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Critique de Soleney


Je n'ai pas l'habitude de lire des romans épistolaires, ou même des romans à l'eau de rose – si tant est qu'on puisse que ce livre en fasse partie. Ce n'est pas un genre qui m'attire, et pourtant, j'ai été touchée par la profondeur de cette histoire et par le réalisme des sentiments des personnages.

Pendant presque un an, la lectrice (protagoniste dont on ne connaît pas le nom) va écrire à son auteur favori, qu'elle admire profondément. La plupart des lecteurs en rêvent, elle, elle l'a fait. Et malgré l'absence de réponse, elle persévère, encore et encore, pendant un an. C'est incroyable, n'est-ce pas ? Comment peut-on s'accrocher ainsi, sans savoir ce que pense le correspondant, sans savoir si cela l'amuse, si cela lui fait peur, l'ennuie, l'indiffère… Personnellement, je ne suis pas aussi combative : une lettre m'aurait suffi et je n'aurais pas osé insister.
Pendant plusieurs dizaines de pages, j'ai cru déjà entrevoir la suite du récit : elle ne recevra pas de réponse mais continuera son monologue, s'enfermant dans ses idées, dans ses convictions, jusqu'au fanatisme et au drame. Par moment, j'ai trouvé que l'auteur était cruel de ne pas accorder un seul signe d'intérêt à cette femme, qui lui envoie pourtant des lettres très touchantes… Mais d'autres fois, je comprenais son silence, car l'obsession de l'admiratrice rejaillit et devient presque inquiétante (elle a fait des fiches sur sa vie, elle a « compilé tous ses entretiens », « suivi les évolutions de sa coiffure », etc.). Par moments, elle fait même quelques allusions sensuelles qui pourraient presque être oppressantes. Cette grande admiratrice tente de se mettre en valeur comme si elle voulait le séduire (page 12 pour la référence), et le décrit même élogieusement – pour le flatter ou simplement pour être sincère. Elle l'idéalise ; plus fort, elle lui parle comme si elle le connaissait déjà. Ça peut faire peur à n'importe qui…
C'est pourquoi j'étais assez surprise en constatant que, finalement, arrive l'aboutissement de ses efforts, son rêve le plus cher : une réponse. Ainsi, un dialogue s'installe, rapprochant ces deux âmes à la fois si ressemblantes et si différentes. Nous n'en avons qu'une partie – les écrits de l'écrivain n'étant pas retranscrits – mais ce que dit la lectrice suffit à la compréhension des événements. Petit à petit, ils seront amenés à se rapprocher, et les lettres, qui commençaient par « Monsieur », finiront par démarrer avec « Cher Monsieur XXX », puis « Cher Michel ». Et enfin, le tutoiement, la rencontre, l'amitié… Une amitié qui m'a semblée encore teintée de sous-entendus, et j'ai bien l'impression que cette femme attend (peut-être sans se l'avouer) quelque chose de plus de cette relation.

J'ai senti dans cette oeuvre (mais peut-être que je me trompe ?) une grande implication de l'auteure, l'expression de son intériorité. En effet, l'admiratrice se dévoile dans ses lettres, raconte son quotidien, ses impressions, ses souvenirs. Ses phrases sonnent avec justesse, elles expliquent le courage qu'elle a dû rassembler pour se mettre à écrire, ses attentes quant à cette relation à sens unique, ses doutes qui concernent la réussite de cette entreprise (comment sortir du lot quand plusieurs milliers d'autres admirateurs doivent faire la même chose ?). Cela en fait un personnage touchant qu'on a l'impression de connaître intimement. Elle fait la même chose avec l'écrivain : elle le raconte et l'analyse, peut-être avec raison – mais ça, on ne le saura jamais. Elle détaille son écriture, ses pensées et entre dans son espace personnel, le plus souvent avec délicatesse, mais parfois (sans le faire exprès) un peu abruptement, à l'exemple de sa lettre du 25 avril. Tout cela nous permet de voir que c'est un personnage sensible qui se laisse parfois déborder par ses sentiments. Mais c'est aussi quelqu'un d'entier qui n'envisage que la réussite : « Je vous réussirai ou rien. »
Je me suis demandé à plusieurs reprises qui des deux personnages Ève Chambrot pouvait bien être : la lectrice ou l'écrivain ? Les deux semblent tellement proches de nous, tellement réalistes qu'on dirait qu'il y a une part d'elle dans chacun d'eux.

Et puis, et puis le mystère sur l'identité de l'auteur est levé vers la moitié du livre. Personnellement, j'étais même en train de penser que ce n'était pas quelqu'un de réel, malgré le fourmillement de détails sur sa vie personnelle, ses goûts, ses apparitions publiques… En fait, cette profusion d'indices aura sans doute permis aux connaisseurs de reconnaître le personnage, mais c'est un écrivain que je ne connais presque pas et dont je n'aurais jamais entendu parler s'il n'avait eu le prix Goncourt. Pour moi, le milieu de l'histoire fut donc une vraie révélation !

Tout au long de ma lecture, je me suis demandée comment tout cela pourrait bien finir. L'issue ne pourrait qu'être tragique, si l'on en croit le titre et le résumé. Mais quoi que j'aie pu imaginer, je n'ai pas réussi une seule fois à me rapprocher de la fin. J'ai apprécié la surprise,

Ce petit livre très court, à cheval entre roman et nouvelle, se lit très rapidement et très facilement. le style d'Ève Chambrot est léger, tendre. Fluide. J'ai notamment admiré la qualité de ses figures de style (« têtu comme une moisissure » XD) et sa capacité à créer des personnages profonds et complexes. Je regrette simplement les quelques longueurs qui apparaissent de temps en temps – mais c'est l'histoire qui veut ça.

Un grand merci aux éditions Volumes de m'avoir permis de découvrir La Bonne Distance ! Assurément, c'est un livre qui ne laisse pas indifférent, qui touche à l'intériorité et qui implique (forcément) le lecteur…
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