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Manuel Mena est le grand-oncle de l'auteur, un phalangiste qui meurt à dix-neuf ans au combat et fut pendant des années l'héros officiel de la famille. Franquiste ou phalangiste, une mémoire peu honorable pour Cercas, qui ne voulait à aucun prix aller à la rencontre de ce personnage qui représente aussi sa famille et un passé politique qui le fait rougir de honte.
Mais nous voici quand même présent avec ce livre, qui parle justement de Manuel Mena, pourquoi ? Et vous allez vous dire quel en est l'intérêt, du moins pour le lecteur ? Qu'est-ce-qu'on peut bien raconter sur un mec inconnu, phalangiste ou pas, mort à 19 ans, sur 320 pages ? Eh bien c'est sans compter que l'auteur est Javier Cercas, et son talent narratif indéniable,
Une conversation avec un personnage qui connu son grand-oncle, devient un film
intense, où l'écrivain manie sa plume comme un objectif de caméra. Et justement, puisqu'il écrit en visionnant le film que son ami David Trueba suite à sa demande, a réalisé de l'entretien. En un mot, le procédé est génial, et nous apprend beaucoup plus grâce aux détails cinématographiques, que le simple contenu d'une conversation rapportée,
Bien qu'il soit le narrateur et parle à la première personne, son propre personnage de l'histoire, le petit-neveu de Manuel Mena est mise en scène comme le sieur Javier Cercas, un procédé amusant,
Et un dernier aspect narratif mineur, qui allège et donne du pep au texte, est qu'il l'agrémente en douce, mine de rien, de « commérages » ou autres digressions du genre, alors qu'il est en train de discuter ou penser à des choses sérieuses. Si bien que je suis allée assouvir ma curiosité sur internet, pour voir avec quel acteur irrésistible d'Hollywood, s'était barrée la femme de son copain David Trubea, réalisateur du film "'Les Soldats de Salamin ", adapté de son roman éponyme.......

À travers la courte histoire de Mena, Cercas nous trempe dans la grande histoire, celle de son pays sous la monarchie, qui en 1931 devint du jour au lendemain républicain. Une république qui entrera en crise en novembre 1933, et débouchera sur une guerre civile.....la suite c'est Franco et quarante ans de galère. Alors que pour la petite histoire il retourne à Ibahernando, le village natal de sa mère, et où est né Manuel Mena, "un village reculé, isolé et misérable d'Estrémadure, une région reculée, isolée et misérable d'Espagne, collée à la frontière portugaise". Et où à l'époque, son grand-père paternel Paco Cercas était le chef de la phalange. Mais comment expliquer qu'à Ibahernando où il n'y avait pas un seul phalangiste avant la guerre, ils le sont tous devenus, une fois la guerre éclatée , comme partout ailleurs ?
Cercas dissèque les deux histoires pour déboucher comme toujours sur des sentiers inattendus , brouillant les frontières entre fiction et réalité, d'autant plus que 80 ans ont passés depuis, et ce qu'il en reste comme témoignages, est assez mince et pas toujours fiable.
Résultat ? Tout ça, pour "Savoir", "Ne pas juger", "Comprendre". "C'est à ça qu'on s'emploie, nous, les écrivains.” dit-il. N'est-ce-pas aussi un des buts majeurs de nos lectures ?

L'histoire de Manuel Mena en elle-même n'a rien de particulière , un destin parmi des milliers d'autres, mais c'est la plume de Cercas dans le fond et la forme qui la rend unique. En l'écrivant, Cercas, un des meilleurs auteurs contemporains, que je connaisse, écrit en faites sa propre histoire, choisissant la voie de la responsabilité plutôt que celle de la culpabilité, concernant le mauvais côté de son héritage familial. Il ne tranche pas, nous exposant un espace d'expression en gris , où les méchants ne sont pas que des méchants, ni les bons que des bons. L'homme est ce qu'il est et la guerre une absurdité.

