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Critiques filtrées sur 3 étoiles  
N°568 – Avril 2012.
ANATOMIE D'UN INSTANTJavier Cercas ACTES SUD.
Traduit de l'espagnol par Élisabeth Beyer et Alexandra Grujieie.

L'Espagne est un pays qui ne peut nous laisser indifférents. Il a toujours fait partie de notre culture, de notre histoire, soit à l'occasion de conflits, soit parce que, au nom de la démocratie, de la défense de la liberté, nous avons, nous Français, pris partie pour sa sauvegarde, même si, la politique s'en mêlant, le résultat n'était pas forcément à la hauteur des espérances tressées. Ce pays qui reste celui du soleil, du farniente, des vacances, de l'exubérance mais aussi de la culture a inspiré de nombreux créateurs et nombreux sont les Espagnols qui ont trouvé refuge en France, s'y sont établis, ont choisi de combattre pour lui, l'ont enrichi... Il resurgit régulièrement dans l'actualité pour nous rappeler qu'il n'est pas seulement un pays voisin, limitrophe de la France mais surtout un peuple ami avec qui nous partageons plus que d'anecdotiques événements.
La Guerre d'Espagne, ses suites parfois malheureuses, l'établissement durable du fascisme ont nourri fantasmes et soutiens de tous ordres en faveur de ceux qui avaient une légitime aspiration à la liberté, et le retour à la démocratie a été salué par tous comme la fermeture d'une parenthèse douloureuse de quarante années de franquisme. Las, dans toutes les démocraties, surtout si elles sont jeunes, il y a toujours des nostalgiques du passé, des idéologies perdues, de l'arbitraire, de l'injustice, des privilèges qu'ils ont perdus. Franco a laissé une trace prégnante dans ce pays. Malgré l'ouverture à la liberté, le pays a été secoué par des attentats, des soulèvements populaires. Nous sommes en Février 1981, Adolfo Suàres, Président du gouvernement est un homme affaibli qui vient de démissionner de sa charge et le parlement s'est réuni ce 23 février pour élire son successeur, Calvo Sotelo. Les débats promettent d'être houleux et passionnés mais ce n'est que le jeu normal de la démocratie quand surgissent des militaires en armes qui intiment l'ordre impératif à tous de se mettre à terre en le soulignant de coups de feu. A leur tête, le lieutenant-colonel Tejero de la Garde Civile, unité emblématique du franquisme. Nous avons tous en mémoire cette scène où la liberté bascule, le coup d'État qui est une pratique traditionnelle en Espagne recommence, le franquisme menace la jeune démocratie, créant un vide que des militaires putschistes ne vont pas tarder à combler, et ce en direct. Les membres de la représentation nationale se couchent tous, à l'exception de trois personnes, Adolfo Suàres, le vieux général Guitiérrez Mellado et Santiago Carrillo, qui, pour des raisons différentes tentent de résister, à leur manière à cet officier menaçant. Ce geste peut passer pour du courage, de la révolte, une manifestation de liberté face à la violence mais il peut parfaitement être analysé différemment. L'auteur se demande avec pertinence s'il n'était tout simplement pas dicté, pour chez chacun d'eux, par le besoin de racheter une faute personnelle.
Adolfo Suàres est un homme politique controversé, ancien membre de la phalange, arriviste ambitieux et opportuniste dénué de scrupules. Il fut choisi par le roi Juan Carlos pour organiser la transition démocratique, c'est à dire de liquider le franquisme et légaliser le parti communiste. Il s'acquitta de cette tâche, mena les réformes nécessaires mais c'est un homme épuisé, abandonné de tous et surtout du roi, au bord de la retraite qui vient de donner sa démission de chef du gouvernement et que le monde politique souhaite voir se retirer. L'ambiance autour de lui est à la conspiration et tout, à l'intérieur comme à l'extérieur, semblait avoir pour but l'éviction de Suàres. L'auteur se demande s'il ne cherche à mourir en martyr dans un ultime geste spectaculaire et ce même s'il n'était pas au courant, comme beaucoup d'autres initiés, de l'intrusion de Tejero dans l'hémicycle.
Guitiérrez Mellado est un officier de carrière fondamentalement franquiste, maintenant haï des militaires, qui a combattu dans les rangs nationalistes pendant la Guerre civile et devint, à cette période, membre de la 5° colonne c'est à dire qu'il infiltra les rangs républicains. Promu général, il s'engagea en politique et devint ministre de la défense dans le gouvernement d'Adolfo Suàres dont il était l'ami personnel. Puis, à la suite de son opposition spectaculaire à Tejero, épuisé, il se retira de la politique.
Santiago Carrillo fut un dirigeant historique du parti communiste espagnol, il a combattu dans les rangs de l'armée républicaine pendant la Guerre civile. Compromis pendant ce conflit, il joua un rôle déterminant dans le processus de transition démocratique. Au moment du putsch il est un homme politique sur le déclin. le jeu politique fit que Carrillo le communiste et Suàres l'ancien phalangiste, pourtant ennemis inconciliables se retrouvèrent côte à côte dans le rétablissement de la démocratie et que, lorsqu'ils furent l'un et l'autre évincés de la vie politique, ils entretinrent de solides liens d'amitiés.
Vient ensuite l'évocation des putschistes, les généraux Armada, Milans et le lieutenant-colonel Tejero, tous militaires ambitieux, monarchistes, franquistes et opposés à la démocratie telle que l'entendait Suàres et donc contre lui, mais surtout tous fondamentalement différents dans leurs motivations, ce qui mena le putsch à l'échec.

