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EAN : 9782253033608
445 pages
Le Livre de Poche (15/02/1984)
3.72/5   45 notes
Résumé :
" L'œuvre de Jacques Chardonne semble d'abord calme et reposée.
Son style admirable et précieux nous est présenté dans un emballage de ouate. De son premier à son dernier livre, l'impression dominante est celle de la maturité. Toutes ces pages sont complices du temps. Elles n'ont jamais tenté d'en forcer le cours. Elles en ont suivi les caprices et les lenteurs, les sinuosités inutiles, les brèves lueurs d'éternité... Prose mélancolique et noble mais égalemen... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (8) Voir plus Ajouter une critique
La diffusion récente sur une chaîne de cinéma du magnifique film de Olivier Assayas (1999) m'a donné envie de lire le livre qui a inspiré le film et qui porte le même titre. Magnifique interprétation de Charles Berling (le pasteur Jean) et d'Emmanuelle Béart (Pauline)....

Le livre "Destinées sentimentales" a été publié en 1947 et l'auteur, Jacques Chardonne, bien qu'autrefois très apprécié de François Mitterrand (entre autres..), semble tomber dans l'oubli malgré ses qualités littéraires évidentes.

Certainement son attitude plus que discutable pendant l'Occupation a joué un grand rôle (il a participé en octobre 1941 au voyage qui mène huit écrivains en Allemagne rencontrer Goebbels), même s'il a bénéficié d'un non-lieu en 1946, sa cote a évidemment été très affectée par cet épisode peu reluisant.

A l'occasion du cinquantième anniversaire de la mort de Jacques Chardonne, il peut être intéressant de redécouvrir cet auteur, qui a su magnifiquement évoquer sa région natale de Charente et son roman "Destinées sentimentales" est certainement le plus abouti.

Il est question avant tout dans ce livre d'un couple: celui formé par le pasteur Jean Barnery et sa femme Pauline, issus tous deux de puissantes familles charentaises qui produisent de la porcelaine et du cognac.
Philippe Pommerel, producteur de cognac, joue un rôle influent auprès de Jean et l'a amené à se séparer de sa femme Nathalie (interprétée par Isabelle Huppert) au début du roman.

Pauline qui est la nièce de Pommerel va rejoindre la demeure du patriarche après un séjour en Angleterre.
Ce pourrait être un univers clos, étriqué, celui de la grande bourgeoisie provinciale protestante mais ce n'est pas le cas.

L'auteur a le don de nous faire vivre les interrogations permanentes qui hantent les personnages: ainsi Jean, bien qu'héritier d'une puissante et très riche famille, a à coeur d'exercer au mieux son ministère, tout en gardant des convictions morales très fortes, et il a une attitude plutôt critique (moderne?) vis-à-vis du profit.

Avec ce roman nous voyons vivre aussi une entreprise, qui exporte beaucoup et qui a déjà des optiques de rendement.. Il s'agit de surpasser la concurrence allemande, qui produit des articles de porcelaine moins chers, mais de moins grande finesse.
Pauline va s'accoutumer à ce monde conservateur un peu froid, mais sans accepter ses valeurs.
Le personnage du pasteur est passionnant car, amené à gérer l'entreprise familiale, il va être confronté aux restructurations industrielles, aux choix de clientèle.

Cette dimension "économique" donne un aspect étrangement moderne au roman..
« Je ne veux pas jouir de ma fortune dans une société qui accorde trop d'avantages à ceux qui sont bien nés et qui augmente l'injustice naturelle. Je crois à un monde spirituel, tout à fait opposé aux trésors de la terre. Pour m'y préparer et m'en rapprocher, je veux vivre dans des conditions matérielles salutaires ». C'est ainsi que le pasteur Jean Bernery raisonne, et son accent est particulièrement moderne.

Pauline, pendant la guerre, va être infirmière et cela va donner une nouvelle dimension à sa vie.