“Ne cherche pas à m'adoucir la mort, ô noble Ulysse !
J'aimerais mieux être sur terre domestique d'un paysan,
fût-il sans patrimoine et presque sans ressources,
que de régner ici parmi ces ombres consumées.... “
( Homère, L'Odyssée )
“ ....il n'y a pas d'autre vie que celle des vivants,... la vie précaire de la mémoire n'est pas la vie immortelle mais à peine une légende éphémère, un pâle succédané de la vie, et que seule la mort est indéniable."
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Comme souvent avec les auteurs qui ont choisi de se faire les porte-paroles du réel, il y a deux histoires en une. L'histoire en elle-même sur laquelle ils ont enquêté et dont ils nous livrent les faits, et l'histoire du livre, sa genèse, sa maturation et sa décision de l'écrire, avec les doutes, les tergiversations, les joies et les errements que l'auteur a traversés. Javier Cercas est aussi spécialiste d'Histoire (l'autre, la vraie, la grande avec une majuscule), celle de son Espagne natale à laquelle il a consacré tous ses ouvrages. Peut-être pour éviter justement d'écrire le seul qui lui importait vraiment, celui qui le taraudait et le plombait comme un funeste héritage.
Manuel Mena est le grand-oncle maternel de Javier Cercas, mort à 19 ans en 1938 après s'être fourvoyé dans la phalange, idéalisé par sa mère et sa famille, comparé à Achille parti pour des idées au royaume des ombres, au firmament de sa puissance. Un tabou et une honte 80 ans après, pour un auteur et son cortège d'idées de gauche. Mais « s'il est faux que l'avenir modifie le passé, ce qui est vrai, c'est qu'il modifie la perception que l'on a du passé et le sens qu'on lui donne ». Avec ça tout est dit ou presque, l'auteur va évoluer, et va finir par l'écrire le livre de sa honte, muée en responsabilité sous la férule d'Arendt.
« Le monarque des ombres » alterne habilement les chapitres où l'on découvre ce qui est resté de la bio du grand-oncle Manuel Mena, dans lesquels l'auteur semble prendre ses distances en s'évoquant à la troisième personne (« Cela dit, il semble impossible d'exempter la famille de Javier Cercas de toute responsabilité concernant les atrocités commises ces jours-là...»), avec des chapitres détaillant l'enquête minutieuse d'un écrivain-historien avide de faits plus que d'effets (avec un « je » assumé), et son évolution personnelle par rapport au fardeau familial.
Un livre que j'ai beaucoup aimé, comme souvent avec ce genre littéraire, et cet auteur en particulier.
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" Un littérateur pourrait répondre à ces questions car les littérateurs peuvent affabuler, pas moi: l'affabulation m'est interdite. "
"Je ne peux que m'en tenir aux faits, certaines choses sont avérées. Ou presque avérées.
Car le passé est un puits insondable et noir oú l'on arrive à peine à percevoir des étincelles de vérité , ce que nous savons est sans doute infiniment plus petit que ce que nous ignorons ...."

Pourquoi cette longue citation pour parler de ce livre en forme d'enquête fouillée et passionnante?
Parce qu'elle résume les raisons objectives du travail du grand écrivain - historien Javier Cercas.
Il cherche à comprendre les raisons qui ont mené son grand -oncle à devenir franquiste .


Le héros du livre: Manuel Mena avait 19 ans lorsqu'il fut tué , le 21 septembre 1938 , lors de la terrible bataille de l'Ebre, après son fourvoiement au sein de la phalange .

Sous- lieutenant dans une compagnie de tirailleurs de l'armée franquiste il était l'oncle de la Mére de Javier Cercas.
L'écrivain a toujours vu sa photo dans la maison familiale ,vaillant sous - lieutenant et figure de martyre au sein de la famille maternelle de Cercas , dans le village d'Estramadur oú il a grandi ..
Sa mére en garde un souvenir ému , il offrait toujours des cadeaux à la gamine qu'elle était alors....idéalisé par elle, comparé à Achille pour des idées au royaume des ombres....

Cette parenté , au contraire pour Cercas , cet oncle franquiste a longtemps été " le paradigme profondément encombrant , l'héritage le plus accablant " de sa famille ...

Javier Cercas est un spécialiste de l'Histoire de son pays, avec un grand H, la majestueuse histoire de son Espagne Natale à laquelle presque tous ses ouvrages sont consacrés .....

L'auteur finit par enfin écrire sur lui, bien que dissuadé par un ami pour qui la guerre civile est encore proche:" La vérité n'intéresse personne . " Il tergiverse , il doute , c'est aussi l'histoire de la maturation d'un livre , de sa mise à jour ....

Il enquête , consulte des archives , interroge des témoins encore vivants , collecte un certain nombre d'anecdotes, vérifie des dates, des lieux, confronte des témoignages afin d'appréhender au plus près les contours de cet oncle mort à l'aube de sa vie..

