Voilà un essai dont on ne saurait trop recommander la lecture au nouveau ministre des Affaires étrangères. Directeur de l'Institut de recherche stratégique de l'Ecole militaire (IRSEM),
Frédéric Charillon, l'un de nos plus brillants internationalistes qui, depuis 20 ans, analyse la politique étrangère française, ses procédures et ses contenus, pose, de but en blanc, une question essentielle :
la France peut-elle encore agir sur le monde ?
Il renvoie dos à dos les déclinistes et les crédules. Les premiers (Baverez , Tenzer …) partent de prémisses vraies (la part de la France dans la population mondiale diminue, son économie est désormais dépassée par des pays émergents) pour en tirer des conclusions fausses (la perte d'influence de la France serait inéluctable). Les seconds ne peuvent continuer à se gargariser sur la « grandeur » de la France « parce que la France sera toujours la France ».
La première partie est celle des constats. La fin du système international de la Guerre froide a pénalisé la France qui lui permettait de faire entendre sa voix dans le camp atlantiste sans mettre en péril en sécurité. Pour l'Etat centralisateur qu'est la France, idéal-type de l'Etat-nation, le passage d'un système stato-centré à un ordre multi-centré est un autre handicap pour une diplomatie française classique qui excellait dans le jeu inter-étatique mais n'a pas l'habitude de dialoguer avec de nouveaux acteurs.
La deuxième partie est celle des défis. Si elle ne veut pas disparaître du monde, la diplomatie française doit s'adapter. Elle doit en premier lieu définir une stratégie : définir des priorités géographiques, par exemple dans son « étranger proche » méditerranéen ou africain, se positionner sur les grands défis transversaux (le réchauffement climatique, la réforme du système financier international, la diversité culturelle …). Elle doit ensuite reconsidérer ses méthodes : trop souvent critiquée pour son arrogance, la diplomatie française doit comprendre qu'être la plus intelligente ne fait pas d'elle la meilleure. Elle doit enfin réformer ses structures et s'interroger sur la pertinence d'un réseau diplomatique universel d'ambassades bilatérales qui n'est peut-être plus de mise dans le monde post-westphalien.
La dernière partie est celle des priorités. Pour
Frédéric Charillon, qui avait déjà théorisé la « régionalisation de la politique étrangère » , la dimension européenne est « incontournable ». Sans doute, le temps n'est plus où la France pouvait considérer l'Europe comme un « amplificateur de puissance » et imposer son point de vue à une Allemagne, trop contente de retrouver via la construction européenne une respectabilité internationale. Dans l'Europe à 27, la France n'a plus les moyens de faire cavalier seul. Elle doit chercher à convaincre des partenaires qui ne partagent ni ses priorités, ni ses ambitions. Mais le jeu, nous dit F. Charillon, en vaut la chandelle. Dans le contexte international actuel, tel que présenté dans la première partie, l'Union européenne n'est pas la moins bien lotie. A tous les Eurosceptiques, il faut opposer la force d'attraction que cet ensemble démocratique et prospère de 500 millions d'habitants exerce sur ses voisins, proches ou plus lointains.
Réussir l'européanisation de nos politiques publiques ne veut pas dire glisser ici ou là plus d'Europe. L'européanisation, qui est déjà en marche, suppose une vraie réforme des mentalités et des structures. La laborieuse mise en oeuvre du Service européen d'action extérieure (SEAE), embryon d'une diplomatie fédérale, est une première étape. Il y en aura d'autres …