréable à lire. de nombreux passages sont encore caviardés, rendant parfois la compréhension difficile. le texte est précédé d'une très longue introduction qui représente un bon tiers de l'ouvrage et qui résume toute la suite. le style est administratif, lourd, redondant. On sent que l'auteur patauge un peu. Ça bidouille de tous les côtés et, avec honnêteté, la plupart du temps ça reconnaît que toutes ces méthodes de manipulation du psychisme ne marchent pas vraiment bien. Que des aveux ou des révélations obtenus d'une façon aussi cruelle (même si la torture physique ne devient que secondaire) ne valent pas grand-chose. La CIA voulait pouvoir interroger des agents secrets étrangers ou vérifier la sincérité de transfuges. Elle se situait donc dans le simple contre-espionnage qu'elle appelle d'ailleurs « contre-renseignement » et n'avait pas tout à fait le même objectif que ses adversaires communistes qui se plaçaient sur le terrain politique et visaient la soumission, voire la désintégration psychique des opposants. le lecteur pourra constater que ces méthodes ont bien empiré depuis ces années 50 et 60 en comparant ce qu'il lira dans cet ouvrage avec ce qu'il sait des horreurs pratiquées à Guantanamo et à Abou Grahib entre autres…
Lien : http://www.bernardviallet.fr
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critiques presse (1)
Lexpress
12 juillet 2012
L'esprit général de ce traité cynique ferait presque remarquer l'absence de détails pratiques sur la torture physique - à se demander s'il ne vaut mieux pas les laisser au domaine de l'imagination...
Lire la critique sur le site : Lexpress
Citations et extraits (6) Voir plus Ajouter une citation
On retrouve ce type de démarche dans les procédés de confusion aujourd’hui massivement mobilisés par la parole politique : dire tout et le contraire de tout, quitte à accoupler sans cesse dans sa bouche des références inconciliables tout en jouissant secrètement des réactions de perplexité que l’on suscite ainsi que des trésors d’inventivité déployés par les commentateurs afin de découvrir le principe de cohérence, la logique secrète qui peut bien commander un tel flot d’absurdités dissonantes. Le secret est qu’il n’y en a pas. Le sens de tels énoncés réside non pas dans un éventuel signifié caché, mais uniquement dans leur fonction tactique de parasitage et de saturation des capacités intellectuelles et politiques des destinataires. (Introduction de Grégoire Chamayou )
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Il faut prendre toute la mesure de l’événement que cela représente dans l’histoire du XXe siècle : la mobilisation consciente des savoirs ”psy” au service d’un programme de dislocation méthodique de la personnalité, dans un mouvement visant à exploiter une détresse psychique sciemment provoquée à des fins d’emprise et de destruction
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Les mêmes raisons qui ont fait de la torture classique un pauvre moyen de preuve en font un piètre moyen de renseignement
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L’extrême violence se devine de façon inquiétante sous les blocs d’encre noire. Elle rôde à la lisière du texte et montre parfois ses babines, mais elle n’est pas centrale ni dans le corps de l’ouvrage ni dans la théorie qu’elle expose
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C’est l’intolérable pour soi qui constitue la torture, et ce quel que soit le moyen de susciter cet intolérable.
[...]
Définir la torture de cette manière revient à placer au cœur de la définition la normativité du sujet torturé. C’est à lui et lui seul de déterminer l’intolérable et, sur ce point, sa parole et, avant elle, son affect sont souverains. Le principe est intangible : c’est au sujet qu’il revient d’éprouver et de déclarer, depuis sa perspective, ce qui lui est intolérable, et la situation de torture se noue précisément lorsque, en dépit de son rejet, l’intolérable persiste à lui être imposé.
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