Les chapitres alternent entre ce qui est resté de la biographie de l'oncle et ceux détaillant l'enquête minutieuse de l'écrivain -historien.
Pourquoi ce jeune phalangiste s'est - il engagé?

Par conviction idéologique ? " Élan primaire " d'Aventures ?
Par désir de gloire ?
Par haine de la République ou pas?
L'écrivain ne s'autorise aucune affabulation, il s'en tient aux faits vérifiés.
Parfois il" cède la parole au silence " lorsqu'il lui arrive de ne pas savoir ....
Manuel Mena gagne au fur et à mesure de l'enquête en complexité dont nous ressentirons l'engagement comme ceux de l'auteur, les doutes, la complicité palpables .

L'auteur met à jour les contrastes et les ambiguïtés, , les causes de la guerre civile, les violences qu'elle a engendrées , s'interroge sur ceux qui furent franquistes " par action ou omission " , "foncer ou éclaircir les ombres"?
C'est une lumineuse réflexion philosophique sur la mémoire et l'héritage, l'héroïsme , la guerre, la vérité , l'exil.
Javier Cercas écrit aussi sur lui- même ,livre de la honte de la famille transformée en responsabilité selon "Hannah Harendt" .
Continuer d'avoir honte de sa famille et de l'héritage qu'elle lui laisse serait ajouter un " voile" sur une Histoire trés complexe .
" Savoir, ne pas juger, comprendre " , dit l'auteur à son cousin .
" C'est à ça qu'on s'emploie , nous les écrivains " .
Un livre instructif d'un grand écrivain.

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Que dire si ce n'est que je me suis profondément ennuyé à la lecture de ce livre qui ne veut pas dire son nom. Biographie ? Enquête ? Fiction ? Rien de tout cela. Un personnage mort à dix neuf ans, un homme qui sera aussi bien le héros du village que , 80 ans plus tard , celui qui a choisi le mauvais camp .Javier Cercas a longuement hésité à raconter l'histoire de ce membre de sa famille et on sent cette hésitation se manifester tout au long de cet ouvrage. Y aller ou pas ? Raconter ou non ?Et que sait on ?L'écriture est belle , une bonne traduction , certes ,mais , pour moi ,la magie et la dextérité de l'auteur ne fonctionnent pas et je trouve que l'histoire traîne, traîne,lassante , ennuyeuse. Ce n'est pas le premier ouvrage de cet auteur que je lis mais c'est le moins exaltant
Livre d'histoire très bien documenté, un cadre bien posé, mais un trop grand trouble règne autour du personnage de Manuel.On sent une grande pudeur , une grande retenue, un refus de trop en dire sur cet aïeul par trop encombrant et aussi parcequ'à sa place , pas sûr que la décision d'appartenir à tel ou tel camp ait été aussi facile que ça à prendre. Il y a des passages magnifiques,mais on retombe trop vite dans l'ennui.

J'avoue avoir été déçu. C'est mon point de vue. Cette histoire de famille n'est pas la mienne , même si je peux comprendre le but de l'auteur.Pourvu qu'il se soit rassuré , ce serait bien ,moi , je ne suis pas convaincu .
Un rendez-vous manqué , ça arrive.
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Ce roman étouffant, pareil à cette guerre d'Espagne, au titre émouvant le "Monarque des ombres", est-il le roman de l'écrivain Javier Cercas, ou un récit guidé par sa famille. Est-ce l'histoire de son oncle jeune soldat mort à 19 ans, ou le livre de l'historien Cercas prêt à examiner tous les chemins empruntés par cet oncle Manuel Mena.


La première moitié du livre est une longue interrogation sur l'intérêt d'écrire ce livre, une incessante question, devant le peu d'informations disponibles. Un flou voulu ou subit, par une famille, trop mal documentée pour réhabiliter un homme qui s'est engagé totalement dans une voie, la phalange, contraire à son passé, contraire à son milieu.
Manuel Mena a 19 ans, sur la photo familiale, sanglé dans son uniforme de phalangiste, il a un corps d'enfant dans un costume d'homme, mort au combat pour une mauvaise cause pendant la bataille de l'Ebre, en septembre 1938.
Depuis son enfance, Javier Cercas vit avec le souvenir de Manuel Mena, héros officiel de sa famille qui entretient le culte, d'un aïeul statufié en jeune officier.

