Je demande trop aux hommes! Mais pas assez aux nègres, Madame! S’il y a une chose qui, autant que les propos des esclavagistes, m’irrite, c’est d’entendre nos philanthropes clamer, dans le meilleur esprit sans doute, que tous les hommes sont des hommes et qu’il n’y a ni Blancs ni Noirs. C’est penser à son aise, et hors du monde, Madame. Tous les hommes ont mêmes droits. J’y souscris. Mais du commun lot, il en est qui ont plus de devoirs que d’autres. Là est l’inégalité. Une inégalité de sommations, comprenez-vous ? A qui fera-t-on croire que tous les hommes, je dis tous, sans privilège, sans particulière exonération, ont connu la déportation, la traite, l’esclavage, le collectif ravalement à la bête, le total outrage, la vaste insulte, que tous, ils ont reçu plaqué sur le corps, au visage, l’omni-niant crachat! Nous seuls, Madame, vous m’entendez, nous seuls, les nègres! Alors, au fond de la fosse! C’est bien ainsi que je l’entends. Au plus bas de la fosse. C’est là que nous crions; de là que nous aspirons à l’air, à la lumière, au soleil. Et si nous voulons remonter, voyez comme s’imposent à nous, le pied qui s’arcboute, le muscle qui se tend, les dents qui se serrent, la tête, oh! la tête large et froide! Et voilà pourquoi il faut en demander aux nègres plus qu’aux autres : plus de travail, plus de foi, plus d’enthousiasme, un pas, un autre pas, encore un autre pas et tenir gagné chaque pas! C’est d’une remontée jamais vue que je parle, Messieurs, et malheur à celui dont le pied flanche!
Il est temps de mettre à la raison ces nègres qui croient que la Révolution ça consiste à prendre la place des Blancs et continuer, en lieu et place, je veux dire sur le dos des nègres, à faire le Blanc.
Que disent les Blancs de France ? Que Pétion et Christophe sont deux faibles. Les Français, voyez-vous, n'ont pas de respect pour les républiques. Napoléon l'a bien montré ! Et qu'est-ce Haïti ! Même pas une, mais deux ! Deux républiques, Monsieur.
Christophe: [...] Il en a de bonnes! Être prudent! Semer, me dit-il, les graines de la civilisation. Oui, Malheureusement, ça pousse lentement, tonnerre! Laissez le temps au temps...
Un, deux, trois, quatre,
Une bouteille de clairin
Pour les échevins
Du chocolat
Pour le Conseil d’État
Pour les paysans du manioc
Pour le roi un maldioque.
Christophe.
- Je ne suis pas un marin
mais j'imagine que de loin
ça doit être ça, Haïti, à la narine du
découvreur :
cette odeur de sang séché qui vous râcle la gorge
cette fumée
ce moisi entêtant
cette odeur d'holocauste non agréé des Dieux !
A la bonne heure, nous touchons au dernier
quart d'heure
Demain, et puis ça y est !
Christophe
Pauvre Afrique ! Je veux dire pauvre Haïti ! C'est la même chose d'ailleurs. Là-bas la tribu, les langues, les fleuves, les castes, la forêt, village contre village, hameau contre hameau.
Ici nègres, mulâtres, griffes, marabouts, que sais-je, le clan, la caste, la couleur, méfiance et concurrence, combats de coqs, de chiens pour l'os, combats de poux !
(Rugisssant)
Poussière ! Poussière ! Partout de la poussière ! Pas de pierre ! De la poussière ! De la merde et de la poussière !
Secousse puissance du dire
du faire, de construire, de bâtir,
d'être, du nommer, du lier, du refaire.
Parce qu’ils ont connu rapt et crachat, le crachat, le crachat à la fo face j’ai voulu leurs donner figure dans le monde, leur apprendre à batir leur demeure, leur enseigner à faire face