Une joie féroce est l’histoire de la libération de Jeanne, la libraire discrète, au fil de sa guerre menée, au côté de son gang de filles, contre la maladie (décrite avec beaucoup de sobriété) autant que contre les sales types (là, Chalandon est un peu moins sobre). D’un livre sur le cancer, l’auteur fait un roman solaire et plein de panache.
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Sorj Chalandon signe ici une belle fable sur la maladie, sur le courage et la solidarité qu’elle suscite dans les vies de celles qui en sont atteintes. Beau et inspirant.
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Dans ce neuvième roman, l’ancien grand reporter Sorj Chalandon aborde un sujet très différent de ses thèmes habituels : comment la maladie peut parfois aider à se sentir plus vivant que jamais.
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Croustillant dehors, avec son style étincelant, plein de larmes dedans. Et de rires, aussi. Pour son neuvième roman, Sorj Chalandon emprunte la voix d’une femme qui se découvre atteinte d’un cancer et se voit embarquée pour une traversée tempétueuse.
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C’est toujours un plaisir de lire les romans de Sorj Chalandon. On retrouve ce sentiment avec Une joie féroce qu’on lit d’une traite, même si la construction du livre est cette fois curieuse, faite comme trois histoires mises bout à bout, au tons très différents.
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Dans ce nouveau roman, écrit d’une plume sensible et fiévreuse, l’écrivain nous fait toucher du doigt ce que peut être la « sororité » – l’équivalent au féminin de la fraternité. Sans jamais tomber dans le voyeurisme, il continue son exploration de la folie des hommes, de ses peines, ses joies et ses douleurs.
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Une joie féroce est un hommage au courage des femmes, un roman imprégné de colère, dans lequel on retrouve l'écriture du romancier journaliste, engagée, faite d'un mélange de chair et de lyrisme, mais avec un peu moins de souffle que ce à quoi il nous avait habitués.
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Ce livre m'a foutu le cafard. On parle de cancer ce qui n'est pas des plus joyeux. Ajouter à ceci des femmes dont la vie malmène et vous aurez ce livre. J'ai eu de la peine avec autant de malheurs à la chaîne.
Sept mois plus tôt…
La dame au camélia
(Lundi 18 décembre 2017)
Tout se passerait bien. Une visite de routine.
— On va commencer, madame Hervineau. Si je vous fais mal, dites-le-moi.
J’étais torse nu, debout, face à l’appareil, ma main tenant la barre.
— Levez bien le menton, a demandé la manipulatrice. Mon sein gauche était comprimé entre deux plaques.
— On ne bouge plus.
Elle est retournée derrière sa vitre.
— Ne respirez pas.
— Pardon.
Je n’ai plus respiré.
Il y avait eu cette douleur au sein gauche, au moment de fermer mon soutien-gorge.
— La preuve que tout va bien, avait plaisanté ma gynécologue.
Pour elle, le mal disait souvent des choses sans importance.
— C’est lorsque la grosseur est indolore qu’il faut s’inquiéter.
J’ai insisté. Il me fallait une mammographie, une radio, la preuve que tout allait bien. Nous nous étions vues un an plus tôt. Rien n’avait été décelé. Pourquoi recommencer ?
— Pour ne plus en parler, j’ai répondu. Elle a haussé les épaules. Puis fait une ordonnance.
Trois jours après, j’étais là, sein écrasé, à attendre.
— Lâchez la barre. Respirez normalement. Je suis retournée dans mon vestiaire. On m’a demandé de ne pas remettre mon soutien-gorge. Ni mes bijoux. Mon chemisier était glacé. J’ai regardé mes mains. Je tremblais. C’était un examen de contrôle, je n’avais rien à craindre mais je tremblais.
— On va quand même faire une écho, m’a annoncé le médecin.
Il a dit ça comme ça. D’une voix morne. Un homme jeune, affairé. Il a passé le gel sur mes seins comme on se lave soigneusement les mains avant de se mettre à table.
— Vous avez froid ?
Je n’ai pas répondu. J’ai hoché la tête. Je tremblais toujours. J’observais le radiologue sans un regard pour moi. Il passait la sonde sous le sein, autour du mamelon, les yeux sur son moniteur. Photo, photo. J’ai fermé les yeux. Photo, photo. J’avais souvent été palpée mais tout s’était toujours arrêté là. Quelques mots de politesse, une poignée de main avec l’assurance de se revoir.
Je n’avais plus de jambes. Plus de ventre. Plus rien. J’étais sans force et sans pensée. Autour de moi, la pièce dansait
Personne ne m’avait jamais fait d’échographie.
