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Critique de HordeDuContrevent


J'aime beaucoup le projet littéraire sous-jacent. Intitulé « La Tour de garde », c'est un cycle composé de deux trilogies : Une trilogie pour la capitale du Sud, que je viens donc de démarrer avec ce tome 1, et une pour celle du Nord, chacune écrite par deux auteurs, respectivement Guillaume Chamanadjian et Claire Duvivier. Une épopée écrite à quatre mains donc dans laquelle les univers sont communs au cycle mais où chaque auteur développe sa propre intrigue urbaine et maitrise son territoire y apportant son ton, ses couleurs, son ambiance. Dans laquelle aussi chaque auteur a son style d'écriture propre.

Comme l'expliquent les auteurs dans une interview qu'il est possible de retrouver sur la toile, « la Capitale du Sud, c'est Gemina. Une ville tentaculaire, inspirée par Sienne et la Florence de la Renaissance. Une cité chaotique aux ruelles protéiformes, divisée en quartiers régis par des ducs, qui s'affrontent sur le terrain politique pour la gloire, l'argent. Gemina, c'est aussi la ville de la poésie, de la gastronomie, du vin. Tandis que La Capitale du Nord c'est Dehaven. Une ville inspirée par l'Amsterdam du Siècle d'or : une cité traversée par des canaux, prospère économiquement, même si sa richesse repose sur l'exploitation de ses colonies. À Dehaven, la science et la raison tiennent une place prépondérante, jusque dans l'agencement des rues et des quartiers ».
Et bien entendu il y a des passerelles entre les deux capitales, entre les deux trilogies, nous voyons dès ce 1er tome par exemple des personnages qui voyagent d'une ville à l'autre, et les menaces qui planent au-dessus des deux villes sont éminemment liées. On pressent dès la lecture de ce premier tome que les capitales vont s'influencer respectivement, chacune gardant cependant sa culture, sa façon de vivre, ses us et ses coutumes et ses mythes fondateurs.

Il ne s'agit nullement de science-fiction, on le comprend du fait de la sensation immédiate de saut dans le passé que le lecteur ressent dès les premières pages, dès le prologue, du fait aussi de l'absence de toute technologie futuriste, mais c'est un livre de pur fantasy dans le sens où notre héros est confronté à un phénomène fantastique inexpliqué : le passage d'un monde à l'autre. Hormis ce point, présent seulement à quelques moments particulièrement épiques, l'essentiel du livre fait la part belle au fonctionnement de la ville, à ses senteurs, ses bruits, ses secrets, sa lumière, ses passages sombres. La richesse du style, les nombreux personnages attachants et intéressants, l'art de la narration, les décors magnifiques, les enjeux subtils et passionnants, sans oublier l'omniprésence de délices culinaires qui maintient en éveil tous nos sens constituent bien le coeur de ce tome.

Le prologue de quelques pages nous happe immédiatement…Nous sommes plongés dans une guerre qui oppose le Duc Serviant au Duc d'Adelphes, la Maison de la Tortue à la Maison du dauphin, la soeur de Serviant ayant été capturée par Adelphes. Mais ce qui nous laisse bouche bée est la découverte faite par le Duc Serviant dans les souterrains de sa demeure : en voulant fuir l'ennemi par ces passages secrets, il découvre horrifié, deux enfants sales, immergés dans leurs déjections, un frère et une soeur aux yeux blancs à force d'être enfermés. Surnommés les Suceurs d'Os, Nox et Daphné, dont les liens familiaux avec Serviant vont se clarifier au cours de l'intrigue, vont devenir les protégés du Duc. Nox, devenu commis d'épicier, désormais adolescent, connait la ville comme sa poche et c'est lui qui va nous servir de guide pour déambuler dans tous les coins de cette ville portuaire, immense cité entourée d'une double muraille, composée de plusieurs clans dirigés par des Ducs ayant chacun un animal pour emblème.
Le principal problème, source de tensions politiques, voire de corruptions, est l'acheminement des marchandises entre le Port et les clans du Nord. Serviant a peut-être trouvé la solution en ayant le projet ambitieux de construire un canal, s'inspirant par là même des canaux de la Capitale du Nord. Ce canal est rejeté par certains clans car il remet en cause leur hégémonie, alors que d'autres y voient un moyen d'obtenir plus facilement les marchandises. Tensions que Serviant, très calculateur, pense pouvoir régler au moyen d'un mariage avec un des clans problématiques…Nox, qui connait bien la ville et les gens, sera missionné par Serviant pour tenter de comprendre les complots, pour convaincre les riverains, pour dénouer les tentatives d'assassinat. Missionné ou manipulé plutôt…


