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Critique de AMR_La_Pirate


Parfois, j'aime à me replonger dans d'anciennes notes de lecture ou d'étude et reprendre des livres un peu oubliés sur mes étagères.
Aimé Césaire est un auteur que j'admire profondément… La Tragédie du roi Christophe, pièce commencée en 1959, souvent remanié par la suite, est le volet antillais du triptyque formé avec Une saison au Congo (volet africain) et Une Tempête (volet américain) …
Quel plaisir de retrouver mes annotations et mes post-it au gré des pages !

Cette pièce est le fruit d'une intense collaboration entre Aimé Césaire et le metteur en scène Jean-Marie Serreau. Elle est basée sur un sujet historique, la période du règne du roi Henri Christophe, dit Henri 1er, ancien esclave devenu lieutenant de Toussaint Louverture, puis premier chef d'État noir après l'indépendance d'Haïti. Il s'agit pour Aimé Césaire de créer une oeuvre à la portée du peuple antillais ; Haïti est la première république noire peuplée exclusivement d'anciens esclaves venus d'Afrique.
Le prologue se veut didactique, plante le décor et présente les personnages principaux : le roi Christophe et le président Pétion. En effet, deux hommes vont s'affronter et, avec eux, deux idéologies dans la difficile entreprise de faire naître une véritable nation indépendante et souveraine.
La pièce va prendre ensuite une dimension plus universelle, stigmatiser toutes les divisions qui ont marqué les luttes d'indépendance dans les Caraïbes et partout dans le monde.

Cette tragédie de la décolonisation est un subtil mélange d'influences littéraires dans le texte et de sens du spectacle africain dans les chants, les danses et les costumes, la mise en valeur de la beauté de la culture créole.
Personnellement, je retrouve une intertextualité shakespearienne avec le Roi Lear, Hamlet et Macbeth. Je pense, par exemple, aux relations du roi Christophe avec son bouffon, à la référence implicite au royaume pourri, à la scène des fossoyeurs ou encore à l'apparition du spectre…

Le style est flamboyant, savant mélange d'oralité populaire et de poésie épique et guerrière. Césaire passe volontiers d'un registre élevé à un langage très familier, de descriptions très terre-à-terre à de belles envolées lyriques ; il prend des libertés avec les canons de la poésie classique et se les réapproprie.
Les didascalies savoureuses, les joutes verbales, les métadiscours alambiqués, les métaphores, les parodies du protocole royal et de la monarchie française ou encore du sacre de Napoléon 1er, les moments spectaculaires et carnavalesques, la cérémonie vaudou, les exhortations lyrique au peuple haïtien, le rappel du berceau ancestral africain… tout concourt à l'efficacité de la pièce. Les intermèdes soulignent l'échec politique du roi, les effets pervers de son rêve utopiste et les souffrances infligées au peuple. Les allusions à Duvalier et le dénouement colle à la vérité historique.
Parfois, le jeu plus distancié des acteurs permet au public ou au lecteur d'approfondir la réflexion et de prendre un peu de recul.

Je salue la dimension humaine et l'inspiration personnelle de la pièce…
Le père d'Aimé Césaire était intendant dans une plantation sucrière ; dès l'enfance, il a compris la dure condition des noirs dans les plantations de canne à sucre. L'intermède entre le 2ème et le 3ème acte qui met en scène des paysans au travail est un rappel direct des réalités de la plantation.
Il existe également un parallèle entre les fonctions de maire de Fort de France exercées par Césaire et le personnage de Christophe : tous deux doivent mettre toute une population au travail et relever un énorme défi.
Alors que Césaire encourage la Martinique à construire sa propre autonomie, Christophe est confronté à une tâche impossible à réaliser, tiraillé entre ses aspirations profondes et ses actions complètement décalées, en rupture avec son peuple. Il a une véritable dimension de héros tragique, impuissant à gouverner, ratant même sa fin.
Je suis particulièrement sensible à l'opposition entre Madame Christophe et son mari ; elle est la seule à prendre la mesure de son échec et à l'avertir sous forme de prières et de litanies. Face à elle, il illustre la posture fatale et pathétique du « nègre » qui cherche à s'élever par tous les moyens au niveau de l'homme blanc.

La Tragédie du roi Christophe mêle avec brio le tragique et le grotesque.
Il ne faut pas perdre de vue son but politique, critique et didactique.
J'ai pris un réel plaisir à me replonger dans ce théâtre militant et engagé.
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