Dans son dernier essai, le rendez-vous iranien de Simone de Beauvoir,
Chahla Chafiq, a su allier ses deux palettes colorées de sociologue et d'écrivaine. Son écriture est fluide, elle a le sens de l'expression de la réalité pour happer les lectrices et lecteurs.
Comment nous happe-t-elle ? Elle nous fait rire, pleurer et cogiter. Elle part d'un événement qui peut sembler anodin les propos insolites de Fatemeh Allia, cheffe de la fraction des femmes au Parlement, qui vont susciter des moqueries sur les réseaux sociaux. La députée islamiste va exiger que le nom de Simone de Beauvoir soit retiré de l'une des rues de Téhéran et remplacé par les "Femmes martyres de la révolution". Ces femmes martyres qui représentent les valeurs islamiques. Elle argue que rien ne justifie qu'une rue de la capitale de la République islamique porte le nom de Simone de Beauvoir, propagandiste du féminisme occidental. Il est important de rappeler que Fatemeh Allia était pressentie pour être ministre de l'Education nationale…
Comme l'écris si bien Chahla, elle aimerait en rire mais cela lui donne envie de pleurer en bien des points en découvrant cet épisode sur les blogs iraniens.
Alors qu'aucune rue ne porte le nom de Simone de Beauvoir, je vous laisse le plaisir de découvrir ce premier chapitre en ne vous dévoilant pas d'où est partie la confusion.
Elle pose les questions essentielles à la compréhension de la lutte entre deux modèles de société mais aussi de deux modèles du féminisme : Les propos de la députée ne trahissait-elle pas la crainte de voir le féminisme se développer en Iran ? Quelle est l'importance symbolique de la figure de Simone de Beauvoir ?
Qu'est-ce qui poussent les propos et actions des femmes islamistes, de tous les milieux sociaux, à lutter contre le féminisme occidental et à oeuvrer à l'instauration et au maintien du régime islamiste ?
Puis, nous découvrons un livre ressourçant à chaque chapitre, l'Iran de sa jeunesse la ramène sur les traces de Simone de Beauvoir. Nous découvrons les auteurs-es iraniens-iennes méconnus-es du public européen qui ont étudié l'oeuvre "Beauvoirienne" le Deuxième sexe. Hossein Moshri, journaliste et traducteur, Homa Sarshar, journaliste, Farzaneh Milani, chercheuse et professeure en littérature personne et études de genre,
Goli Taraghi, romancière, Vida Hadjebi Tabrizi, figure emblématique de la gauche radicale iranienne, etc…
C'est à travers les propos de ces intellectuels-elles que Chahla nous met des lunettes sur le nez pour comprendre l'empreinte de Simone de Beauvoir avant la révolution de 1979…Ses livres sont uniquement restés dans le cercle des études universitaires. Pour la majorité de ces intellectuels-elles, malgré son oeuvre monumentale, elle demeure la compagne de
Jean Paul Sartre. Ce qui est intéressant c'est aussi la trajectoire de Chahla, son expérience de militante de gauche, de femme, son questionnement et son analyse dans l'appréhension des droits des femmes, des valeurs démocratiques et des droits humains.
Chahla Chafik rappelle : "En 1979, un mois à peine après l'arrivée triomphale de l'ayatollah Khomeiny en Iran,
Simone de Beauvoir prit position aux côtés des femmes iraniennes qui, lors du 8 mars 1979, criaient dans les rues de Téhéran leur révolte contre l'ordre islamiste naissant (lire page 87). A la veille de ce 8 mars, le leader religieux avait en effet lancé un appel pour l'obligation du port du voile dans les lieux de travail. le 8 mars et les jours qui suivirent, des milliers de femmes investirent l'espace public contre cet appel". L'une des devises répétées lors de ces protestations était : « La liberté n'est ni occidentale, ni orientale, elle est universelle ».
