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On dit des films de Quentin Tarantino (puisque un magazine fait la comparaison, moi aussi) que soit on adore, soit on déteste. Ce livre je le déteste. Pas parce qu'il est mal fait, incohérent ou plein de fautes, mais parce qu'il représente tout ce qui me tape sur les nerfs quand je lis un livre et que je résumerais en deux points qui convergent l'un vers l'autre : la narration à la première personne et la banalité. Je l'ai déjà dit dans une autre chronique (cf. Série des Flavia de Luce), voire même plusieurs mais quand je lis un livre j'ai en horreur la narration à la première personne, en particulier quand ça me paraît être utilisé dans un cadre purement conventionnel -et c'est le cas ici selon moi-. Alors "les goûts et les couleurs ça ne se discute pas" et je reconnais volontiers que c'est un ressenti purement personnel, vraisemblablement issu de mon expérience de gameuse : étant une vraie buse cosmique aux jeux à la première personne (FPS en tête) je préfère ceux avec une caméra isométrique (type The Witcher ou les MMORPGs). Mais ce que je déplore ici, au-delà de mon goût propre, c'est un manque cruel d'originalité. Un récit avec une gamine de 16 ans comme héroïne peut marcher avec une narration à la troisième personne, comme un récit historique peut fonctionner en étant à la première. L'un n'empêche pas l'autre. Le livre appartient au genre de la dystopie/contre-utopie*. Je sais que chaque genre a ses codes et conventions plus ou moins tacites et utilisés par tous mais le génie d'un auteur c'est aussi de transcender ces codes par la rupture, l'innovation ou la réactualisation. Là, bien que je reconnaisse ne pas l'avoir lu, j'ai l'impression d'avoir un énième Hunger Game avec juste un changement de décor et de nom. Rendez-vous compte : un monde plus ou moins post-apocalyptique/rongé par une guerre entraîne la civilisation humaine a radicalement repenser son mode de fonctionnement en créant une sorte d'épreuve où des adolescents doivent s'entretuer et dont le héros est une fille de 15/16 ans entraînée plus ou moins malgré elle, le tout chapeauté par un Conseil de "sages". ça ne vous rappelle rien ? Dualed ainsi que The Testing sont conçus sur ce scénario de base. Comme par hasard la narration est toujours à la première personne. Aldous Huxley ou Ray Bradbury ont créé des chefs-d'oeuvre du genre sans utiliser ce schéma, c'est donc possible de faire original ! C'est peut-être à la mode, et très certainement que la traduction perd beaucoup par rapport à l'anglais (parce que le côté "frénétique et imprévisible" moi je l'ai pas vu hein...), mais dès les premières lignes je suis sortie de mes gonds et j'ai eu envie de jeter le livre. Encore une fois le genre ne convient probablement pas à mes goûts mais les thrillers j'aime bien et la quatrième de couverture dit que s'en est un. Excusez du peu mais dès la première page, en faisant le lien avec ce que je savais d'Hunger Game et avec ma lecture de The Testing, je connaissais non seulement la fin du livre mais aussi -à peu près- son déroulement et les états d'âme de West Grayer. ET JE M'EN FICHE DE SES ETATS D'ÂME !!!! Qu'en ai-je à faire des émois balbutiants d'une gamine de 15 ans, obligée de tuer pour survivre, amoureuse de son ami d'enfance (encore une constante...) mais qui ne s'assume pas? Je veux le thriller moi ! le côté "frénétique et imprévisible" !!! Au lieu de ça j'ai un vague fond d'action ultra-violent et sanglant et beaucoup de mièvreries et d'hésitations.... J'ai peur pour la suite T_T. En dehors de ça, techniquement le livre est bien fait et je n'ai pas grand chose à lui reprocher (si ce n'est que j'ai sué pour le finir...). J'avoue que j'adhère même plutôt bien avec la thématique développée qui, selon moi, pose la question de l'état d'adulte. Bien que présenté d'une manière extrême avec une société divisée en deux - d'un côté les adultes privilégiés et de l'autre les adolescents discriminés-, Elsie Chapman présente le passage de l'enfance à l'âge adulte d'un point de vue intéressant et dont on peut tirer plusieurs interprétations. Voici la situation : - de 0 à 20 ans, les individus sont "inactifs" - entre 10 et 20 ans, ils sont "activés" et ont un mois à partir de