Qu'est-ce qui peut plaire surtout dans ce livre?
La langue classique (on n'en a plus l'habitude..), la célébration de l'amour qui dure..., des personnages intéressants et nuancés.. une peinture fascinante de la bourgeoisie du début du siècle..

Une belle oeuvre à redécouvrir.... et voyez le film aussi! il est extraordinaire....
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Les destinées sentimentales / Jacques Chardonne (1884-1968)
M. Philippe Pommerel, oncle et ami du pasteur Jean Barnery, fait partie des diacres du temple de Barbazac au pays du cognac. Mais sa fonction principale est de produire le meilleur cognac de la région, don qu'il a hérité de son père dont il a pris la suite. Veuf depuis cinq ans, pas un seul instant il n'oublie sa femme. C'est son frère Thomas qui tient la caisse de la maison. Très riche par son mariage, Thomas assume cette fonction pour aider son frère. Lucien est le plus jeune frère de M. Pommerel. Il a abandonné sa femme et sa fille Pauline, dix-sept ans, qui a trouvé refuge chez son oncle diacre.
Arthur le fils de M. Pommerel a épousé Marguerite Burgaud-Duperron et habite aussi Barbazac. Il n'a jamais souhaité aider son père et se consacre à des activités commerciales au sein de la société de son beau-père, au désespoir de son père.
C'est lors d'une soirée dansante chez Marguerite que Pauline pour un soir sent en elle quelque chose d'affranchi et d'un peu grisant au coeur des lumières et des danseurs. Pauline est une personne grave, pensive, mûrie par l'expérience précoce d'une famille déchirée. Elle se conforme docilement aux habitudes de son oncle Pommerel, à ses sentiments religieux et aux rites de la maison.
On apprend au fil des pages que Nathalie, la femme de Jean Barnery est partie deux ans auparavant. Coquette et frivole, elle aurait eu une liaison avec un certain Dalhias, négociant en cognac. Elle demeure à présent à Limoges avec Aline sa fillette de quatre ans.
Jean se remémore les instants précédant le départ de Nathalie, la discussion concernant les lettres qu'elle avait reçues de Dalhias pour lesquelles elle n'exprimait aucun repentir, ce qui avait conduit Jean à lui demander de partir après cinq ans de vie commune. Il est convaincu cependant qu'il a manqué de charité envers elle et croit au fond de lui qu'elle reviendra à Barbazac pour vivre de nouveau avec lui.
Pour Nathalie, la vie d'épouse fut un amer étonnement. Elle n'avait pas prévu de vivre chichement avec un pasteur qui l'intimidait. Elle tenta bien de se résigner, mais Jean ignorait ses pensées et ses peines, ses déceptions et ses tristesses. Jean lui interdisait de fréquenter le salon d'Arthur, le jugeant trop frivole. Malheureuse et délaissée, Dalhias devint son confident.
Jean au fil des jours sent qu'il aime Pauline d'un sentiment à peine perceptible, qu'il a voulu ignorer pendant longtemps et écarter de sa pensée. Il feint l'indifférence auprès d'elle et ce avec passion pour la protéger de cet amour qu'il éprouve. Et c'est alors paradoxalement qu'il est décidé à rappeler Nathalie, à réparer les torts envers sa femme et rendre le bonheur à un être qu'il a frustré. Il pardonnera les propos irritants, les frivolités enfantines, les caprices.
Nathalie de son côté malgré la séparation s'est toujours considérée comme la femme de Jean Barnery, jugeant comme indestructible cette alliance dont elle veut rester la sainte gardienne.
Une lettre annonce à Nathalie la visite à Limoges de Philippe Pommerel chargé contre son gré de faire part du souhait de Jean. L'entrevue est tendue, Pommerel n'ayant jamais porté Nathalie dans son coeur, tout comme le retour à Barbazac, une gêne pesante s'immisçant au sein du couple malgré la présence de la petite Aline, leur fille. Dans le silence, une vie de mensonges s'établit entre eux…Jusqu'au coup de théâtre…
