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Critique de AMR_La_Pirate


C'est avec plaisir et nostalgie que je retrouve mes notes de lecture et d'études de ce monument sur la négritude qu'est le Cahier d'un retour au pays natal d'Aimé Césaire.
La « Négritude » est un mouvement qui rassemble à Paris, dans les années 1930, plusieurs poètes et intellectuels venus des colonies, avec comme figure principale Aimé Césaire et aussi, même s'il les éclipse un peu, Léon-Gontran Damas et Léopold Sedar Senghor. La négritude francophone a aussi pour origines le mouvement américain Harlem Renaissance porté par les musiciens de jazz autour de Duke Ellington.

Le Cahier d'un retour au pays natal, entre poésie et texte prosaïque, est l'oeuvre la plus célèbre de Césaire ; élaboré dès 1935, le recueil a connu plusieurs versions avant sa publication définitive en 1956. Il s'agit d'un texte vraiment décisif pour la littérature antillaise, qui exprime un cri de révolte et rejette toute la littérature doudouiste. Césaire est en totale rupture avec les clichés paradisiaques sur les Tropiques ; dans ce cahier, il nous parle de la misère matérielle et psychique de la Martinique dans un profond réalisme à la fois métaphorique et flamboyant. Il remet les faits historiques à leur juste place, depuis la traite des esclaves jusqu'à l'Histoire des Antilles françaises, amnésiques, privées de mémoire par des siècles de déni. Il y a dans ce cahier une réelle volonté de rétablir la chronologie historique, de redonner un passé aux anciens esclaves dont l'identité et les origines ont été effacées.

Au niveau de l'écriture et de la forme, je ne peux que citer le poète lui-même, plutôt que d'essayer de la définir : « le Cahier, c'est le premier texte où j'ai commencé à me reconnaître ; je l'ai écrit comme un anti-poème. Il s'agissait pour moi d'attaquer au niveau de la forme la poésie traditionnelle française, d'en bousculer les structures établies ».
Le lecteur est forcément surpris et envouté par le langage châtié, recherché avec des mots qu'il faut chercher dans le dictionnaire et des métaphores alambiquées. On s'est interrogé sur ce choix de la langue française plutôt que du créole ; en fait Césaire voulait aller au-delà de l'oralité et donner à ses mots toute la force de la langue écrite. Ainsi, son long et étrange poème devient-il fondateur car son auteur nous transmet sa profonde confiance dans le potentiel du langage…
Césaire choisit la tonalité de la révolte et de l'invective. Il constate et dénonce, puis met en avant une affirmation identitaire ; je garde toujours en mémoire le passage sur la négritude, véritable définition dynamique, d'abord toute en formulation négative, puis en action et en mouvement : « ma négritude n'est pas une pierre, sa surdité ruée contre la clameur du jour / ma négritude n'est pas une taie d'eau morte sur l'oeil mort de la terre / ma négritude n'est ni une tour ni une cathédrale / elle plonge dans la chair rouge du sol / elle plonge dans la chair ardente du ciel / elle troue l'accablement opaque de sa droite patience ».
Je me souviens aussi du lexique de la maladie pour parler de la misère des Martiniquais, de l'alternance entre les passages de révolte et de refus et les envolées lyriques de l'affirmation identitaire, de beaux passages narratifs, de moments contradictoires, d'acceptation des tabous historiques quand il faut bien parler des bateaux négriers et de l'assimilation…
C'est une écriture de la confrontation au traumatisme de l'esclavage et, en ce sens, elle ne peut laisser indemne. le texte propose également une ouverture sur l'avenir, met en avant des postures volontaires et conquérantes : « Vienne le colibri / Vienne l'épervier / Vienne le bris de l'horizon/ Vienne le cynocéphale / Vienne le lotus porteur de monde ».
Il est intéressant de relever le passage progressif du JE au NOUS, du ressenti individuel à la dimension collective et identitaire.

Cette poésie m'a d'abord profondément touchée par ses rythmes et sonorités, ses formules anaphoriques et incantatoires et ses ambiances…
L'étude de sa complexité, de ses mots à double-sens, de ses métaphores et de son caractère épique est venue après. Toutes les pages de mon exemplaire sont annotées, notamment par les définitions des mots rares et inconnus…
Pour celles et ceux que ce texte difficile pourrait rebuter, je recommande la reprise de quelques passages par Arthur H. et Nicolas Repac dans l'album « L'Or Noir ».
Je conclurai mon billet comme je l'ai introduit : ce cahier est un monument…
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