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Critique de Kirzy


Kirzy
11 septembre 2021
Rentrée littéraire 2021 #20

Trois phrases monstrueuses prononcées par le grand-père de l'auteur : «  ton père, pendant la guerre, il était du mauvais côté », «  je l'ai vu habillé en Allemand, place Bellecour », tu es " un enfant de salaud ". En 1962, Sorj Chalandon a 10 ans et se voit ainsi transmettre la charge de la honte. Mais ce n'est qu'en 2020 qu'il saura ce qu'a réellement fait son père durant la Deuxième guerre mondiale, après avoir retrouvé un extrait de casier judiciaire mentionnant son emprisonnement à Lille en 1945 en pleine épuration pour indignité nationale, puis le dossier complet aux archives départementales du Nord.

La magnifique idée de Sorj Chalandon est, sans changer les faits, d'avoir antidaté sa découverte pour la décaler en 1987 pendant le procès de Klaus Barbie. Lorsque celui-ci démarre, le narrateur, son double romanesque, a le dossier, il sait tout de ce père qui a revêtu cinq uniformes différents, de la SS aux Francs-tireurs et partisans, à chaque fois vers les bottes les plus reluisantes du moment, avec un instinct de survie et une inconscience absolument insensées. En même temps que s'ouvre le procès du criminel nazi, s'ouvre celui du père qui y assiste en même temps que son fils ( Sorj Chalandon a couvert le procès Barbie pour Libération et obtenu le Prix Albert Londres pour ce travail ).

La mise en abyme est vertigineuse, entre immense sincérité et écriture incisive. Durant les sept semaines du procès, le narrateur attend que le père s'effondre, espérant qu'il quittera «  chaque audience comme au sortir d'un ring, titubant sous les coups d'une histoire qui ne fut pas la (sienne). » Les scènes d'interstices judiciaires sont superbement rendues. Au delà du compte-rendu douloureux des témoignages évoquant la rafle des 44 enfants d'Izieu ou celle de la rue Sainte-Catherine, c'est bouleversant de voir le fils se retourner pour « espionner » son père, puis vaciller en le voyant ricaner, bailler ou soupirer lorsque les survivants racontent.

C'est toute la force de ce roman que de parvenir à partager avec sensibilité et pudeur le cri de désespoir d'un fils dont on ressent toute l'émotion et la colère. Car le père est son premier traître, c'est son fils qu'il a en premier trahi, pas son pays car ils ont été nombreux à se fourvoyer durant cette période. Ce fils qui a été privé de lumière par ce père qui a refusé de lui raconter sa guerre, même avec ses ombres. Ce fils qui, malgré une quête légitime de vérité, est toujours assailli par la culpabilité d'avoir profané le passé de son père.

Après avoir dit à son père qu'il savait tout : «  Je m'étais cru lumineux mais c'était de l'orgueil. J'avais voulu te soustraire à la folie et j'étais en train de t'arracher à tes rêves. Je t'espérais purifié, nouveau-né à la peau et au regard d'enfant, mais j'écorchais seulement ton vieux cuir de père et tes yeux hurlaient d'effroi. J'avais tort. Je n'étais pas en train de te sauver, mais de te perdre à jamais. Je n'avais pas réussi à te ramener du royaume des fantômes au mondes des vivants. J'étais en train de te torturer. Comme la police, j'étais en train de t'interroger. Comme la justice, j'étais en train de te condamner. Comme cette garce de vie, j'allais t'exécuter. »

Un roman bouleversant qui enjambe l'intime et l'universel avec une rare honnêteté. Comme il le dit magnifiquement, Sorj Chalandon a changé ses larmes en encre et offre aux lecteurs - sans doute - la clef pour comprendre toute son oeuvre ( notamment Profession du père ou La Légende de nos pères ). Remarquable.
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