Pendant ce temps, Pauline qui a découvert son amour impossible et coupable, est partie à Paris et loge dans une pension de famille. Après avoir suivi des cours de dactylographie elle a trouvé un emploi et déménagé au plus près de son travail dans une mansarde où chaque soir elle retrouve la sensation irrépressible de son amour, un débat épuisant.
C'est à Paris que Jean, encore alité suite à un problème de santé, et Pauline se revoient. Un moment de bonheur pour tout deux qui à aucun moment ne s'avouent leur sentiment respectif.
Puis Pauline rejoint en Suisse Jean qui est en convalescence. Elle n'a pas regardé un homme pendant des années, sentant que tout était futile, vide et ennuyeux, hormis celui pour qui elle voulait demeurer ardente et fraîche, ayant tout réservé pour un but impossible.
Pauline et Jean mariés s'installent en Suisse dans un chalet isolé dans la région de Vevey et vivent leur amour au jour le jour, intensément et dans un bonheur qu'ils croyaient impossible.
« Être heureux dans une petite maison, sur le flanc d'une montagne, n'attendant rien…Cela n'a pas l'air vrai. » confie Pauline à Jean au cours d'une de ces belles promenades au cours desquelles ils ne regardent rien autour d'eux, tendrement rapprochés…
Un petit garçon, Max, viendra bientôt compléter ce bonheur…Jusqu'au jour où les affaires de famille rappelleront Jean puis Pauline et Max à Limoges. Les dernières promenades suisses se font alors en silence, comme s'ils étaient frappés d'un malheur qui les rend plus graves, plus seuls, plus indispensables l'un à l'autre, ils se sentent déjà détachés de ce beau pays qui a abrité leur amour.
Après l'installation à Limoges, le répit n'est pas de longue durée puisque la guerre est là dès le 28 juillet 1914. Jean en qualité de sergent est mobilisé.
Les années ont passé et Jean en grande conversation avec Pauline lui confie : « Souvent les idées sur l'amour ont varié. J'ai pensé : c'est une création, et puis, c'est le goût de la perfection, et puis, au contraire, c'est accepter un être tel qu'il est… »
Les soucis n'épargneront pas Nathalie quant à l'éducation d'Aline et Jean quand la crise économique frappera l'industrie de la porcelaine…
Publié en 1934, ce magnifique roman aux allures de fresque historique et intimiste où s'intriquent plusieurs histoires, fait penser par certains côtés à Mauriac quand il s'agit des événements familiaux, à Zola à travers l'évolution de la bourgeoisie et quand sont évoqués les industries de la porcelaine de Limoges et la production du cognac, à Daniel-Rops à travers le destin d'un pasteur devenu industriel et quand l'amour est partagé entre deux êtres et que la religion occupe une place essentielle dans leur vie.
Dans un style admirable d'une grande pudeur teintée de mélancolie, au lyrisme discret et d'une retenue constante, Chardonne, analyste du couple, en styliste alliant l'harmonie, la simplicité et le dépouillement, nous offre une écriture envoûtante au vocabulaire châtié et précis. Pour moi, ce beau roman d'amour où se mêlent aventure sentimentale et aventure sociale pour en faire une subtile peinture de la société bourgeoise provinciale des grands fabricants de cognac et de porcelaine, est un chef d'oeuvre flamboyant méconnu, avec des personnages de Pauline et Jean attachants et inoubliables.
Un conseil de lecture : noter sur une fiche les très nombreux personnages et familles qui apparaissent au fil des chapitres, et leur lien entre eux.
Un film magnifique a été tourné en 2000 à partir de ce titre, avec Charles Berling, Isabelle Huppert et Emmanuelle Béart.



