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EAN : 9782917817247
256 pages
Contre Allée (09/10/2014)
4.06/5   17 notes
Résumé :
Jana Cerna retrace la vie de sa mère, Milena Jesenska, femme insolite et courageuse qui exprima ses prises de position anti-staliniennes dans les journaux de l'époque. Une biographie personnelle et intime en même temps qu'un passionnant document historique
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Critiques, Analyses et Avis (5) Ajouter une critique
En écrivant des lettres à la jolie Milena Jesenska, Franz Kafka ne pouvait pas s'imaginer qu'il rendrait célèbre cette jeune femme. A quoi cela tient la notoriété. Il est difficile de dissocier le nom de Kafka de celui de Milena. C'est ce qui m'a incitée à lire ce petit livre écrit par la fille de Milena, d'une grande facilité de lecture, pas du tout désagréable, qui donne un aperçu de la vie de cette journaliste sans trop entrer dans l'horreur de Ravensbrück. Je n'avais pas le courage de lire le livre de Margarete Beuber-Neumann.

Jana CERNA fait appel à ses souvenirs afin de dessiner un portrait de Milena. Elle tente de constituer un puzzle entre mémoire, témoignages, articles de journal. Milena est arrêtée alors que Jana n'a que de onze ans. de cette épreuve et de cette période, Jana va rester marquée à tout jamais. Toute sa vie, elle portera les stigmates de l'instabilité, d'une douleur jamais évacuée, jamais cicatrisée, d'un combat qui ne lui appartient pas.

De ligne en ligne, d'écrits en écrits, Jana parvient à évoquer le parcours de Milena. On assiste à l'épanouissement de la journaliste, à ses amours, à sa relation épistolaire avec Franz Kafka, à ses combats, à ses désillusions.

Milena possède une forte personnalité, elle ne fait rien à moitié, excessive, passionnée. Elle est une jeune fille rebelle, du genre transgressive. Elle se heurte à son père, le docteur en médecine Jan Jesensky. Ce dernier, néanmoins, lui laisse une grande liberté d'action dans cette société pragoise des années 20/30. C'est lui qui se verra confier la garde de Jana à la mort de ses parents.

Issue d'un milieu bourgeois, Milena suit des études au Lycée Minerva parmi des jeunes filles qui partagent les mêmes soucis qu'elle : s'émanciper du joug familial. Milena fréquente les cafés littéraires de Prague et les artistes. Elle côtoie un groupe hors du commun, des hommes de lettres d'origine juive, de nationalité tchèque et de langue allemande. C'est en s'asseyant et en les écoutant qu'elle façonnera la journaliste qu'elle deviendra demain.

Sa vie affective sera intense. Pour l'époque, Milena se comporte en femme affranchie. Elle est très jolie, possède le sens des relations humaines, elle sait séduire, elle est altruiste et surtout, elle écoute. Son intelligence, sa personnalité sont remarquables et remarquées. de collaboratrice, elle deviendra directrice de journal.

A la suite d'une mauvaise chute, Milena se retrouve handicapée, l'articulation de son genou reste raide. Confrontée à des douleurs insupportables, elle se retrouve rapidement accro à la morphine. Jana décrit les scènes terribles auxquelles elle a assisté enfant. C'est cruel pour la mère et sa fille. On imagine très bien sa dépendance et la lutte qu'elle finira par mener contre elle-même afin de se désintoxiquer.

Milena possède une force de caractère impressionnante. Non contente de dénoncer les dérives dogmatiques du communisme envers et contre tous, elle fait preuve d'un grand courage lors de l'invasion de la Tchécoslovaquie par les nazis. Toujours préoccupée par le sort de ses semblables, elle entre dans un réseau de résistance. L'appartement devient un hall de gare. Elle va héberger nombre de juifs et de réfugiés pour lesquels, elle organisera leur fuite. Jana participe à toute la chaîne et en la lisant, j'ai l'impression qu'elle considérait sa fille de dix ans comme son amie, ne la ménageant nullement jusqu'à lui raconter des détails de sa vie amoureuse.

Milena est arrêtée par la Gestapo en 1939 et décèdera à Ravensbrück le 17 mai 1944. Elle reçoit le titre de « Juste parmi les nations » en 1995.