Je ne suis pas une grande adepte des romans de fantasy, j'aime en lire un de temps à autre seulement, et pourtant j'ai lu celui-ci d'une traite. J'ai tout simplement pris un plaisir fou à le lire et ne l'ai pas lâché de tout le week-end. J'imagine tout à fait que l'intrigue soit de facture classique pour ce genre de roman, un féru de littérature de fantasy ne sera pas étonné me semble-t-il par le scénario, mais la façon de plonger dans cette ville grâce à son ambiance terriblement sensorielle m'a littéralement enchantée. La narration de ce livre est très immersive.

Tout d'abord, le chant et la poésie sont omniprésents et constituent une porte d'entrée dans la Cité, une porte entre les deux mondes aussi, celle de la Cité et celle de l'autre monde où il n'y a rien, nommé Nihilo, découvert par hasard par Nox. Chant composé des bruits mêmes de la ville en vagues rythmiques. le poème sur la fondation de la Cité trouvé par Nox, en effet, reproduit d'une curieuse façon ce chant de la Cité, le chant de la ville et ses propres règles rythmiques et lui permettra de comprendre comment entrer dans ce monde inversé.

Les odeurs et les couleurs ensuite, mis en valeur par la chaleur qui s'abat sur Gemina, ne cessent de nous exploser à la figure à chaque détour de ruelles bondées de marchands ambulants et de crieurs de nouvelles, bondées d'une masse grouillante de vie. Vins et mets saturent l'air de leur odeur. Des vins boisés aux nuances subtiles de cerise noire, de sous-bois et de vanille. Epices, herbes aromatiques titillent les narines, mais aussi beignets à la violette et aux amandes, au miel et à l'écorce d'orange, orechies au lard blanc et au fromage de brebis, gâteaux à l'anis, cannelons à la fègue, cuisine du sud imprégnée d'huile d'olive, nous régalent de leurs saveurs lumineuses et roboratives.

« On dit des habitants de la Cité que le sang ne coule pas dans leurs veines, qu'il a été remplacé par le vin. Grands crus de l'Entre-deux-Murs pour les prestigieuses maisons, tout-venant pour le bas peuple. Et entre les deux une foultitude de nuances de rouge et de blanc. – Dis-moi ce que tu bois, je te dirai d'où tu viens et où tu vas – le dicton se vérifie depuis des siècles. Et bien évidemment, pour que l'âme de la Cité puisse parcourir les habitants comme autant de vaisseaux sanguins d'un tout plus vaste, il fallait bien inventer une gastronomie appropriée ».

Il m'est d'avis que Guillaume Chamanadjian est un passionné de jeu d'échec. Un jeu très proche, le jeu de la Tour de garde, est onmiprésent et présenté de façon passionnante dans ce premier tome. Chaque citoyen semble avoir sur lui ses propres pièces dont la matière et la finition en disent long sur qui ils sont. Jeu stratégique qui semble se déployer grandeur nature au sein de la Cité.


Vous l'aurez compris, ce premier tome est particulièrement prometteur pour le projet littéraire dans sa globalité, projet qui, en plus d'être ambitieux, est beau je trouve quand on comprend que le fonctionnement des villes, leurs aspects politique, économiques, sociétal sont véritablement analysés, décortiqués, entremêlés l'un à l'autre. Je me suis prise à imaginer ce projet avec deux autres extensions, celle de l'est et de l'ouest. Quatre trilogies réunissant quatre auteurs différents…Bon en attendant, il y a de quoi faire et le lecteur a le luxe du choix : il peut lire d'abord la trilogie dédiée à Capitale du Sud puis celle du Nord, ou bien dans l'ordre de parution (Les tomes de Capitale du Sud sont publiés chaque mois d'avril depuis avril 2021 tandis que les tomes du Capitale du Nord sont publiés chaque mois d'octobre depuis octobre 2021), donc en alternant Sud et Nord…un projet réjouissant dans lequel j'imagine certains personnages, pour le moment bien ancrés dans l'une des capitales, se rencontrant plus tard…J'opte pour ma part pour l'entrelacement de l'histoire des deux cités en comptant les lire alternativement. Et ce projet de lecture est tout simplement réjouissant !
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