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Critique de clesbibliofeel


Antan d’enfance » est paru en octobre 1990 chez Hatier, Tome I de la série « Une enfance créole ». A mon avis, c'est bien de lire dans la foulée le tome II, « Chemin-d’école », paru en 1996. D'ailleurs, dans cette chronique, j'évoquerai ce tome II tellement il est difficile à dissocier du premier.
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Nous avons tous des souvenirs de cette période tellement importante de l'enfance, fantastique d'expériences nouvelles. Ici elle est désignée comme « créole ». Ces récits d'un autre nous-même, si lointain et si proche en même temps, est de ceux que je conseille vivement. Avec Chamoiseau, c'est la magie d'un environnement à découvrir – dans une créolité vivante, poétique et philosophique – c'est le rapport au monde qui est questionné et, à travers la langue, la mise en présence des cultures vécue dans le respect de la diversité – "la mondialité" comme il la nomme afin de bien la distinguer de la mondialisation. Cet "Antan d'enfance" peut être une bonne porte d'entrée à une littérature antillaise, afro-caribénne, passionnante car à la croisée de bien des chemins, toute insulaire qu'elle soit.
En introduction du tome II, intitulé « Chemin-d'école », il donne toute la mesure de son acte d'écrire : « Petites personnes, des Antilles, de la Guyane, de Nouvelle-Calédonie, de l'île Maurice, de Rodrigues et autre Mascareignes, de Corse, de Bretagne, de Normandie, d'Alsace, du Pays basque, de Provence , d'Afrique, des quatre coins de l'Orient, de toutes terreurs nationales, de tous confins étatiques, de toutes périphéries d'empires ou de fédérations, qui avez dû affronter une école coloniale, oui vous qui aujourd'hui en d'autres manières l'affrontez encore, et vous qui demain l'affronterez autrement, cette parole de rire amère contre l'Unique et le Même, riche de son propre centre et contestant tout centre, hors de toutes métropoles, et tranquillement diverselle contre l'universel, est dite en votre nom. »

Souvenirs ? Paroles entendues plus tard ? On ne sait pas trop comment il peut faire ressurgir tout ça avec autant de force. L'écriture est somptueuse, mélange de français, de créole… Un poète, un conteur qui m'a enchanté avec ses histoires et ses personnages hauts en couleur.
On fait la connaissance de sa « manman », Man Ninotte, partout présente dans le premier tome et ses deux parties, SENTIR, SORTIR. L'épisode du marché et des palabres avec les marchandes, ceux des premières tentatives de sorties, de l'envie d'école comme les grands, sont particulièrement savoureux : « - aller en quel côté, han ? J'ai laissé l'âge des paraboles… s'impatientait Man Ninotte (elle redoutait, en fait, de se voir déportée dans ces enfilades de questions dont le négrillon cultivait l'expertise insensée). »
Autre personnage étonnant, et qui occupe une grande place dans "Chemin-d'école" : Gros-Lombric, un garçon de famille pauvre, écolier marron de l'Ecole coloniale, souffre-douleur du Maître : « chacun s'attendait à voir débouler de ses poches une spectrale nichée de bêtes-longues… ». Les bêtes- longues ce sont les serpents dans le langage direct et poétique de l'auteur.
Ou encore la conteuse Jeanne-Yvette qui le menait « au rythme des rafales de sa langue... »
« Elle apprit au négrillon l'étonnante richesse de l'oralité créole. Un univers de résistances débrouillardes, de méchancetés salvatrices, riche de plusieurs génies. Jeanne-Yvette nous venait des mémoire caraïbes, du grouillement de l'Afrique, des diversités de l'Europe, du foisonnement de l'Inde, des tremblements d'Asie..., du vaste toucher des peuples dans le prisme des îles ouvertes, lieux-dits de la Créolité »

La technique du cadavre exquis se révèle excellente pour faire surgir des images improbables et frappantes, ici c'est bien différent, on a des images justes et fulgurantes dans leur expressivité immédiate comme si les mots de l'oralité passaient directement dans nos veines pour répercuter les sensations sans l'artifice des phrases. Ainsi quand il écrit à l'arrivée de l'eau à Fort de France : « L'eau est arrivée ! L'eau est arrivée ! Et tout le monde courait-venir, se bousculait, réglait une vitesse sur l'eau offerte. » Je vois bouger les gens au rythme de l'écoulement d'eau !

J'ai adoré son évocation du chocolat (que j'aime aussi déguster) :
« Chocolat-première-communion
l'écrire c'est saliver
y penser c'est souffrir
communier c'est chocolat »

Et j'aime entendre : « Quelques virgules dont la manman était en retard voltigeaient leur cartable contre le mur de l'école et menaient sarabande sur le trottoir. » Les virgules ce sont les petits, ceux qui ne comptent pas beaucoup ? Les mots seraient alors les parents, les grands ?

Patrick Chamoiseau est martiniquais. C'est un auteur majeur qui a su passer les mots issus de cette culture créole, riche de son oralité, vers une langue de métissage intégrant des expressions créoles au français. Il est pour moi le chef de file de ces nombreux écrivains antillais qui ont marqué ces dernières décennies de leur folle inventivité. Je pense à Edouard Glissant, Raphael Confiant, René Depestre, Gary Victor pour ceux que j'ai lus et appréciés, mais il y en a beaucoup d'autres.
Il a obtenu le Prix Goncourt en 1992 pour l'excellent « Texaco ». Depuis ses débuts dans les années 80, il a construit une oeuvre foisonnante et reconnue avec quantité de romans, de récits, d'essais, de scénarios et même de bandes dessinées. Il s'intéresse au thème de la relation, ce qui est palpable dès cet « Antan d'enfance ». Je retiens notamment, dans une veine plus philosophique revisitant les Robinsons de Defoe et Tournier, « L'empreinte à Crusoé » paru chez Gallimard en 2012 et plus près de nous, dans un engagement que je trouve courageux, « Osons la fraternité ! Les écrivains aux côtés des migrants », où il côtoie Jean-Marie le Clézio, Tahar Ben Jelloun, Patrick Boucheron, Laurent Gaudé, Lydie Salvayre, Gary Victor... et bien d'autres « gens de plume » qui comptent actuellement.
Comme le dit Sylvain Bourmeau dans la présentation d'une émission de "La suite dans les idées" sur France culture, consacrée à cet auteur : « Dans le sillage d'Edouard Glissant, son aîné et ami, Patrick Chamoiseau bâtit une oeuvre littéraire ouverte aux grands vents du tout-monde, et qui n'hésite jamais à replacer les interactions locales concrètes dans des représentations globales et conceptuelles. »
Vous avez compris que Patrick Chamoiseau garde une bonne place dans ma bibliothèque et il y aura toujours une petite place pour déguster du chocolat... et aussi un de ses livres de temps à autre ! Par exemple le Tome III de cette enfance créole : « A bout d'enfance » paru en 2005, également chez Gallimard.
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