L'ouvrage édité aux presses de l'ENSIB propose au lecteur une approche pluridisciplinaire de ce qu'est la prescription culturelle, à l'heure de la « médiamorphose » : « le passage de la culture de l'imprimé à l'environnement numérique ».
Brigitte Chapelain et
Sylvie Ducas se demandent dans l'introduction : « comment être attentif, dans toutes ces nouveautés, quand la Googlelisation des esprits, la surabondance des biens de consommation culturelle (..), aggravent en outre déjà notre déficit attentionnel ? ».
Ce livre représente donc un outil de formation à cette question que nous nous posons, professeurs, bibliothécaires, documentalistes et autres médiateurs du livre et de la culture…
Certains chapitres sont très historiques et érudits (l'étymologie du verbe Prescrire, l'histoire de la médiation de la science-fiction ,la vogue des romans de chevalerie, l'histoire d'
Emile Zola, qui se bat pour la naissance de son mouvement littéraire et les droits d'auteurs), d'autres particulièrement théoriques en science de l'information, très abstrait, avec de nombreuses notes renvoyant à de nombreux autres articles, ce qui a rendu ma lecture très difficile, j'avoue.
Certains chapitres sont très intéressants et m'ont appris pas mal de choses, comme particulièrement, l'histoire du livre de chevet, qui dresse un tableau des premiers prescripteurs de livres, comme la mère, la famille. le rôle des bibliothécaires dans un monde évoluant sans cesse, qui devient un « gymnaste relayeur », ( p. 120, William Jouve), la censure pour la presse de coeur et de crimes, l'influence des émissions littéraires à la radio , principalement France Inter et France culture et leur évolution aujourd'hui, avec le fait que la radio n'est plus éphémère, avec les Podcast, et que ces émissions ont de l'influence sur de nombreux acteurs de la chaîne : libraires, éditeurs, auteurs…
Les chapitres sur la prescription dans le milieu du spectacle vivant et des musées, permet de découvrir aussi la création de communautés participatives qui agissent dans les lieux et les manifestations culturelles.
La fin du livre m'a particulièrement plu, car ce sont des thèmes qui concernent plus mon métier, et sont aussi plus actuels sur l'apport du numérique : le rôle et l'histoire des fans prescripteurs, pour les séries télévisuelles et les films, les fans de SF qui interagissent avec les auteurs, créent des communautés, puis créent même des prix littéraires. La chapitre sur les booktubeuses (et oui, c'est souvent des jeunes femmes), de Marine Coculet, permet de bien comprendre le phénomène, à partir d'exemples concrets. On parle encore de communautés, mais leur influence devient importante et a un effet de socialisation, par la création de jeux, challenges, clubs lectures. Certains gagnent une reconnaissance, en participant à des prix littéraires.
Bien sûr, qui dit Internet, dit plateforme d'échanges ou de consultation. le chapitre de Geoffrey Delcroix nous explique bien le système de recommandation et les algorithmes : « 75 % des contenus visionnés par ses clients viennent d'une recommandation personnalisée de son moteur ». de quoi s'interroger sur nos pratiques de prescripteurs culturels traditionnels…
Pour finir, à travers l'exemple du site « sens critique », l'auteur Valérie Croissant, s'interroge sur la fabrique et la légitimité des amateurs qui publient des avis, mettent des notes, quelles est la ligne éditoriale de certaines plateformes, que vont-ils faire de nos données, quels sont les liens avec le milieu économique ? C'est une réflexion salutaire, qui permet de relativiser aussi une prescription, permet de s'interroger sur ce qu'on consulte ( ou ce qu'on publie…) et comment on en tient compte.
Bref on assiste aujourd'hui à « une recomposition des espace de la médiation culturelle », p.373, et cet ouvrage permet de se former à ces nouvelles données, ce qui va être nécessaire en tant qu'acteur dans ce domaine.
Les presses de l'ENSIB offrent évidemment des ouvrages de grande qualité éditoriale, qui permettent aux chercheurs et enseignants de publier des articles d'une grande qualité. Les bibliographies de chaque article sont très étoffées. Ce qui m'a un peu gêné dans la lecture, ce sont les nombreuses notes en bas de pages,- je ne suis peut-être plus trop habituée à ce genre de publication- , mais j'aurai préféré que les précisions soient données dans l'article pour qu'ils soit plus concrets, ou que les références d'autres articles soient tout simplement ajoutés dans la bibliographie…