AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Bookycooky


Manuel Mena est le grand-oncle de l'auteur, un phalangiste qui meurt à dix-neuf ans au combat et fut pendant des années l'héros officiel de la famille. Franquiste ou phalangiste, une mémoire peu honorable pour Cercas, qui ne voulait à aucun prix aller à la rencontre de ce personnage qui représente aussi sa famille et un passé politique qui le fait rougir de honte.
Mais nous voici quand même présent avec ce livre, qui parle justement de Manuel Mena, pourquoi ? Et vous allez vous dire quel en est l'intérêt, du moins pour le lecteur ? Qu'est-ce-qu'on peut bien raconter sur un mec inconnu, phalangiste ou pas, mort à 19 ans, sur 320 pages ? Eh bien c'est sans compter que l'auteur est Javier Cercas, et son talent narratif indéniable,
Une conversation avec un personnage qui connu son grand-oncle, devient un film
intense, où l'écrivain manie sa plume comme un objectif de caméra. Et justement, puisqu'il écrit en visionnant le film que son ami David Trueba suite à sa demande, a réalisé de l'entretien. En un mot, le procédé est génial, et nous apprend beaucoup plus grâce aux détails cinématographiques, que le simple contenu d'une conversation rapportée,
Bien qu'il soit le narrateur et parle à la première personne, son propre personnage de l'histoire, le petit-neveu de Manuel Mena est mise en scène comme le sieur Javier Cercas, un procédé amusant,
Et un dernier aspect narratif mineur, qui allège et donne du pep au texte, est qu'il l'agrémente en douce, mine de rien, de « commérages » ou autres digressions du genre, alors qu'il est en train de discuter ou penser à des choses sérieuses. Si bien que je suis allée assouvir ma curiosité sur internet, pour voir avec quel acteur irrésistible d'Hollywood, s'était barrée la femme de son copain David Trubea, réalisateur du film "'Les Soldats de Salamin ", adapté de son roman éponyme.......

À travers la courte histoire de Mena, Cercas nous trempe dans la grande histoire, celle de son pays sous la monarchie, qui en 1931 devint du jour au lendemain républicain. Une république qui entrera en crise en novembre 1933, et débouchera sur une guerre civile.....la suite c'est Franco et quarante ans de galère. Alors que pour la petite histoire il retourne à Ibahernando, le village natal de sa mère, et où est né Manuel Mena, "un village reculé, isolé et misérable d'Estrémadure, une région reculée, isolée et misérable d'Espagne, collée à la frontière portugaise". Et où à l'époque, son grand-père paternel Paco Cercas était le chef de la phalange. Mais comment expliquer qu'à Ibahernando où il n'y avait pas un seul phalangiste avant la guerre, ils le sont tous devenus, une fois la guerre éclatée , comme partout ailleurs ?
Cercas dissèque les deux histoires pour déboucher comme toujours sur des sentiers inattendus , brouillant les frontières entre fiction et réalité, d'autant plus que 80 ans ont passés depuis, et ce qu'il en reste comme témoignages, est assez mince et pas toujours fiable.
Résultat ? Tout ça, pour "Savoir", "Ne pas juger", "Comprendre". "C'est à ça qu'on s'emploie, nous, les écrivains.” dit-il. N'est-ce-pas aussi un des buts majeurs de nos lectures ?

L'histoire de Manuel Mena en elle-même n'a rien de particulière , un destin parmi des milliers d'autres, mais c'est la plume de Cercas dans le fond et la forme qui la rend unique. En l'écrivant, Cercas, un des meilleurs auteurs contemporains, que je connaisse, écrit en faites sa propre histoire, choisissant la voie de la responsabilité plutôt que celle de la culpabilité, concernant le mauvais côté de son héritage familial. Il ne tranche pas, nous exposant un espace d'expression en gris , où les méchants ne sont pas que des méchants, ni les bons que des bons. L'homme est ce qu'il est et la guerre une absurdité.

“Ne cherche pas à m'adoucir la mort, ô noble Ulysse !
J'aimerais mieux être sur terre domestique d'un paysan,
fût-il sans patrimoine et presque sans ressources,
que de régner ici parmi ces ombres consumées.... “
( Homère, L'Odyssée )
“ ....il n'y a pas d'autre vie que celle des vivants,... la vie précaire de la mémoire n'est pas la vie immortelle mais à peine une légende éphémère, un pâle succédané de la vie, et que seule la mort est indéniable."
Commenter  J’apprécie          9212



Ont apprécié cette critique (82)voir plus




{* *}