"Comme ils me parurent précieux, à ce moment-là, les grands et les petits jardins d'Europe, ceux dont parlent les livres d'histoire de l'art et les cours obscures et verdoyantes cachées derrière les murs des villes ! Aussi précieux que les monastères perdus dans les montagnes des Alpes ou dans les brumes d'Irlande où, après la chute de l'Empire romain, tandis que le continent sombrait dans la barbarie, quelques moines gardaient une petite lumière allumée, scintillant faiblement dans la nuit".
Merveilleux petit livre, plein de poésie et d'amour de la nature.
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Un petit livre de poésie, d'amour et de souvenir. Une balade de jardin en jardin s'opère au fil des mots, des phrases, et des pages.
Un auteur poète d'une écriture fine et délicate qui nous transporte grâce aux mots. Nous sommes immergés dans ses souvenirs, ses voyages et ses jardins.
Je conseil sans modération.
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Il y a quelques jours, j’ai reçu une invitation au vernissage d’une grande exposition sur la nature urbaine, appelée « La Ville fertile » à Paris. L’image du carton d’invitation, très élaborée, montre une ville moderne, avec ses gratte-ciel et ses grands boulevards plantés d’arbres, entourée d’un paysage sauvage de montagnes, de lacs et de forêts. La ville elle-même est traversée, en son centre, par une sorte de grand parc débordant d’arbres et irrigué par des cours d’eau bucoliques. Le message contenu dans l’image est clair. Voilà une utopie pour le vingt et unième siècle : la nature, qu’à l’heure actuelle on réintroduit dans l’espace urbain, s’apprête à sauver la ville moderne, devenue stérile. Les « espaces verts » – jardins, parcs urbains et périurbains, corridors écologiques, friches jardinées, coulées vertes – sont déjà en train de faire renaître la vie dans les lieux artificiels de notre quotidienneté. Élus, urbanistes et paysagistes de renommée internationale, dont les agences se trouvent à Londres, Berlin ou Sydney, vont bientôt nous aider à sortir définitivement de cette impasse de la modernité.
N’ayant pas l’intention de me rendre à Paris pour voir l’exposition, j’ai jeté le carton d’invitation à la poubelle. Cependant, l’image radieuse de la ville qui débordait de végétation, touchante dans sa naïveté, n’a pas quitté mon esprit. Sans m’en apercevoir, je me suis mis à repenser à une ville en particulier, la dernière où j’ai séjourné lors de mon long périple de jeunesse à travers l’Europe. Une ville de province, assez modeste, mais une vraie ville tout de même, avec un centre vibrant d’activité, quelques monuments aux héros de son histoire, une banlieue toute grise s’estompant doucement dans la campagne. Et j’ai repensé à un jardin aussi, minuscule, caché au cœur de cette ville, tellement bien caché que personne n’était au courant de son existence silencieuse.
Pendant que je me laissais aller aux souvenirs, j’avoue avoir eu, soudain, un doute. Et si, me suis-je dit, les commissaires de l’exposition parisienne avaient raison ? Si un jardin, même minuscule, même caché à la vue du monde, pouvait sauver une ville tout entière ?
De l’engrais fut apporté dans le jardin. Les plantes, y compris les sauvageonnes, que Jarman aimait autant sinon plus que les horticoles raffinées dont les pépinières anglaises regorgent, commencèrent à croître. Au bout de quelques mois, le petit jardin se remplit d’une étonnante variété d’herbacées et d’arbustes : lavandes, santolines, monnaie-du-pape, ajoncs, sedums, cistes, églantiers et rosiers rugueux, coquelicots, valérianes, sauges… Le tout, à profusion. C’étaient essentiellement des végétaux de terrain sec, adaptés à ce coin de l’Angleterre où il pleut beaucoup plus rarement que dans le reste du pays. Des plantes tenaces, capables également de faire face aux tempêtes de Dungeness.
Ce jardin était fait pour résister.
.... planter des arbres. C'est l'art suprême, qui englobe tous les autres arts et qui, en même temps, est moins que les autres arts, car les oeuvres qu'il produit sont éphémères, changeantes, soumises constamment au bon vouloir du ciel, des saisons et des chèvres, tellement fragiles qu'une simple tempête peut les faire disparaître. Et pourtant il demande une dévotion encore plus profonde que celle qui est exigée du sculpteur, du musicien ou du poète.
"Le jardin s'inscrit dans un autre temps, sans passé ni futur, sans commencement ni fin. Un temps qui ne découpe pas les jours en heures de pointe, pauses déjeuner, dernier bus pour rentrer à la maison. Dès que l'on entre dans un jardin, on pénètre dans ce temps, mais on ne se souvient pas de l'instant où cela se passe..."
Ce jardin sans charme illustrait précisément tout ce qu'un jardinier qui se respecte ne peut que mépriser. Seulement voilà, c'était le jardin de Samuel Beckett ! Certains des textes les plus beaux et les plus désespérés que j'avais jamais lus avaient été écrits ici, inspirés sans doute par ce paysage, par la lumière dure de la Seine-et-Marne, par la solitude du lieu, encore palpable presque six ans après la mort de l'auteur.