Ce que je retiens de cette lecture, c'est un portrait de femme insoumise, féministe, généreuse, courageuse, intelligente, en quête d'authenticité qu'il serait injuste de considérer uniquement comme « l'amante » c'eut été réducteur de la considérer comme telle quand on lit son parcours. Elle a eu un destin exceptionnel et ce n'est pas pour rien qu'elle est nommée « le feu vivant » par son ami, Max Brod.

Le seul reproche qui me vient à l'esprit, c'est qu'elle n'a guère ménagé Jana. Et pourtant, a aucun moment Jana ne fait de reproche à Milena, on ressent même un sentiment fusionnel entre mère et fille. Mais Jana a été obligée de grandir trop vite et elle n'a trouvé la paix intérieure que dans les dernières années de sa vie.

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Dans le cadre de la Voie des Indés, j'ai lu ce livre-hommage de Jana Cerna à sa mère Milena Jesenska née en 1896 à Prague et morte dans le camp de Ravensbrück en 1944. Je remercie les éditions de la Contre Allée de réediter ce texte écrit en 1967 pour faire connaître à de nouvelles générations l'engagement de cette femme exceptionnelle dont la vie est loin de se résumer à sa relation d'amour épistolaire avec Franz Kafka.
Témoignage filial, récit historique de la Tchécoslovaquie de l'époque, je pense surtout que "Vie de Milena" est un hommage au métier de journaliste et à la manière dont Milena le pratiquait.
Jana Cerna qui a perdu sa mère à l'âge de 11 ans écrit avoir hésité longtemps à parler de Milena car elle n'avait pas la certitude de tout dire d'elle. C'est donc par ses souvenirs d'enfant, des témoignages oraux et d'articles de presse que l'auteure parle de sa mère. Ce qui peut expliquer le ton assez neutre que j'ai pu ressentir dans ces pages où l'émotion est tenue à distance. Mis à part le moment très bouleversant où Jana Cerna retrouve sa mère pour la dernière fois.
Dans le milieu bourgeois de Prague, Milena fréquente les cafés littéraires avant de partir pour Vienne où elle fait ses premiers pas en tant que journaliste :" Milena a choisi sa profession en toute lucidité, avec une certitude absolue.A tous points de vue, le journalisme lui allait comme un gant : le contact direct avec son lecteur lui était aussi nécessaire que l'engagement dans la vie politique du moment". Milena parle au monde et à tout ce qui fait leur quotidien mais écrit aussi des articles très avant-gardistes sur les grands concepts sociétaux comme le bonheur dans le mariage. D'ailleurs, j'ai pris beaucoup de plaisir à lire ces extraits très modernes et pertinents (point de rupture entre Milena et F. Kafka).
Très proche des gens des rues, Milena les aide à sa manière avec son sens de la solidarité et de la générosité.
De retour à Prague, elle écrit dans des journaux communistes avant de s'opposer et de publier dans des journaux clandestins. A partir de 1939, elle s'engage activement dans les réseaux d'aide aux Juifs. Arrêtée, Milena est internée pour dissidence politique.
Fine observatrice de son temps, elle écrivait et agissait en fonction de ses convictions plus que par idéologie.
Je n'oublierai pas Milena.

Je remercie infiniment Libfly et les éditions de la Contre Allée.

