« Les pions sont l'âme des échecs »
François-André Danican Philidor
Digne d'un génie évident, «
Le pion » est le piédestal de la littérature.
« Un pion n'est jamais qu'un pion. Confiné sur un échiquier et limité dans ses mouvements par sa condition grégaire, il intègre un camp, il sert un roi, il obéit à une main. »
Ainsi l'incipit immensément prometteur dévoile un récit « en majuscules de sept lettres Fischer ».
Paco Cerdà est le maître du jeu, par lui, tout advient. Il décèle le langage échiquier, pion, prisme politique. Il interroge les fascinantes personnalités qui ornent et honorent ce livre certifié dès l'aube-née à l'instar d'un grand classique. «
Le pion » s'élève. Stratégies, et bien au-delà, la rémanence de l'instant, de ce qui fût et de ce qui résiste. Croire en la capacité hors norme de ce chef-d'oeuvre résolument grave dont l'enjeu mémoriel claque sur l'échiquier.
77 mouvements de la partie Fischer. Deux hommes, duel cornélien, en défi immuable. Arturo Pomar affronte
Bobby Fischer et ce en 1962 à Stockholm. La passion spéculative, l'heure arrêtée au cadran de la fébrilité et de la réflexion vitale.
Arturo Pomar est espagnol. Depuis sa plus tendre enfance il est le sylphe des échiquiers. Bouc-émissaire d'un régime politique aux abois et totalitaire.
« La grande histoire de l'enfant prodige des échecs a commencé, mythe arthurien de l'après-guerre. »
Quant à
Bobby Fischer, américain, « dans le jeu de Bobby quelque chose de plus herculéen et concret : l'instinct de survie, tout simplement. »
Les pions se déplacent dans l'orée d'une confrontation géopolitique, orgueilleuse, primordiale et intime. Ils sont observés, scrutés, pions soumis aux diktats, marionnettes désarticulées, formidablement altières et confondantes.
Un double-jeu (je) au fronton des gloires faussées, pions renversés. Formatés et aguerris, pions du régime franquiste, pion de la guerre froide. L'échiquier, la bataille des intelligences. L'antidote aux désillusions, l'arme égocentrique et immuable.
«
Le pion » arborescence, entrelacs. Les fragments tels des avancées, braises brûlantes. Tous en polyphoniques soulèvements, toniques et prises en direct. Ils font trembler l'échiquier historique et remettent d'équerre la réalité. Communistes, Franquistes, militaires, membres de L'ETA, passante, mère, soldat, torturé..., microcosme implacable tiré au cordeau, dont les voix transpercent ce grand livre. Pions assignés à la clandestinité, l'exil, aux pièges tendus par les oppresseurs. Mécanismes implacables où l'homme est un pion, à la vie, à la mort. Indicible.
« Le général sourit. Il sait bien que malgré la théorie aucun pion ne se transformera en dame. »
Chacun, ici, à la puissance de son rôle attribué. La trame est une gageure, un renversement, comme la symbolique première de couverture honorée par Renaud Buénard.
« Réponse de Boris Spassky : Les échecs, c'est comme la vie. Réponse de
Bobby Fischer : Les échecs, c'est la vie. »
Ce livre-monde n'est pas une étape. Sa beauté-écorce est un atout. Deux hommes et d'aucuns sur les murailles des règles du jeu, retournement, malice et intuition, survivance.
« Il n'y a que la vie qui nous apprenne à perdre, seule maîtresse à nous enseigner à temps là suprême valeur des parties nulles. Froides et inutiles ; mais placides et analgésiques. »
Que dire de plus respectueux, au plus proche de l'impalpable.
« Un don Quichotte, lance au poing, prêt à en découdre seul et sans aucune aide avec les moulins des échecs. »
Salutaire, indestructible, engagé, symbolique et souverain, le jeu, les batailles rangées et actions, un devoir et une urgence de lecture.
Ce livre est une ode aux résistances, un choc, tel de Florence ou Stendhalien tant sa beauté révèle un livre millénaire. Un témoignage au fronton des gloires nobles et des endurances. Lisez ce livre, offrez-le son pouvoir est immense.
Éditeur et journaliste
Paco Cerdà après un premier roman « qui a donné voix aux délaissé-es de la diagonale du vide de la Laponie espagnole dans «
Les Quichottes », «
Le Pion » a reçu le prestigieux prix Càlamo du meilleur livre publié en Espagne en 2020. Voyez cette chance infinie d'une traduction d'orfèvre par
Marielle Leroy. Publié par les majeures éditions La Contre Allée .