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Jean Barnery est pasteur de son état et va voir, dans ce roman foisonnant, changer sa vie et sa destinée depuis le début du siècle jusqu'à l'aube de la seconde guerre mondiale. Jean va changer de femme, donc de statut, va émigrer vers la Suisse depuis son village du sud-ouest de la France et revenir diriger à Limoges, la fabrique de porcelaine familiale.
A travers les vicissitudes de Jean, Chardonne parle de la transformation de l'industrie (la qualité au détriment de la productivité), de la famille (le divorce fait encore scandale ; Aline la fille de Jean sort dans de « mauvais lieux ») et de la société (on assiste aux premières grèves et aux premiers coups que portent la mondialisation : concurrences allemande et japonaise…). Il montre comment la guerre a fait changer les hommes, les a endurcis au point d'apparaître plus rustres lorsqu'ils reviennent dans leurs foyers. C'est ainsi qu'il explique l'attitude taciturne de Jean qui s'absorbe dans son travail pour sauver sa fabrique et délaisse Pauline après s'être reproché d'avoir abandonné sa femme Nathalie qui éduque seule leur fille Aline avec ce constat amer qui pousse justement la jeune fille à se rebeller radicalement vers l'enfer des cabarets puis vers la rédemption exagérée de son adoption du diaconat.
Au milieu de cette tourmente, gravitent d'autres personnages qui représentent cette « France éternelle », ancrés dans la terre et les rites ancestraux et qui semblent mieux résister aux affres de la crise économique. On pense bien sûr au vieux Pommerel, oncle de Pauline, patriarche fier de la qualité de son cognac ( ah ! la « fine de 1840 ! ») et qui refuse tout compromis concernant la fabrication et le conditionnement de son alcool. En fait on s'aperçoit que si tout bouge, certains résistent et perdurent même si comme le dit Jean à la fin du roman, citant la Bible : « notre demeure est enlevée et transportée comme une tente de berger… »
Restent quelques « épiphanies » dont l'une fait un écho profond et que j'appellerai « le temps des cerises » où Jean interrompt le temps, revient plus tôt de son travail, achète un roman -on pense à Proust d'ailleurs dans cette fine allusion :