— Ah, il y a quelque chose, a murmuré le médecin. Silence dans la pièce. Le souffle de la machine. Le cliquetis des touches. Et ces mots.
— Quelque chose.
J’ai fermé les yeux. J’ai cessé de trembler. La sonde courait sur moi. Un animal qui joue avec sa proie.
— Oui, il y a quelque chose, a répété le radiologue. Et puis il a rangé son matériel, me tendant des mouchoirs en papier.
Je suis restée couchée. J’essuyais le gel lentement, autour de la douleur.
— Agathe, voyez s’il y a de la place pour une ponction.
Son assistante a hoché la tête.
— Aujourd’hui ?
— Oui, demandez à Duez s’il peut nous caser entre deux.
Et puis il est parti. Il a quitté la pièce, en jetant ses gants dans une poubelle.
La jeune femme m’a fait asseoir.
— Quelque chose.
Je me suis demandé ce qu’il y avait après cette chose-là. Mon sein gauche avait quelque chose. J’ai pensé à la mort. La phrase cognait ma tête. Je ne respirais plus. Quelque chose. Une expression misérable, dérisoire, tellement anodine.
Je n’avais plus de jambes. Plus de ventre. Plus rien. J’étais sans force et sans pensée. Autour de moi, la pièce dansait.
Lorsque la jeune femme a voulu m’aider à descendre, j’ai relevé la tête.
— Je pleure quand ?
— Maintenant, je suis là pour ça.
Alors j’ai pleuré. Elle a pris mes mains.
— Il n’y a peut-être rien, juste un kyste. Mes yeux dans les siens. Elle n’y croyait pas. « Voyez s’il y a de la place pour une ponction. » Les mots du médecin. Une ponction, la crainte du pire.
Agathe m’a installée sur une chaise. Elle m’a apporté des bonbons pour la chute de glycémie, après la biopsie.
— Je saurai si c’est gentil ou méchant ? Elle s’affairait à rien. Rangeait des instruments qui m’étaient inconnus.
— Non. Il faudra attendre les résultats.
— Le médecin ne me dira pas ?
— C’est l’analyse qui vous le dira. Lui, il va se faire une idée. En fonction de la consistance de ce qu’il aspire. Mais cela ne vaut pas un résultat.
— Mais il aura quand même une idée ? Il pourra me le dire, vous croyez ?
— Vous pourrez toujours lui demander. Elle m’a raccompagnée à mon box. Je me suis assise sur le banc. Je n’arrivais pas à remettre mon chemisier, à boutonner mon gilet. Je suis allée aux toilettes. Mon visage dans le miroir. Ma peau grise. Mes lèvres, un simple trait. J’ai passé de l’eau sur mes yeux. Je me répétais que tout irait bien, mais rien n’allait plus. J’avais un cancer. Je le sentais en moi. J’aurais dû demander à Matt d’être là mais il aurait refusé.
— Tu m’as dit toi-même que c’était un simple contrôle.
Parfois, je prenais sa main pour traverser la rue. Il n’aimait pas ce geste. Il n’en comprenait pas l’importance. Et je n’osais pas lui dire que j’avais besoin de lui. Je me souviens de ma main d’enfant, cachée dans celle de mon père. Et celle de notre fils, brûlante dans la mienne, chétive comme un moineau. Aujourd’hui ne restait que la main de Matt. Et il ne me la donnait plus.
— Jeanne Hervineau ? C’est moi. Incision, prélèvement, trois coups secs. Quelques minutes seulement.
Le Dr Duez ne m’a rien dit. Rien d’important.
— De toute façon, il faudra enlever la grosseur. C’était tout. Et aussi que j’en parle à mon médecin traitant, assez vite.
— Je ne vous lâche pas. Je suis là, avait rassuré Agathe.
Elle a posé la main sur mon bras.
— C’est quoi votre stratégie ?
Je l’ai regardée. Pour la première fois depuis mon arrivée à la clinique, quelqu’un employait un terme militaire. J’ai observé mes jambes ballantes, mes pieds nus, le sol carrelé. Je me suis dit que j’étais en guerre. Une vraie. Une bataille où il y aurait des morts. Et que l’ennemi n’était pas à ma porte mais déjà entré. J’étais envahie. Ce salaud bivouaquait dans mon sein.
— Vous allez faire quoi, Jeanne ?
— Je vais appeler mon mari, pleurer un bon coup et attendre de voir.
Elle a souri.
— C’est un bon plan. Appelez-moi en cas de besoin.