Quand je dis que son essai est ressourçant, Chahla, la sociologue, a cette faculté de nous déciller les yeux sur les enjeux de la révolution de 1979 et post-révolution, au sein de la gauche iranienne, du clergé iranien et de ses mollahs et du mouvement des féministes islamiques. En filigrane,
Simone de Beauvoir joue un rôle essentiel pour les femmes et les féministes iraniennes sur cette universalité des droits fondamentaux des femmes.
Son analyse dans les Temps modernes en 2008 sur
Simone de Beauvoir et l'Iran est encore plus approfondi dans cet essai le rendez-vous iranien de Simone de Beauvoir. Son travail anthropologique est minutieux et captivant. Elle suit les blogs de jeunes filles et jeunes hommes, des femmes, elle répertorie, classifie, analyse. Elles/ils illustrent parfaitement la pensée de Simone de Beauvoir. Les blog de Firouzeh et de Farzaneh Simone, de Mohamed Tayarani et de Sepahbod Surena.
Simone de Beauvoir les accompagne dans leur quotidien, leur réflexion sur la vie, sur leur revendication d'autonomie, de liberté : « le deuxième sexe » jens-é-dovom. Cette cyber dissidence, de la jeunesse iranienne, majoritairement des femmes, qui peut étonner le lecteur/la lectrice, par son nombre, est à la recherche de philosophie "des Lumières". Elles/ils revendiquent la liberté d'expression, la liberté de conscience, le refus de la bigoterie, de l'inquisition, elles défient l'islamisme et ses conséquences dans les relations d'égalité entre les femmes et les hommes, le code de la famille, leur rêve d'Amour.
Quand je dis que son essai est ressourçant, Chahla, la sociologue-écrivaine étanche notre soif d'universalité et nous démontre que tout le discours des anti-lumières n'aurait pu avoir de prise si les idéo-relativistes avait fait le lien entre l'Iran - son islamisme post-révolution – et l'atteinte aux libertés individuelles comme aux libertés collectives. Mais il faut du temps pour comprendre l'articulation d'une idéologie et ses atteintes aux droits politiques, aux droits fondamentaux des femmes, à la responsabilité de l'islam dans les inégalités entre les sexes.
C'est à la fois avec mes lunettes de femme héritière de l'immigration, héritière de la culture musulmane, mes lunettes de féministe et de laïque, mes lunettes de femme algérienne ayant vécu la tragédie islamiste, mes lunettes de femme française, mes lunettes d'antiraciste et d'internationaliste vivant le drame d'une réinterprétation des concepts que j'ai lu le rendez-vous iranien de Simone de Beauvoir. Les «Orgon», défenseurs de l'islamisme, dans son développement multiforme en Occident et en Orient, considèrent comme les tenants de ces 40 ans d'islamisme – qu'au nom d'une « identité islamique » qu'il nous faut résister à l'invasion culturelle de l'occident considérée comme néocolonialiste dans le monde musulman… que le féminisme occidental nous intoxique.
Son rendez-vous iranien m'a plongé dans l'Etang de Simone de Beauvoir, au parfum du rêve, face à l'élan messianique de Foucault en 1979 pour la révolution iranienne et face au messianisme de nos « Tartuffes » idéo-relativistes du XXIème siècle qui exacerbent les appartenances identitaires. Ils sont toujours dans l'attente de l'homme providentiel que produira la « Révolution », ou les « soulèvements révolutionnaires » plutôt que par la Révolution des Femmes, qui représentent l'autre moitié de la population. Elles résistent et participent activement à la transformation politique sociale et culturelle de leur pays, voile au vent, en s'opposant à un modèle de société islamique qui enfreint la liberté des femmes et l'émancipation humaine. Les femmes aspirent à un modèle de société laïque et d'universalité des droits humains.
Chahla, ton rendez-vous iranien de Simone de Beauvoir se prolonge à travers le miroir que tu nous tends pour nous inspirer de cette résistance iranienne et plus particulièrement «des Filles de la rue de la Révolution».