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À la fois biographie de Milena Jesenska (née en 1896) et récit autobiographique de sa fille, Jana Cernà (née en 1928) puisqu'elle en est l'auteure ; Ce texte est donc le portrait de ces deux femmes « fortes », éprises de liberté, dans un pays - la Tchécoslovaquie - et surtout à une époque, où cela n'était ni facile, ni commun.
Le style est fluide, clair. le ton est intime, Jana témoigne.
Milena fut une journaliste et une traductrice reconnue. Issue d'une famille bourgeoise, elle était aussi une femme de conviction qui adhéra au parti communiste tchèque avant de s'en éloigner, lucide qu'elle fût de la monté du stalinisme. le lecteur découvre alors la vie intellectuelle de Prague et de Vienne dans l'entre-deux-guerres. Une partie du livre raconte la rencontre, l'amour et la correspondance qu'entretint Milena avec Franz Kafka ; épisode qui donne une valeur particulière au texte tant l'aura de l'écrivain est grande aujourd'hui. Il est difficile de dire en peu de mots la soif d'émancipation, la complexité et la force de caractère de cette femme.
Citation p. 80 : « La convention veut qu'au nom de l'amour on pardonne à l'autre toute la diversité de ses méandres intérieurs (...) Mais allons plus loin : pardonnons-lui aussi ses petits travers superficiels. Défaisons-nous de cette hystérie moderne à la Karénine (...) Chaque être est en lui-même un monde distinct ; plus il est particulier, plus il est entier. »
Milena est morte en 1944 au camp de concentration de Ravensbrück, pour avoir résistée à l'envahisseur nazi. Jana, sa fille ne fut pas moins active et libre-penseuse dans la génération suivante, celle du bloc soviétique puis de son déclin ; elle est décédée dans un accident de voiture en 1981.
En postface de ce récit, beau et grave, Jan, le fils de Jana, met un point final à cette histoire particulière qui révèle l'Histoire de cette Mitteleuropa au 20ème siècle. Allez, salut.

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Les éditions La Contre Allée ont eu la bonne idée de rééditer cette « Vie de Milena » due à sa fille Jana Černá.

Vingt-trois ans après la mort de Milena, dans un camp de concentration de Ravensbrück, Jana a écrit « ce qu'elle savait de sa mère », « sans avoir la certitude de pouvoir tout dire ». C'était en 1967.

Milena ?

Oui, il s'agit bien de Milena Jesenská à qui Kafka adressa des lettres magnifiques. Nous n'avons pas les réponses de Milena et la correspondance a été publiée contre la volonté de sa famille, mais nous pouvons deviner quelle personne forte et sensible était cette femme qui a tellement compté pour Kafka.

Le portrait qu'en fait sa fille Jana ne nous déçoit pas. Jana n'avait que onze ans à la mort de sa mère et son approche tisse les souvenirs personnels, les témoignages et la citation d'articles de Milena qui, journaliste et traductrice, joua un grand rôle dans les milieux culturels de Prague.

Le texte de Jana est aussi une réflexion sur la mémoire. Pour elle, « l'oubli appartient aux droits les plus fondamentaux de l'homme [et] même le peu qu'on emmagasine dans sa mémoire atteint à la limite du supportable ». Malgré ce réflexe de défense, Jana a rassemblé les morceaux du puzzle pour rendre hommage à sa mère et aussi pour contrer « tous ceux qui pensaient avoir autorité pour parler d'elle ».

Elle se bat contre l'idéalisation qui a été faite de Milena trop souvent figurée « comme la bien-aimée séraphique du grand génie » et revient aussi sur les crises de conscience de sa mère face au parti communiste dont elle se détacha.

Milena, dit Jana, était surtout une « colérique », capable « de sacrifices démesurés », une passionnée, « un feu vivant » selon Kafka.

Jana nous raconte comment Milena empêcha le médecin de prolonger les souffrances de sa mère : « Milena arracha le seringue de la main du docteur. Elle la jeta à terre si violemment que les éclats volèrent dans toute la pièce. Elle ne pouvait supporter que cette souffrance se prolongeât, ne fût-ce qu'une minute …».

Il y a aussi la Milena qui puisait dans les armoires de son père pour offrir des chaussettes à ses amis qui les « arboraient en toute bonne foi » jusqu'au moment « où le docteur reconnut ses propres socquettes aux pieds d'un de ses assistants … ».

Il faut lire cette « Vie de Milena » dans la belle édition de la Contre Allée, couverture bleu turquoise, visage de Milena en pointillés… Jusqu'ici, en français, nous ne disposions
que d'une édition de 1993, au Livre de Poche, ridiculement sous-titrée « L'Amante » et non moins absurdement illustrée par la photo d'une dame en chapeau digne des courses de Chantilly…

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Milena Jesenska, connue pour sa correspondance avec Kafka et son amitié avec Margarete Buber-Neumann dans les camps de concentration nazis, est racontée ici par sa fille Jana Černá, écrivaine de génie, remise par ailleurs au goût du jour par La contre-allée pour ses lettres érotiques. On retrouve la très grande liberté et qualité d'expression de l'auteur, dénuée ici de toute provocation, pour parler d'une grande femme du XXème siècle indépendamment – et c'est là tout le génie de Jana Černá – des ombres nazie et kafkaïenne.
Lien : https://synchroniciteetseren..
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Citations et extraits (9) Voir plus Ajouter une citation
Les livres de Kafka sont pour Milena "cruels et douloureux, pleins de moquerie sèche et de l'étonnement sensible d'un homme qui a vu le monde avec tant de clairvoyance qu'il n'a pu le supporter, qu'il a dû mourir".