Que faire de cet héritage ? le cacher ou l'affronter au grand jour ? Javier Cercas tournait autour, mais de Manuel Mena comment s'en débarrasser.


Longtemps, il a cru pouvoir l'ignorer. Mais Javier Cercas s'est résolu à se planter face à lui. À défier la légende pour s'enfoncer dans le pays des ombres. Il se doit de maîtriser le roman familial pour ne pas être emporté.
Ces très longues pages, m'ont ouvert les yeux sur les événements à l'origine de la guerre d'Espagne. L'enchaînement assez incompréhensible des scrutins ne pouvaient que basculer le pays dans suite de querelles violentes et insolubles.
En 1931 c'est la victoire de la gauche, et l'instauration de la 2ème république signe le départ de la famille royale.
Fin 1933 de nouvelles élections engage le pays dans l'instabilité et les répressions, avec un autre camp au pouvoir, et tout bascule de nouveau.
En 1936 le peuple met la gauche démocratique au pouvoir, c'est le front populaire,et bientôt le début de la guerre civile espagnole.


La Seconde République, née dans dans l'effervescence générale et l'optimisme,fini par se répandre dans le sang
Javier Cercas va puiser dans le passé d'Ibahernando son village, cette région reculée de l'Extramadure, pour reconstituer le film de ces sombres années. Quelques anciens, au regard voilé de tristesse, trop longtemps emmurés dans le silence parlent. Son ami, le cinéaste David Trueba, qui a tenté de le dissuader de plonger dans cette fissure, finit par l'accompagner à Ibahernando pour filmer les derniers témoins.


Peu à peu le film des événements se dessine.
Savoir ce n'est pas juger, comprendre Manuel Mena c'est découvrir la personnalité du jeune homme livré à lui même et très idéaliste. Il sort de l'enfance confronté à des combats qui divisent et détruisent l'harmonie d'un clan. Confronté à cette complexité, le jeune homme verse dans le mauvais camp et finit, désenchanté, par le pressentir, peu de jours avant que la mort l'emporte.


Malheur aux vaincus. Javier Cercas fut décrié, même si son travail a fait l'objet d'une enquête scrupuleuse, apportant son lot de révélations et de témoignages. Entre la guerre, l'héroïsme et la mort, c'est l'aventure humaine que l'écrivain privilégie, un regard sur le passé pour aussi éclairer l'avenir.

Un roman familial où des figures étonnantes sont restituées dans leur sagesse et leur sensibilité, sa mère son grand père et tant d'autres.
Que signifie une belle mort ? Si sa famille a vu en Manuel Mena, le héros grec Achille, le monarque des ombres, n'aspira peut être que de devenir un modeste Ulysse pour retrouver sa famille.