Même si l'auteur présente ces hommes, qu'il qualifie de traîtres à leur idéal comme des personnages de fiction, les événement du 23 février s'étant déroulés dans une lumière blafarde et quelque peu irréelle, ce récit n'est pas un roman, c'est plutôt une non-fiction écrite avec faconde parce que la réalité dépasse l'imaginaire. Avec une précision d'archiviste, Javier Cercas démonte tout ce qui a conduit à ce coup d'État, certes avorté, mais ô combien prévisible dans la classe politique et ce qui en motiva l'échec, le putsch manqué n'étant que la partie visible de conspirations multiples et secrètes dans un contexte d'attentats de l'ETA et d'assassinats de gardes civils, de peur et de situation catastrophique de l'État et de la couronne. Ainsi montre-t-il que, ce qui a été ressenti dans l'opinion comme une atteinte à la démocratie n'était en réalité que l'aboutissement, certes mort-né, d'une atmosphère politique délétère. L'intervention télévisée du roi revêtu de son uniforme militaire se rangeant aux côtés de la constitution a été déterminante pour sauver la jeune démocratie espagnole. Armada et Milans, en prônant un gouvernement d'union nationale que refusait Tejero abandonnèrent ce dernier qui refusa la fuite et l'exil. Puis vint le procès et les condamnations mais il reste que ce coup d'État manqué, cette séquestration humiliante pour les politiques durant 17h30 dans l'hémicycle a renforcé la démocratie et la couronne et mis une fin définitive à la Guerre civile.

S'il fallait trouver une « morale » à ce livre remarquablement documenté, à ces faits, c'est sans doute Jorge Luis Borges que la fournit et l'auteur qui la cite opportunément : «  Tout destin, si long et compliqué soit-il, se résume au fond à un seul moment : le moment où l'homme apprend une fois pour toutes qui il est ».



©Hervé GAUTIER – Avril 2012.http://hervegautier.e-monsite.com


























































































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Cercas voulait faire un roman sur le coup d'Etat de 1981 en Espagne ; la réalité étant plus forte que la fiction, il a écrit un livre sur les faits. Les témoignages étant parfois contradictoires, il donne les différentes versions et son interprétation, ce qui offre un résultat parfois étrange, parfois confus et pas toujours facile à lire.