Lorsque j’ai quitté la clinique, sept patientes attendaient. J’avais lu qu’une femme sur huit développait un cancer du sein au cours de sa vie. Il était là, l’échantillon. Huit silences dans une pièce sans fenêtre. Huit poitrines à tout rompre. Huit regards perdus sur des revues fanées. Huit naufragées, attendant de savoir laquelle d’entre nous.
Ce matin, il avait plu. Une sale pluie d’hiver giflée de grésil. Mais c’est le soleil qui m’a accueillie dans la rue. J’avais appelé Matt, trois fois. Trois fois tombée sur son répondeur. Il devait sortir de table. J’avais besoin de lui, pas de sa voix. Et puis lui dire quoi ?
— Mauvaise nouvelle, j’ai peut-être un cancer. Rappelle-moi s’il te plaît.
Je n’ai pas pris le métro. J’ai marché. Ce matin, j’étais une fille rieuse de 39 ans. Cet après-midi, une femme gravement malade. Six heures pour passer de l’insouciance à la terreur. Je n’arrivais pas à regarder les autres. J’avais peur qu’ils comprennent que je n’étais plus des leurs. Le temps avait basculé. Tout empestait Noël. Les vitrines, les rues, les visages. Je suis entrée dans une papeterie. Il me fallait un cahier, un épais à spirale pour noter ce qui me serait dit. Comprendre ce que j’allais devenir. Je l’ai choisi avec une couverture bleue. Le bleu du ciel, lumineux et gai. Mon premier acte de résistance.
Matt s’est lourdement assis dans son fauteuil. Il m’avait écoutée debout, et puis il s’est assis.
— Merde !
C’est tout ce qu’il a dit. Il s’est assis avec son écharpe, son manteau. J’avais attendu qu’il passe la porte pour tout lui dire. Je l’ai cueilli comme ça, sur notre seuil. Je n’avais plus de larmes. Seulement les mots du radiologue, les gestes de son assistante, mon désarroi.
Voilà. Nous avions presque fini. J'étais libraire ? Quelle chance ! Elle m'a parlé avec passion d'Elena Ferrante, je lui ai répondu mal de dos. Cartons, piles, stock, libraire est aussi un métier de force. Mais quand même, lire les livres avant qu'ils ne paraissent ! Un bonheur, non ? Oui. Bien sûr. Et une chance. Elle testait ma résistance aux choses. Je l'avais senti. Verre à moitié vide ? À moitié plein ? Qui êtes-vous, Jeanne, qui allez repartir de mon bureau avec trop d'informations, le ventre noué, la tête lourde, une besace remplie d'ordonnances et sept mois de traitement ? Jeanne, qui serez ensuite bombardée de rayons chaque matin pendant trente-trois jours, le torse marqué au feutre indélébile, rouge, noir, tatouée de croix pour que le médecin n'ait pas à recalculer les angles d'attaque. Jeanne, qui prendrez des médicaments pendant cinq ans, qui serez palpée, surveillée, contrôlée, qui vivrez le reste de votre vie avec cette crainte nouvelle.
Page 51, Grasset, 2019.
Le cancer n’est pas un rhume. Le cancer ne s’attrape pas, c’est lui qui vous attrape. Dans le mot cancer, il y a de l’injustice. De la traîtrise. C’est le corps qui renonce. Qui cesse de vous défendre. C’est une écharde mortelle. Un visiteur du soir que l’on voit se faufiler en tremblant. Il dormait sur votre seuil, comme un vieux chat fourbu. S’est installé sur le canapé. Puis dans votre lit. Puis s’est senti chez lui partout dans la maison. C’est l’importun. Le nuisible. L’ennemi intérieur. Celui qu’on n’a pas vu venir.
Je n'ai pas pris le métro. J'ai marché. Ce matin, j'étais une fille rieuse de 39 ans. Cet après-midi, une femme gravement malade. Six heures pour passer de l'insouciance la terreur. Je n'arrivais pas à regarder les autres. J'avais peur qu'ils comprennent que je n'étais plus des leurs. Le temps avait basculé. Tout empestait Noël. Les vitrines, les rues, les visages. Je suis entrée dans une papeterie. Il me fallait un cahier, un épais à spirale pour noter ce qui me serait dit. Comprendre ce que j'allais devenir. Je l'ai choisi avec une couverture bleue. Le bleu du ciel, lumineux et gai. Mon premier acte de résistance.
Pages 20-21, Grasset, 2019.
Extrait du livre audio « l'enragé » de Sorj Chalandon lu par Féodor Atkine. Parution numérique le 16 août et CD le 20 septembre 2023.
En savoir plus : https://www.audiolib.fr/livre/lenrage-9791035414177/
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