Jusqu'à sa propre mort, son aventure avec Kafka restera pour Milena une part essentielle de sa vie, de sa réflexion, de son travail. Mais non de son souvenir : Milena a parfaitement assimilé tout ce que cette liaison lui a apporté ; en revanche elle n'eut jamais besoin d'ouvrir ses bras pour y bercer la relique de ses souvenirs. Elle était bien trop vivante pour cesser elle-même de vivre.

page 88
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Propros tenu par Milena au sujet de Franz Kafka :

Il est certain que nous sommes en apparence tous capables de vivre parce qu'à un moment quelconque nous nous sommes réfugiés dans le mensonge, dans l'aveuglement, dans l'enthousiasme, dans l'optimisme, dans une conviction, dans le pessimisme ou dans n'importe quoi. Mais lui, il n'a pas d'asile protecteur. Il est absolument incapable de mentir, comme il est incapable de s'enivrer. Il n'a pas le moindre refuge, pas le moindre abri. C'est pourquoi il est exposé à tout ce dont nous nous protégeons. Il est comme un homme nu parmi des gens vêtus. Et ce qu'il dit, ce qu'il est, ce qu'il vit, ce n'est même pas la vérité. C'est un être pur bien décidé à rejeter tous les artifices qui lui permettraient d'exprimer la vie, sa beauté ou sa misère. Et son ascèse est absolument sans héroïsme, ce qui la rend encore plus grande et plus haute. Tout "héroïsme" est mensonge et lâcheté. Ce n'est pas un homme qui se sert de son ascèse comme moyen vers un but, c'est un homme que sa terrible clairvoyance, sa pureté et son inaptitude au compromis forcent à l'ascèse.
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Plutôt que de classer les gens en contestataires et en bons citoyens, mieux vaudrait admettre que chaque vie comporte deux phases : une période révolutionnaire et une période civique, l'une et l'autre bien entendu indépendantes de l'âge. Tout homme est révolutionnaire tant qu'il est le pionnier d'une idée neuve, tant qu'il véhicule une pensée originale, une trouvaille. Mais dès lors que sa créativité se limite à développer cette pensée (car tout homme véritablement grand ne poursuit jamais qu'une seule pensée, ceux qui en ont plusieurs n'en ont aucune, du moins aucune qui leur soit personnelle), dès lors donc qu'il va sur sa lancée et que son seul mouvement consiste au mieux à en parfaire la forme, il est clair qu'il devient alors un honnête citoyen. Il cesse d'être un pionnier ; il n'est plus qu'un propriétaire qui épargne, qui amasse, qui s'engraisse. Car on peut aussi devenir un obèse de l'esprit.
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Milena était capable de bien des sacrifices, matériels ou non : elle était disposée à sacrifier son confort, sa tranquilité, à oublier sa santé fragile, à compromettre sa sécurité. Mais elle ne voulait ni ne pouvait renoncer à sa raison.
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A mon sens, l'oubli appartient aux droits les plus fondamentaux de l'homme. C'est l'une des rares libertés irréductibles et inaliénables de chacun d'entre nous. L'enfant qui se souviendrait de tout ce qu'il a vécu avant de faire sa paix avec le monde, serait probablement névrosé au dernier degré à cinq ans, bon pour l'asile à douze, bon pour le suicide à quinze. Pour tout dire, même le peu que l'on emmagasine dans sa mémoire atteint à la limite du supportable.
Comme l'évanouissement face à une douleur qu'on ne peut tolérer, l'oubli de ce qu'on ne peut supporter constitue l'une de nos maigres défenses contre le monde et contre nous-mêmes. Et nous avons parfois diablement besoin de nous défendre de l'un et de l'autre.
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