« Il regardait les livres dans la boutique et remarqua un roman très épais dont il ignorait l'auteur. Il l'ouvrit. L'aspect compact des pages l'intrigua, une longue phrase filandreuse d'une tonalité tendre lui plut. Il acheta le livre et l'emporta chez lui. »

et regarde Pauline qui cueille des cerises, qui ignore sa présence, puis, le voyant , émet un sourire de surprise agréable et lumineux qui l'émeut, juste avant que la guerre n'éclate et emporte Jean sur le front, le ramenant moins « sentimental ».
Le style, on le voit, est d'une rare efficacité à l'instar des hommes d'action qu'il décrit mais traduit aussi le mouvement de la vie et de la destinée. On passera rapidement sur cet épisode où Jean, diminué se souvient du « temps des cerises » et profère cette vérité première : « l'amour…Il n'y rien d'autre dans la vie…rien .» L'auteur était peut-être un peu diminué aussi en fin de roman.
On peut préférer :

« Il n'y a pas de vie perdue quand on a aimé…ne fût-ce que ses outils…Cet attachement, cet or pour des êtres et pour de petites choses de rien, assurément périssables, et que la vie même, avant la mort, nous retire, je voudrais savoir ce qu'il signifie…ce que signifie l'amour si vivace, rebelle à toute raison, à la plus vieille expérience… et cette espérance qui est au fond de l'amour … cette espérance qui est au fond de tout … »

Pourquoi j'ai lu ce roman ? En revoyant le film de Guédiguian , le promeneur du Champ de Mars, le président Mitterrand y fait allusion. le fait qu'il ait relu cet auteur la veille de sa mort est très significatif à mon sens.
Par contre je suis déçu du film un peu pâteux qu'en a fait Assayas, surtout à cause de la présence d'Emmanuelle Béart en Pauline un peu nunuche. Heureusement qu'il y a Isabelle Huppert en Nathalie énervée ! Charles Berling est correct. Mais ce n'est une critique de cinéma ici !