Le contexte historique est rappelé par petit bouts, au fur et à mesure des évènements et de l'intervention des différents acteurs. Pour mémoire, Franco a causé la guerre d'Espagne en 1936 à la suite d'un coup d'Etat et a mis en place un dictature en 39 qui durait encore à sa mort en 1975. Il a choisi Juan-Carlos de Bourbon pour lui succéder, mais celui-ci a fait de choix de la démocratie dès son arrivée au pouvoir, s'appuyant sur Adolfo Suares, un apparatchik franquiste. Cercas présente d'abord Suares comme un "foutriquet servile" mais, au final, reconnait son efficacité dans la mise en place de la démocratie et son courage lors du coup d'Etat.

Suares devient le leader du centre droit, limite les prérogatives de l'armée, légalise le parti Communiste, met en oeuvre la Constitution et gagne les élections de 1978. En 1981, la transition démocratique est achevée, Suares est empêtré dans la crise économique et a du mal à partager le pouvoir. En position difficile et lâché par tous, l'armée, son parti, l'industrie, le roi, Suares démissionne et un nouveau président doit être élu le 23 février 1981. Cercas insiste beaucoup sur cet environnement qu'il appelle "le placenta du coup d'Etat" : tout est en place pour un changement radical et plusieurs scénarios de crise sont possibles, tous passant pas l'éviction de Suares.

Le 23 février 1981 vers 18 h, le vote du Congrès des députés pour l'élection du nouveau Président du gouvernement est interrompu par l'irruption de gardes civils dirigés par le lieutenant colonel Tejero. Quelques rafales de mitraillettes ponctuent l'ordre de se coucher à terre mais trois hommes restent à leur place : Adolfo Suares, président démissionnaire ; le général Guttierez Mellado, membre du gouvernement, et le député Santiago Carillo, leader communiste. Ces trois là sont sans doute les hommes les plus détestés de l'armée et Cercas revient longuement sur leurs motivations et leurs carrières.

Le coup d'Etat ne devait pas être violent et devait être l'occasion de créer un gouvernement d'Union nationale pour renforcer la royauté et redonner plus de pouvoir à l'armée. Il est coordonné par 3 hommes qui ont chacun leur vision, pas forcément incompatibles : Tejero, responsable opérationnel de l'opération, tête brûlée qui veut que l'armée prenne le pouvoir ; le Général Milans, gouverneur militaire de Valence, qui veut renforcer la royauté et le Général Armada, le politique de la bande, ancien secrétaire du roi qui veut le pouvoir. Armada joue en permanence sur les deux tableaux, c'est la vraie tête pensante du putsch, et il cherche toujours à faire croire à l'autre camp qu'il aide le roi.

Pendant que Tejero prend les députés en otage, Milans, déclare l'état d'urgence dans sa région et Armada doit contacter le roi pour le persuader de lui confier la responsabilité du gouvernement. Dès le début, le roi et son entourage se positionnent contre le coup d'Etat qui tourne court et transforme les acteurs en Pieds nickelés. Armada essaye vainement de convaincre Tejero de laisser les députés l'élire et le coup d'Etat est définitivement raté à 1h du matin quand Juan-Carlos fait une allocution télévisée pour défendre la Constitution et ordonner aux militaires de rentrer dans le rang. Tejero résiste encore un peu et surtout négocie avant de libérer les députés en fin de matinée. Ce coup d'Etat raté a quand même atteint un de ses buts : garantir la royauté, et son corollaire est la victoire de la démocratie.

Ce livre est la fresque d'une époque, il est assez inclassable, car il va au delà de la relation des évènements, c'est presque un roman avec Adolfo Suares comme personnage principal. Visiblement, Cercas déteste ce que représente Suares, mais je sens quand même de sa part une certaine admiration pour le bonhomme.
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