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La photographie de Manuel Mena trône dans la maison familiale depuis toujours. Grand-oncle de Javier Cercas, phalangiste mort au combat dont il ne reste plus aucun autre souvenir concret. Et pourtant ce fantôme poursuit l'auteur depuis longtemps.
Ce roman se lit comme un documentaire, une recherche objective sur cet homme. J.Cercas en a besoin. Il hésite, il résiste, puis céde et se lance à sa rencontre, se disant qu'il n'en écrira rien et surtout pas un livre! Mais l'évidence s'imposera, il doit l'écrire. Cette décision est l'aboutissement d'un long cheminement que nous fait partager J.Cercas car, finalement " écrire sur Manuel Mena voulait dire écrire sur moi". J.Cercas parle de lui à la 3ème personne du singulier. J'entends ce choix comme une volonté de mise à distance ( qui d'ailleurs s'étompe progressivement) ; mise à distance de l'observateur qui se veut objectif car il affirme " si j'étais un littérateur et ceci une fiction je pourrais affabuler...." mais il me semble aussi que cette distance renvoie à la honte d'appartenir à la lignée dont le héros était "du mauvais côté". Cette phrase qu'il répéte comme une litanie " je ne suis pas un littérateur" je l'ai entendue presque comme "je ne suis pas là pour m'amuser"...car le sujet est doublement sérieux. Il s'agit de la guerre et du poid familial dont il a besoin, si ce n'est de se délester, au moins d'identifier clairement ce qui en constitue la nature. Cela m'a paru aussi une rhétorique pour énoncer de multiples hypothéses et permettre au lecteur d'accéder, lui aussi, à une meilleur compréhension du contexte historique dans lequel les espagnols se sont retrouvés piégés, de nous présenter la réalité crue et terrible des champs de batailles. Mais ce parti pris de mise à distance quasi scientifique devient une auto censure car elle lui interdit les émotions (les siennes et celles qu'il pourrait prêter à Manuel Mena ) ce qui , finalement l'empêche de s'approcher réellement de son grand-oncle qui reste "flou", "une statue" puisqu'il ne parvient pas à lui donner vie. Il va pourtant , lors d'un retour à Ibahernando, s'identifier malgrè lui à ce personnage, ressentir ce qu'il a pu vivre lui même en revenant en permission dans son village, cette notion "d'étranger" voire même "d'étrangeté". Mais son enquête piétine et il panique même à l'idée que l'histoire racontée par sa mère soit peut-être totalement fausse. Cela m'a fait penser à la force de ce qu'on nomme "le roman familial" et sa confrontation au réel, quelle version est-elle la plus proche de la réalité de celui qui s'y frotte !? Pourtant, il persévère et il avance car il me semble qu'il s'inscrit dans une filiation du devoir. Est-ce un hasard s'il emploie la même phrase pour parler de son engagement à écrire cette histoire "si ce n'est pas moi, personne d'autre ne la racontera" que celle du grand père Paco qui repond à sa femme qui l'intérroge sur sa décision de partir au combat " parce que si moi je n'y vais pas, personne n'ira, Maria" et Manuel Mena plus tard qui affirme à son oncle " parce que si moi je n'y vais pas, c'est toi qui devra y aller".
C'est un très beau livre, pas toujours facile pour moi car j'ai eu du mal avec les longues scénes de batailles, les descriptions de stratégie militaires, mais la quête de l'auteur sur le passé familial, sur la transformation intérieur qui en découle et sur la relation magnifique qu'il crée avec sa mère à la fin du récit l'emporte largement sur ces longueurs.
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Avec « le monarque des ombres« , Javier Cercas poursuit sa longue réflexion sur la Guerre d'Espagne entamée il y a plusieurs années déjà. Une guerre civile qui, aujourd'hui encore, est un véritable traumatisme dans la péninsule ibérique. Cercas nous conte ici, l'histoire d'une histoire, la plus intime, la plus difficile qu'il nous ait sans doute offert : le récit de la vie de Manuel Mena, un oncle de la mère de Javier Cercas qui combattit dans les rang des troupes de Franco et mourût a dix-neuf ans, en 1938, pendant la sinistre bataille des rives de l'Ebre. On suit la réflexion, la lente maturation d'un livre qu'il se refusait à écrire. La honte de Cercas, lui l'homme de gauche qui doit assumer le passé franquiste d'une partie de sa famille. de Manuel Mena, il ne subsiste qu'une photo.. tout le reste ayant été brûlé. C'est à la lente déconstruction d'une figure familiale à laquelle nous assistons. le Manuel Mena du début du livre n'est pas celui que l'on découvre peu à peu grâce au travail, comparable à celui d'un historien, mené par Cercas, qui avec recul et rigueur reconstitue le parcours de celui qui s'est sacrifié pour rien.. L'évolution de l'image fantomatique de ce jeune homme qui a été trompé et qui s'est retrouvé à combattre ceux qui auraient