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Critique de Cancie


Sorj Chalandon avait déjà consacré un roman à son père, avec Profession du père, père qui prétendait avoir été chanteur, footballeur, professeur de judo, parachutiste, espion, pasteur d'une Église pentecôtiste américaine et conseiller personnel du général De Gaulle jusqu'en 1958. Il revient cette fois encore sur ce père fantasque, manipulateur, imprévisible, mythomane invétéré, hanté par les paroles qu'a prononcées son grand-père devant lui quand il n'avait que 10 ans, en 1962 : « … Ton père pendant la guerre, il était du mauvais côté. » Et lorsque sa marraine veut intervenir, disant qu'il n'est qu'un enfant, il rajoute alors ces mots terribles « Justement ! C'est un enfant de salaud, et il faut qu'il le sache ! ». Il faudra à l'auteur une vie entière pour en comprendre le sens…

Toute la singularité et la force de ce roman tiennent au fait que Sorj Chalandon, ayant pu récupérer le dossier pénal de son père aux archives départementales de Lille, raconte sa quête de la vérité au sujet de celui-ci parallèlement au procès de Klaus Barbie, qui se tient à partir du 11 mai 1987 devant la cour d'assises de Lyon, l'auteur ayant été choisi par son journal « Libération » pour le suivre, procès au cours duquel doivent être établies les responsabilités du chef de la Gestapo à Lyon.
Enfant de salaud relate ainsi deux procès instruits en parallèle, celui intime sur ce père, jeune homme de 18 ans à l'époque, qui a endossé l'uniforme allemand, collaborant trois ans avec l'ennemi, ne cessant de changer de rôle, véritable affabulateur, que l'auteur voudrait entendre s'exprimer sur ses mensonges et ce procès public, historique sur Barbie, ce barbare nazi qui va devoir répondre de ses crimes atroces.
Pour ce qui est de son père, il est difficile pour son fils de s'y retrouver tant il n'a cessé de changer de camp et lorsqu'il essaie de le pousser dans ses retranchements, le mettant face aux écrits, celui-ci continue ses affabulations et refuse toute explication. Il aurait tant voulu libérer son père, « cet homme qui a passé sa guerre, puis sa paix, puis sa vie entière à tricher et à éviter les questions des autres. Puis les miennes », de l'emprise du mensonge. Mais impossible, et pourtant cela leur aurait fait tant de bien, s'il lui avait avoué ces histoires folles « Et qu'il me l'aurait avoué. Et qu'il m'aurait dit vrai. Et que j'aurais été fier de sa confiance. Et que même s'il avait été puni par son pays, il n'aurait jamais été dégradé par son fils. Et je ne serais pas un enfant de salaud. »
Comment ne pas être bouleversé en lisant ces lignes qui sont comme un cri d'amour désespéré.
Quant au procès de Klaus Barbie, Sorj Chalandon sait en restituer au silence près toute l'atmosphère digne et plus que bouleversante de ces témoignages de rescapés. Lorsqu'il évoque la plaidoirie de Serge Klarsfeld, disant qu'il n'avait pas plaidé mais parlé avec tristesse, ses mots sont foudroyants : « Levé, droit face au box vide de l'assassin, il avait fait entrer ces enfants (d'Izieu) dans la grande salle. En file, les uns avec les autres, les petits donnant la main aux plus grands. Il les avait fait comparaître devant nous, devant toi, dans leurs shorts d'été, les chaussettes tombées sur leurs chaussures trop grandes... »
La confrontation entre la grande histoire horrible avec le rappel des atrocités de la shoah et ce personnage immonde et cynique de Barbie, véritable tortionnaire et la petite histoire avec la vie d'un opportuniste inconscient qui croyait se faire valoir davantage en mentant est menée avec un talent certain et surtout une émotion omniprésente.

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