Grand voyageur immobile,
Michel Chaillou est un curieux phénomène (ou malheureusement était, mais j'ai choisi de le suivre au présent, tant son livre, nous le rend proche, quasi à nos côtés). Pour lui, voyager, c'est unir la géographie à
L Histoire dans un mariage sacré, qui peut devenir un mariage à trois lorsque s'y invite la littérature.
Au voyage lointain, il préfère "l'allure à petit trot". Lecteur trop pressé, passe ton chemin ! Chaillou a le besoin impérieux "d'ajouter aux cailloux du chemin ceux que d'autres siècles firent rouler". C'est dire si cet ouvrage, publié en 1998, est riche de références et nous ouvre de multiples perspectives géo-historiques.
Pourtant qu'il lui est difficile de quitter son quartier parisien entre les rues Davioud et du Ranelagh et l'avenue Mozart. Et lorsqu'il se lance, avec son épouse, la stoïque Michèle, qui subit son érudition échevelée, c'est pour aller à Coulommiers, à Cassis, à Châteaudun, au coeur de la France donc, pour y glaner matière à "s'emplir la tête de savoirs que personne ne feuillette". On pourrait se lasser parfois de ce trop plein de culture comme se lasse elle aussi Michèle qui lui lance "Ne pourrais-tu jouir pour une fois de la simple campagne sans arrière-pensée ?". Mais justement ces fameuses arrière-pensées sont les plus fortes et quoi qu'étourdi, le lecteur ne peut qu'être admiratif devant tant de virtuosité, de connaissances multiples, de références virevoltant comme autant de papillons d'une connaissance encyclopédique.
Michel Chaillou nourrit un amour sans faille pour une France patrimoniale, héritée du passé et dont il veut faire perdurer le souvenir ("cette volonté chez moi d'essayer de développer d'un pays sa pellicule impressionnable").
Cette "France fugitive", il la célèbre dans une langue somptueuse, les paysages y semblent enfantés par les mots. Et de ce poème en prose sourd l'amour des chemins de traverse.
C'est véritablement une expérience particulière, enrichissante à maints égards que de mettre ses pas dans ceux de cet écrivain érudit. A l'heure où le pays semble quelque peu se chercher et peine à se rassembler, ce retour à une certaine idée de la France peut avoir des vertus apaisantes et redonner chair au "vivre ensemble", tellement malmené. Ce serait pour Chaillou une belle victoire posthume.