dû être ses frères, est saisissante. La vie, l'histoire, hélas s'est joué de lui. Javier Cercas nous émeut en nous éclairant sur les secrets enfouis de sa famille originaire d'un village pauvre d'Estremadure : Ibahernando. En parlant de son ancêtre, il nous fait voyager dans son inconscient, dans ce qui aurait pu être tu. J'ai trouvé son approche de l'histoire, sa réflexion sur le passé et ces mystères, les sombres voies de la destinée d'un être, absolument passionnante. L'humilité de Cercas, qui sait pertinemment et reconnait qu'il ne pourra jamais atteindre les ultimes bastions de la vérité sur Manuel Mena, près de 80 ans après la fin de la guerre d'Espagne, m'a touché. Ses doutes, ses peurs, ses tourments, le lointain échos du fracas des combats, ce livre sur Manuel Mena c'est aussi celui d'une blessure intime dans la psyché de Javier Cercas. Mais ce dernier à la lucidité de ne pas juger.. car oui Manuel Mena, n'était qu'un jeune adolescent de dix-neuf ans, mort pour rien. Il n'était pas un fanatique mais bien un fantôme du pays des ombres mort psychiquement du fait des horreurs de la guerre, sans doute bien avant sa mort physique. Récit sur la survivance des souvenirs, sur l'effacement implacable du temps qui corrompt et détruit tout sur son passage, « le monarque des ombres », servi par un style sublime, est assurément un très grand livre. Une leçon magistrale d'une histoire dans l'histoire.
Lien : https://thedude524.com/2019/..
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Comme dans L'imposteur, son précédent livre, le romancier Javier Cercas délaisse la fiction pour mener l'enquête sur un personnage qui a gardé ses mystères derrière la légende. Mais dans le monarque des ombres il s'attaque à quelqu'un qui le touche de près, son grand-oncle Manuel Mena, mort à 19 ans, en 1938, dans des habits de phalangiste. Qui était-il vraiment ? Un naïf qui croyait que la cause du franquisme était bonne, un exalté ou simplement un garçon à peine sorti de l'adolescence qui n'avait pas d'autre choix eu égard à son environnement familial ? Javier Cercas raconte ce qu'il a pu reconstituer des derniers mois de vie de Manuel, sur le front, et parallèlement explique les tenants et aboutissants de sa quête sur des traces en grande partie effacées même s'il reste quelques archives et une poignée de témoins de l'époque y compris la mère de l'auteur qui l'a connu. On pourrait arguer que le livre de Cercas est surtout l'oeuvre d'un journaliste ou d'un historien mais ce serait mal connaître la force littéraire d'un écrivain qui interroge le passé et son legs avec le plus d'acuité possible, sans jugement a priori ni a posteriori, avec une sensibilité et une humanité qui sont celles d'un des plus grands prosateurs espagnols du XXIe siècle. Son enquête est passionnante, à la recherche de la vérité sur ce personnage statufié à peine mort, mais le sont aussi les à-côtés, les digressions (souvent drôles), les références littéraires (Homère, Buzzati, Kis) et finalement ce qui est le véritable thème du livre : qu'est-ce que les choix et le sort de Manuel Mena représentent comme héritage aujourd'hui dans la vie de Javier Cercas ? A l'opposé de tout ce qui s'écrit dans le registre de l'autofiction, le monarque des ombres possède une profondeur et une densité qui l'excluent de cette catégorie. Car cette fibre romanesque, elle est bel et bien omniprésente dans ce livre digne et sans concession à la recherche de ce qui constitue la part d'humanité en chacun de nous.
Lien : https://cin-phile-m-----tait..
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Bien aimé ce roman
Ou comment un très jeune homme de 19 ans intelligent sensible et prometteur,issu d'un minuscule village reculé se retrouve happé par la guerre civile espagnole et meurt assez rapidement au combat ,côté fasciste
Parti fasciste dans lequel il se retrouve par la force des choses un peu à cause des circonstances et de son milieu d origine ,les villageois de l Espagne de 1934 se méfiant de tout ce qui est révolutionnaire ,sachant que cela n apporte que ruine et désolation ,
c est l Espagne enlisée dans la féodalité ,les notables du village et le clergé Règnent en maîtres .
L auteur retrouve une vieille photo du jeune homme ,relégué aux oubliettes de la famille.C est le point de départ de recherches sur la passé de sa famille
Sa famille se voulant progressiste , de gauche et niant ou occultant l'existence ce tout jeune homme
Un roman aux analyses très fines , tout en nuances ,qui souligne que tout n est jamais ni blanc ni noir .
Et qui réhabilite cet adolescent , fauché dansla fleur de l âge qui ne sera jamais plus que le monarque des ombres
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« C'était un franquiste fervent, ou du moins un fervent phalangiste, ou du moins l'avait-il été au début de la guerre. »