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Ce roman, en trois parties, apparaît a priori comme le portrait d'un monde déjà éloigné, historiquement : celui de la bourgeoisie charentaise et limousine protestante de la fin du XIXe siècle.
M. Pommerel est un fabricant de cognac, très croyant. Il n'éprouve pas de contradiction entre l'exercice de sa foi et le commerce des spiritueux ; Il y voit une sorte de confirmation : « Il retrouvait dans les affaires de multiples prescriptions, des coutumes sacrées, des défenses et des permissions, des frontières précises entre le bien et le mal. »
Cet homme assiste justement à la fin d'un sermon prononcé par Jean Barnery, pasteur. L'épouse de Pommerel, disparue, était la fille de David Barnery, fondateur de la fabrique de porcelaine de Limoges. Jean Barnery est apparenté à cette famille et conserve des intérêts dans la fabrique.
Pauline est la fille de son frère Lucien. Après le décès de ce dernier, Pommerel offre à Pauline de venir habiter chez lui à Barbazach
Jean Barnery, pour sa part, a vu son épouse Nathalie quitter le domicile conjugal.
Ce pourrait donc être un univers clos, replié sur lui-même que nous décrirait Jacques Chardonne ;Il n'est est rien .Bien au contraire, tous ces personnages sont traversés , habités , déchirés par des interrogations humaines essentielles : le sens du travail, sa place dans la société, la conception de l'entrepreneur dans une société déjà un peu mondialisée .Barbazac, lieu imaginaire dans lequel on reconnaît Barbezieux , n'est pas coupé du monde : « Les rapports étaient fréquents entre Barbazac et l'étranger .Des hommes voyageaient en Amérique, en Suède, en Russie ; au retour , ils trouvaient leurs femmes à Paris. »
Pauline s'accoutume à ce monde, empreint de convenances, de restrictions, de conservatisme, de froideur, sans vraiment l'accepter. Attirée par Jean Barney, ce pasteur un peu désincarné, qu'elle ne parvient pas à appeler par son prénom, elle s'insinue néanmoins dans sa vie. Celle-ci, cruelle à l'origine -Jean Barnery n'ayant pas connu ses parents, va être structurée par la religion d'une part, l'éthique des affaires d'autre part. Et c'est là que ce roman est remarquable .Jacques Chardonne dépeint un homme d'affaire , plongé dans les nécessités des restructurations, industrielles, des calculs de coût , des choix de la clientèle, qui ne renonce pas à la dimension morale de son activité, qui justifie son rôle par des considérations autres que purement matérielles : « Je ne veux pas jouir de ma fortune dans une société qui accorde trop d'avantages à ceux qui sont bien nés et qui augmente l'injustice naturelle .Je crois à un monde spirituel , tout à fait opposé aux trésors de la terre. Pour m'y préparer et m'en rapprocher, je veux vivre dans des conditions matérielles salutaires » Ces conditions salutaires, Pauline, jeune fille intérieurement rebelle, va les trouver à l'occasion de la Grande Guerre. Elle devient infirmière, joue un nouveau rôle social, comme beaucoup de femmes de cette époque.
Démobilisé, Jean Barnery fait une mauvaise chute à la Fabrique , qui peine à retrouver sa prospérité de naguère .Tout au long de ce roman , Pauline s'insinue dans la vie de jean Barnery, partage ses combats , polémique avec lui, ouvre moultes controverses , l'interroge sur le bien-fondé de sa conduite .Et c'est à une merveilleuse conclusion que se livre Jacques Chardonne, qui réussit magnifiquement à illustrer l'importance de l'amour dans une vie humaine , par la bouche de Jean Barnery : »Il n'y a pas de vie perdue quand on a aimé(…) L'amour….il n'y a rien d'autre dans la vie …rien. »




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Vaste fresque, le roman se déroule sur les premières décennies du vingtième siècle. Les personnages appartiennent à la bourgeoisie provinciale, en particulier à celle du cognac et de la porcelaine que l'auteur connaissait très bien de part ses origines familiales. L'auteur nous restitue ce milieu, sa façon de vivre, de penser, à laquelle il est si difficile d'échapper lorsqu'on en a été imprégné dès la naissance. Il en va ainsi pour Jean Barnery, issu d'une riche famille qui fabrique de la porcelaine. Il choisit, sans doute en partie par opposition par sa famille de devenir pasteur, et il épouse la fille du caissier de la fabrique, mais il ne pourra échapper malgré tout au destin familial. L'un des thèmes central du roman sera le grand amour de Jean et de Pauline, issue quand à elle d'une famille de négociants en cognac. Un amour qui connaîtra différentes étapes, différentes phases, il y aura mariage, enfant, périodes plus compliquées, des éloignements.

