Charbonneau, un des précurseurs de l'écologie politique et de la décroissance, analyse ici dans un essai exigeant, à travers des réflexions d'une très grande profondeur, la liberté et ses liens avec la conscience et la vérité, son rapport à la nature et à la Technique, à la société et à autrui, à l'Histoire, au politique et au religieux. Celle-ci fait aussi bien face au vrai qu'au faux, à la vie qu'à la mort, au Bien qu'au Mal, au corps qu'à l'âme, à la matière qu'à l'esprit... Il ne s'agit pas ici pour l'auteur de professer ce qu'est la liberté, mais plutôt d'interroger les conditions de sa venue ainsi que les freins imposés à l'homme, ou ceux qu'il s'impose à lui-même, face à cet abîme inconnu, face à ce paradoxe qu'est cet idéal tant galvaudé. C'est un absolu jamais atteint, jamais fixe mais toujours à conquérir. La liberté est un « mouvement vers » et non une valeur, elle n'est jamais là mais doit être sans cesse cherchée et recherchée.
Mais encore faut-il avoir conscience de nos chaînes et les accepter pour mieux nous en défaire. Encore faut-il aussi être prêt à accepter la contradiction inhérente à cet état, et ses corollaires que sont la responsabilité, l'incertitude, l'angoisse et les devoirs envers autrui qui parsèment ce long chemin à parcourir, sinon elle n'est que négation d'elle-même et hypocrisie.
Charbonneau est un grand penseur, et ce livre n'est pas aussi connu qu'il le mériterait. Certes, les textes de cet auteur furent diffusés de manière confidentielle. Certes, hormis dans les cercles écologistes et décroissants, Charbonneau est un illustre inconnu. Mais peut-être est-ce dû en fin de compte à l'impopularité des réflexions qu'il provoque, dans une époque où chacun a le mot liberté à la bouche sans avoir nécessairement conscience de son poids et de ce qu'il signifie vraiment...
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L’homme peut être déterminé par un monde de puissances coalisées pour le rejeter au chaos, s’il l’admet sans abdiquer pour cela il aura remporté la victoire. La liberté ne nie pas les déterminations, elle les dépasse : elle surdétermine.
Si le constat de la nécessité n’est qu’un jugement de fait, le premier pas est accompli. Parce que je suis libre je m’accepte serf ; et parce que je m’accepte serf je devient libre : nous ne sommes pas l’un ou l’autre mais l’un et l’autre. Mais le premier pas est le plus dur. Le péché de l’homme libre est celui de l’orgueil : il se croit assuré d’une liberté dont il se glorifie. Il méprise l’action de la pesanteur parce que mécanique, alors qu’il lui suffit d’être pesante. La condition fondamentale de la victoire sur la nécessité est de l’attaquer sur son terrain : d’en prendre conscience.
Dans notre société la technique et l'économie emboîtent aussitôt le pas à la science. Mourir était laissé jusqu'ici à la nature et aux individus qui le faisaient fort mal. Désormais, le néant sera organisé. Il y aura des morts de première, de seconde ou de troisième classe comme il y a des enterrements, les chefs charismatiques auront droit à des agonies nationales indéfiniment prolongées. Comme il y a des maternités, il y aura des mouroirs où des spécialistes pratiqueront la mort sans douleur. Et les cimetières, et même les columbariums seront remplacés par des archives où chacun, réduit en microfilm, trouvera sa place pour l'éternité ; il suffira d'appuyer sur un bouton et le cher disparu vivra devant vous sa vie en couleur et en relief. Ainsi les veuves retrouveront leur nuit de noces et les promoteurs pourront enfin disposer de vastes espaces bourrés jusqu'ici de néant.
Quand menace la trentaine, les meilleurs des jeunes hommes cherchent la vérité comme ils cherchent un établissement. Et ce sera toujours la première venue, celle du lieu et de l'instant où ils se trouvent. Le symptôme de ce prurit métaphysique est une fièvre d'absolu qui les conduit à mépriser tout le reste. Il leur faut rien moins que Dieu, le sens de la vie. Il leur faut tout ou rien, et tout de suite. Leur intransigeance et leur pureté comme leur appétit sont extrêmes. Le relatif pour eux n'existe pas, seule compte la vérité dont tout le reste découle. Mais autant il leur est essentiel de la connaître, autant la vivre leur est indifférent. Ceux-là seront aussi certains du principe qu'incertains dans son application. S'ils ont fui la mise en question ce n'est pas pour la retrouver sur un autre plan.
La vérité ? — Nous ne pouvons pas plus la saisir que le vent. L'Esprit souffle où il veut, invisible et mouvant, ce n'est pas pour rien que la tradition fait de l'âme individuelle un souffle. Vérité ! Ouragan ! Tu chevauchais l'horizon. Les orgues de ta gloire déferlaient, le chœur de tes légions exaltait ta puissance. Je me préparais à relever ton défi. Mais voici, tu t'apaises et te tais ; le silence me couvre de son ombre — et je tremble, puis je m'incline. Vent du désert ! Ma faiblesse te voulait tempête. Et voici, tu n'es qu'un souffle dont frémit à peine la fleur du lin.
La loi du monde, et la nôtre dans la mesure où nous lui appartenons, c'est la victoire de la matière sur l'esprit, de la masse sur la personne. [...] Si rien n'intervient, à la longue le mal l'emporte et les victoires locales ne font que retarder la défaite finale : l'entropie triomphe, les soleils s'éteignent et l'homme meurt. Le sens de la nécessité c'est le mal ; qui s'abandonne à elle peut s'attendre à aller jusqu'au bout du mensonge et du désordre. Le bien n'est pas donné, il est à faire, et par quelqu'un.
Daniel Cérézuelle vous présente son ouvrage "La technique et la chair" et "La nature du combat : pour une révolution écologique" écrit par Bernard Charbonneau et Jacques Ellul aux éditions l'Echappée. Entretien avec Lucas Chaintrier.
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https://www.mollat.com/livres/2579013/bernard-charbonneau-la-nature-du-combat-pour-une-revolution-ecologique
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