l'activation pour tuer leur Alt/Jumeau Génétique. L'activation peut intervenir n'importe quand dans cette fourchette de 10 ans, parfois très tôt (le Professeur Baer à 10 ans), parfois très tard (un autre personnage à presque 20 ans). Au terme des 30 jours, si aucun des deux individus n'a tué l'autre, ils meurent tous les deux. - après l'activation (selon l'âge), les individus ayant réussi à éliminer leur Alt deviennent des "accomplis". Les accomplis ont un boulot mieux payé (même si adolescents), le droit à de la vraie nourriture (par exemple une salade César avec du poulet et non pas du pigeon), la possibilité de poursuivre leurs études, de se marier, de faire des enfants etc... Ce que le livre traite comme une discrimination est le reflet même de la réalité : un adolescent réfléchit rarement à ce qu'il veut faire "après", le mariage et les enfants ne sont que des mots situés dans un avenir vaguement lointain, et la nourriture... Si on les laissait faire les adolescents mangeraient n'importe quoi non ? ^^' -ne sais pas-. La réalité c'est que tout le monde est d'accord pour admettre que l'adolescence est une période charnière entre le monde des adultes et celui des enfants. Mais ce n'est pas nécessairement une question d'âge comme l'indique la fourchette plutôt large de 10 ans. Je crois que l'âge adulte est plus un état d'esprit (tout du moins ça semble présenté ainsi) : selon le parcours et les circonstances de la vie, certains l'atteigne très tôt, d'autres très tard. Ce n'est pas une erreur, juste la nature car tout le monde est différente et réagit différemment aux évènements. Mais Elsie Chapman va plus loin en nous disant ce à quoi correspond ce changement d'état d'esprit : chaque individu de Kersh a un Alt**, un jumeau génétique, et ne devient "accompli" (comprenez adulte) seulement quand il l'a éliminé. le récit fait dans la violence et le sanglant, mais qu'importe l'idée est la même. Passer à l'âge adulte, c'est se traquer, se trouver et se vaincre soi-même pour se libérer des peurs de l'enfance, avancer et envisager une vie en en acceptant toutes les conséquences et les responsabilités : faire des études pour trouver un bon travail pour pouvoir acheter une maison, manger à sa faim et élever des enfants. Si on prend le "schéma classique". Et donc ceux qui n'y parviendrait pas sont condamné à s'auto-détruire, comme les individus incapables de trouver et de tuer leur Alt dans le temps imparti. le livre rend compte aussi d'une autre réalité à travers la description des différents quartier de Kersh : au-delà du fait que même les utopies semblent avoir leurs riches et leurs pauvres, nous sommes tous plus ou moins bien préparés à affronter notre Alt selon l'environnement dans lequel nous vivons. Parfois on part désavantagé la vie, parfois sur-préparés. le résultat est le même : nous aurons tous à mener ce combat. En résumé, je déteste ce livre pour ce qu'il est à savoir une énième dystopie mettant en scène une adolescente devant survivre à un "jeu de massacre" géant. ça ne m'empêche pas d'apprécier le message très instructif caché derrière les lignes. J'attends autant que je redoute Divided, que je dois lire après et où je risque de retrouver les mêmes "défauts"... *Le terme utopie vient du grec u- (préfixe de négation) et topos (le lieu, l'endroit), désignant clairement un "non-lieu" i.e un endroit qui n'existe pas. Thomas Moore créa le genre littéraire à la Renaissance avec son livre justement intitulé Utopia et décrivant une société parfaite, juste et égalitaire pour tous. Les utopies narrent donc des histoires dans des cités/civilisations idéales. de même que les dystopies et contre-utopies, bien que dans des registres différents, même si, en général, on utilise un mot pour l'autre. La contre-utopie désigne plutôt une utopie qui sombre et s'effondre dans sa propre dépravation du fait de la corruption de la pensée originelle (j'y range les 1984, Fahrenheit 451 et autres Meilleur des mondes). La dystopie, elle, se fonde sur une utopie basée sur la violence et naissant des cendres de l'ancien monde plutôt que d'une pensée idéale (Hunger Games, The Testing, Divergent -à priori car je ne l'ai pas lu- et bien sûr Dualed) **Pour "alter-ego" du latin signifiant "autre-moi" + Lire la suite |