En une phrase, Javier Cercas nous laisse comprendre toute l'ambiguïté du personnage dont il fait le centre de son « roman non fictionnel ». Manuel Mena, son grand-oncle, est le héros de la famille. Il est mort à dix-neuf ans à Bot, Catalogne, lors de la bataille de l'Ebre.

Les Cercas sont originaires d'un village figé dans le temps et l'espace, en Estrémadure, le village de Ibahernando. Village de paysans pauvres et de paysans devenus locataires de leurs terres, village d'aristocrates qui vivent à Madrid. La fracture du monde paysan se fait quand les locataires de terres deviennent des patriciens et se prennent pour des aristos. Situation assez fréquente en Espagne mais qui se révèle terriblement destructrice au bout de seulement deux ans d'existence de la Seconde République, vers 1931. Dès lors, les intérêts divergent et chacun se range dans son camp, en s'en trompant parfois.

Le propos de Cercas est de faire revivre ce « héros de la famille », phalangiste plutôt que franquiste. Il veut écrire sur lui et aidé de David Trueba, cinéaste et écrivain, il enregistre les souvenirs de gens qui ont connu le « héros ». Parmi lesquels le « Tondeur », 94 ans et toute sa tête !

Il raconte l'histoire de ce village qui, en un clin d'oeil, est passé de monarchique à républicain, de soumission à l'Église riche et indifférente au choix du temple protestant, plus soucieux des gens pauvres et qui va développer l'école. Javier Cercas parle de sa famille, de ses deux grands-pères de droite, de sa propre mère sous la coupe du héros Manuel Mena et c'est l'histoire de toute l'Espagne que nous avons sous les yeux. Ces familles d'aujourd'hui, de gauche, athées, modérées, qui savent que, très proches d'elles dans leur arbre généalogique, se trouvent d'anciens phalangistes, d'anciens franquistes. Et qui n'en parlent pas.

« Un oncle facho ? Non, la famille au grand complet ! » s'exclame le personnage, « Toute l'Espagne ou presque était franquiste, par action ou par omission. »

Des années plus tard, et encore aujourd'hui, il est difficile d'aborder ces sujets.
« Dans l'Espagne des années 1970, le mot « réconciliation » était un euphémisme du mot « trahison », parce qu'il n'y avait pas de réconciliation possible sans trahison, du moins sans que certains trahissent. »

Javier Cercas donne la parole au chef de la Phalange et à « son idéalisme venimeux », José Antonio Primo de Rivera qui affirme les principes de son mouvement : anticapitalisme, anti-marxisme, non-adhésion au franquisme, nationalisme revendiqué : «  Arriba Espana, una, grande, libre ! ». Puis des décennies de dictature, d'exécutions, de tortures. La Phalange a fini par se plier sous la férule de Paquito !

Le narrateur raconte les assassinats perpétrés sous le nom de « la promenade », plus par les franquistes que par les républicains. Il raconte l'exécution d'une jeune fille qui n'avait pas d'autre tort que celui d'être la fiancée d'un révolutionnaire. Il raconte comment les franquistes ont recruté et formé en quinze jours 300 000 sous-lieutenants, « sous-lieutenant intérimaire, cadavre titulaire », disait-on alors !

Ce roman autobiographique est une recherche passionnée de « la vérité » d'un héros qui s'était trompé de camp, appuyée sur des documents d'époque, des photos, jusqu'à une touchante marguerite séchée depuis quatre-vingts ans entre les pages des papiers laissés par Manuel Mena.

Pour clore cette quête essentielle pour un auteur manifestement hanté par son oncle, nous nous rendons à Bot, petite ville où Manuel Mena mourut d'une blessure qu'on n'a pas pu soigner, ni opérer en temps utile. Et l'auteur semble enfin apaisé, bouclant un parcours douloureux dont le livre est la concrétisation, avec ce qu'il présuppose de conséquences pour la famille.

Comme toujours, on apprécie la sincérité de l'auteur, son souci de dissocier auteur et narrateur selon les moments de l'écriture, son souci de restituer scrupuleusement les faits, appuyés sur des entretiens avec des « anciens », puis des descendants d'anciens, jusqu'à peut-être ne plus être aussi fiable. Là, le littérateur prend la relève, dit-il. Et c'est ce qui me gêne : aucune bibliographie, des références minimes, invérifiables.

Ce qui me gêne aussi, ce sont ces deux procédés de style répétitifs jusqu'à l'indigestion : l'accumulation basée sur des dizaines de « et » très indigestes ; et la prétérition répétée : tout ce que je ne dirai pas mais que vous lisez sous ma plume. C'est long, pesant, indigeste.

Il n'en reste pas moins que ce livre est une mine d'informations, une démarche intelligente, honnête et courageuse pour raconter ce que fut réellement ce héros de 19 ans mort pour un idéal auquel il avait fini par ne plus croire, ce héros qui n'avait pas fait le bon choix en 1937.
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