« Je descendis au drugstore du coin et y pris un sandwich au poulet et un café. le café était éventé et le sandwich aussi savoureux qu'un pan de chemise entre deux tranches de plâtre. Les Américains mangent n'importe quoi pourvu que ce soit grillé, maintenu par deux ou trois cure-dents avec un bout de laitue fripée qui dépasse des bords. »
C'est à ce genre de phrases, figurant désormais dans la traduction augmentée de
The long Goodbye, censurées dans la version publié en 1954, intitulée «
sur un air de navaja », que l'on reconnait le style Chandler, celui qui a fait école pour servir de modèle aux nombreux détectives qui viendront après Philippe Marlowe.
Le personnage du détective à la fois acteur et observateur, sans illusion sur le sens de son action, mais déterminé à la mener contre l'avis des autorités officielles ou souterraines est né grâce à
Raymond Chandler.
Il n'est pas un simple détective, mais un philosophe en rupture de ban, sans illusion sur ses contemporains, et naturellement railleur :
« Il sortait tout droit d'un de ces ranchs bidon qui mettent toute la gomme sur le cheval au point que même la standardiste porte des bottes d'équitation pour répondre au téléphone. »
« Mais dans sa délicieuse cuisine immaculée, la ménagère américaine est incapable de de préparer un repas mangeable et la merveilleuse salle de bains est essentiellement un dépôt de déodorants, laxatifs, somnifères et produits divers relevant tous du racket de l'industrie cosmétique. Nous faisons les plus beaux emballages du monde, Mr. Marlowe, mais tout leur contenu est à jeter. »
On comprend l'effroi de l'éditeur de l'époque (1954) quant à la capacité du grand public français à recevoir ce type de raisonnement.
Volontiers buveur, et fumeur, iconoclaste, peu attiré par l'argent, s'affranchissant des règles du politiquement correct, n'en faisant qu'à sa tête, bravant le danger, souvent à son détriment, ainsi est Marlowe, pour l'éternité. Pas un super héros, mais un héros ordinaire cherchant à gagner simplement sa vie, sans s'emmerder mais en emmerdant les autorités un maximum.
C'est un réel plaisir de lire ces 500 pages pleines de rebondissement - je ne vous dirai rien sur l'histoire elle-même (Un chassé-croisé entre des personnes qui se sont connues autrefois et se retrouvent pour le pire) - au vocabulaire riche et imagé, à la philosophie souvent visionnaire, pessimiste, sans exagération, sur le devenir du monde.
Comme la citation de Hamlet figurant à la page 452, la devise de Marlowe pourrait bien être « Et que s'abatte la grande hache là où est le crime. »
Chandler forever.