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Critique de Cigale17


Je ressors un peu essoufflée de ce gros roman en 2 livres, 8 parties et 156 chapitres, presque tous courts, auxquels il faut ajouter un intermède (entre les livres 1 et 2). Je l'ai lu lentement, en prenant des notes dans les deux premières parties avant de laisser tomber : ces précisions me ramenaient sans cesse en arrière pour vérifier qui était qui, si tel événement avait bien eu lieu de cette manière ou si j'avais confondu ou mal compris...

Dès l'avertissement, avec une suite d'antithèses, Antoine Chainas annonce pourtant la couleur : « toute ressemblance avec des faits réels et irréels, toute similitude avec des personnes existantes et inexistantes, ne saurait être que fortuite et volontaire ». Ne pas être trop cartésien, donc… En exergue du Livre I, une citation en anglais de E. Cardon Walker datant de 1982 précise le contexte : cet homme (réel) est le créateur de plusieurs parcs Disney dans le monde. En exergue du livre II, une phrase de Ronald Reagan en forme d'avertissement fait référence à un Empire des chimères, et en exergue de chaque partie, une citation assez longue de Sidney Taylor Lawney, tirée d'un livre intitulé le Coeur de nos villes, pose les bases d'une cité (?) idéale. On en suppose l'auteur architecte, urbaniste ou sociologue avant de comprendre qu'il s'agit d'un personnage fictif, maître à penser de certains des protagonistes. Un narrateur à la troisième personne raconte, au présent, les faits qui se déroulent majoritairement dans la première moitié des années 80, avec des retours en arrière d'inégale longueur concernant la guerre d'Algérie telle que l'a vécue Jérôme, un des personnages principaux, ou encore la genèse d'Empire des chimères et les aventures de ses concepteurs. Cependant, la même scène peut-être racontée deux fois, par les yeux de deux personnages différents. Il arrive aussi que certaines scènes soient présentées au futur ou au conditionnel sans qu'on sache toujours si elles auront lieu ou si elles auraient pu avoir lieu. À trois ou quatre reprises, ce narrateur laisse la place à un « nous » collectif dont je me garderai bien de dévoiler l'identité.

Même si on voyage parfois à Los Angeles, l'action se déroule essentiellement à Lensil, village situé dans une région déjà sinistrée à cette époque. Trois ados se passionnent pour un jeu de rôle particulièrement addictif : ils possèdent une copie pirate de la deuxième version jamais commercialisée, Empire des chimères II. La disparition d'une fillette bouleverse l'ensemble du village. La gendarmerie intervient et n'apprécie pas trop l'enquête que Jérôme, le garde-champêtre, mène parallèlement à la leur. Autre sujet d'inquiétude, une moisissure, un champignon (achronalis anomalia) envahit les canalisations et les maisons ; le nom du parasite fait, me semble-t-il, allusion à une anomalie temporelle. Le lecteur comprendra que la moisissure contamine les deux univers : le « réel » et « l'imaginaire », sans que l'on sache trop lequel est lequel tant il est difficile parfois d'en tracer la frontière... Un consortium américain aimerait créer un parc de loisirs en Europe et, pour ce faire, contacte Henri Davodeau, originaire du village de Lensil où son frère Denis tient toujours l'agence immobilière familiale. Ce parc de loisirs s'inspirerait de la première version d'Empire des Chimères qui a connu un succès planétaire. C'est essentiellement à partir de ces divers éléments qu'Antoine Chainas élaborera son intrigue complexe et passionnante dont l'élément récurrent est une mystérieuse boîte noire avec, représenté sur le couvercle, un oiseau sur le dos.

J'ai mis du temps à me laisser prendre et à m'immerger dans ce foisonnant roman, très intéressant par bien des aspects. Il est à peu près impossible de le classer dans un genre défini. Il touche au fantastique : on n'éprouve pas plus de certitude que les protagonistes, on ne sait jamais si le passage réaliste qu'on est en train de lire ne va pas glisser vers un ailleurs improbable et effrayant, mais un ailleurs qui serait toujours ici et maintenant. Il prend parfois l'allure d'un roman policier, parfois l'intrigue se double d'une critique sociale (dans la mire de l'auteur : le consumérisme, la perte d'une certaine forme d'innocence ou de naïveté, l'uniformisation de la culture, entre autres), parfois la vie du village et les moeurs de ses habitants viennent au premier plan. Chainas lui-même parle de « difformité littéraire » et qualifie son roman de « rural noir quantique vintage » dans une intéressante entrevue issue d'un échange de courriels avec le blog Nyctalopes. Ce qui est sûr, c'est qu'il s'agit là d'une oeuvre aboutie et parfaitement originale, aussi déroutante qu'attachante. J'en émerge un peu épuisée, mais enchantée !
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