Mais il est impossible de résumer les 500 pages de ce roman au combien riche et complexe, qui parvient à capter d'une merveilleuse façon les lumières, les sensations, le temps qui passe, les petites transformations des êtres, le temps qui change les choses, les gens les lieux, les paysages d'une façons si lente que l'on ne perçoit le changement qu'une fois qu'il est complètement consommé, les subtiles modifications des sentiments, le retour de ce que l'on pensait perdu, la disparition insidieuse et progressive de ce que l'on pensait éternel.

Jacques Chardonne est un maître pour analyser les sensations les plus intimes, les plus ineffables des êtres, les personnages qu'il dépeint sont tellement vrais, tellement authentiques, rendus d'une manière tellement juste, que nous avons l'impression de les connaître, de les avoir peut être croisé un jour. Ils nous touchent infiniment, certes jamais parfaits, mais au combien humains, dans leurs défauts comme dans leurs qualités.

Roman subtile et envoûtant, de ceux qui vous hantent une fois la dernière page lue. L'écriture de Chardonne est sans doute pour beaucoup dans le charme irrésistible du livre. Prose fluide, qui semble couler d'elle-même comme une évidence, avec un rythme, une musique particulière, où chaque mot semble être le seul qui convient à cet endroit-là. Rien d'approximatif, de hâtif, une sorte de précision qui fait que chaque phrase semble nécessaire, évidente, aucune longueur ni délayage.
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Citations et extraits (43) Voir plus Ajouter une citation
Dans la crèche pleine de foin il y avait un mort, boutonné dans sa capote bleue, son képi sur la tête. Personne n'y prenait garde. Il est venu là, pensait Jean, se tenant le ventre ou le côté, comme tant d'autres qui, une fois touchés, se lèvent du sillon et s'en vont debout dans la fusillade, indifférents à tout nouveau danger. Il s'est couché dans cette crèche qui ressemblait à un lit. A-t-il pensé aux siens, à un pardon, à une affaire mal arrangée qui, au dernier moment, l'a turlupiné, ou s'est-il revu bambin dans les foins? On donne sa vie, quand on est vivant, mais on garde sa mort pour soi. Dans cette ultime pensée du soldat blessé qui, plus que le malade, se voit mourir, que trouverait-on? Sans doute des figures douces, plus de femmes que d'hommes, et plus de vieilles que de jeunes; ou bien seulement un "enfin" qui n'a pas besoin d'être dit.
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Il envisage le retour de Nathalie sans inquiétude. Leur passé a été vicié par une erreur qu'il peut corriger maintenant. Jadis, son attitude était faussée par un souci de défense personnelle, hypocrite et aveugle. Aujourd'hui il connaît l'amour: une indulgence infinie, un ravissement pour des riens, une bonté involontaire, un complet oubli de soi-même. Il peut recommencer l'existence commune avec Nathalie; il se proposera uniquement de la rendre heureuse; il ne pensera plus à lui-même; il pardonnera les propos irritants, la frivolité enfantine, la vanité, le caprice, tout cela qui paraîtrait peut-être exquis chez une autre.
Songeant à cet avenir, il se dit que le sacrifice n'est pas une contrainte, un choix difficile et qui implique une privation, mais une pente naturelle du coeur, où l'on s'abandonne avec un sentiment de plénitude...
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"Le solitaire est un dieu", se dit Jean qui tâtait ses poches, craignant d'avoir laissé comme la veille un de ses paquets chez Ségur.
Par sa nature l'homme est abstrait. Il est à son aise dans la métaphysique et dans l'absolu. Il est fait pour produire des lois, annoncer l'avenir, créer des paradis; mais il n'a pas conscience de ses propres gestes, il ne voit pas les formes et les couleurs, l'endroit où il se trouve, les gens qu'il rencontre; il vit parmi de fantômes et ses sensations mêmes sont incertaines, car la plupart viennent de la mode.
Ces réflexions voulaient dire : "une femme que l'on aime et qui partage votre maison introduit le réel dans l'existence. Pauline s'impose à moi comme une individualité indépendante que je ne puis ignorer. Elle m'a révélé la complexité du vivant".
Il voit toujours en Pauline, comme par transparence, la jeune fille de Barbazac, qu'il repoussait de son cœur et n'osait pas regarder, l'image proscrite, à jamais insérée en lui, émouvante et gracieuse. Cependant, celle qu'il nomme Pauline lui paraît aujourd'hui bien différente de cette première vision qui reste à la fois trompeuse et vraie, vague, démentie, persistante. Il n'a pas prévu cette Pauline actuelle, un peu silencieuse, parfois inquiète. Mais les traits nouveaux ne forment pas un être précis, ils changent suivant l'éclairage intérieur et composent la réalité indéterminée, la perpétuelle création de la vie et de l'amour.
Et, sur la route, tandis qu'il se hâte vers la maison, vers l'instant prochain si nécessaire, vers la femme qu'il veut toujours revoir, il s'aperçoit de cette presse et il admire le but limité, fragile, jamais atteint, l'audace de l'homme qui a fait son idole d'une créature imparfaite.
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"Aimer une femme c'est le bonheur", se disait Jean. Par une femme, seulement, on adhère à la vie, on saisit un objet réel, on connaît la beauté, on a une raison d'être. Mais cet amour suppose un cœur apte à le recevoir et une complète soumission, afin que la femme domine par sa douceur même. Pauline n'aura jamais tort, elle ne sera jamais vieille, elle sera toujours la plus charmante, la plus sage, la plus noble. Elle n'impose rien. Son pouvoir vient de Jean; elle n'existe que par lui. Cette abdication, cette création, c'est l'amour.
Elle règne dans la maison, compétente et divinatrice. Mais l'homme ne disparait pas entièrement. Dans cet amour où il semble aveuglé, réduit, satisfait, il ne cesse d'exister; il cherche encore; il n'est pas sûr d'aimer ou d'être aimé; il doute s'il est heureux; un dialogue sans issue commence où chacun parle pour soi, reconnait sa propre faiblesse dans l'autre, l'effrayante complexion humaine, l'abîme des êtres, l'impossibilité d'aimer sans exigences terribles.
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"Je suis voué à la contemplation, et les plus misérables tourments m'accaparent. Sans attache au sol, sans base naturelle, sans futilité, l'âme est trop exposée aux oscillations et au désordre. Une femme détestée peut me hanter, me jeter au plus haut, au plus bas de moi-même , m'inspirer l'enthousiasme du sacrifice, et puis me remplir de haine. Quand je veux la sauver, elle me perd..."
Si l'homme emmêlé aux créatures est si faible qu'il tombe quand il veut progresser, ne doit-il pas se détourner de la terre et se réserver à l'amour surhumain, à une communion purement spirituelle, qui englobe l'humanité inoffensive? Jean rejetait ce recours comme égoïste, impie et trop facile. On ne s'élève pas vers dieu d'un cœur rebuté, en déserteur qui fuit les créatures par un raccourci dans le vide; on le trouve par l'attachement aux êtres, dans les relations avec les choses, au bout des chemins de la terre et de l'apprentissage humain.
Jean inventait une religion pour compenser les croyances dont il se détachait. Il sentait sa faute très ancienne, pareille à un péché contre la vie, une erreur de direction.
Terrassé par des forces physiques, il ne pourrait plus jamais monter en chaire et parler en présence de Nathalie. Il aimerait mieux fuir sur cette route... Mais il rentrera chez lui. Dans le silence, on peut continuer froidement une vie de mensonge. Cela n'est pas difficile.
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