En couple depuis six ans, Marianne et Pierre sont en vacances dans la propriété de Pierre en Italie : c'est l'occasion pour Marianne de remettre en question leur histoire d'amour. ● J'ai pris l'oeuvre de Lise Charles dans l'ordre chronologique inverse, et je vais de déception en déception. ● Complètement conquis par La Demoiselle à coeur ouvert, son troisième opus et dernier en date, j'ai ensuite été déçu par Comme Ulysse, et le suis de nouveau, mais encore bien davantage, par La Cattiva (entendez non "la captive", mais "la vilaine"), bavardage fort ennuyeux et interminable sur le thème du désamour, malgré les multiples références littéraires dont est truffé le texte, que ce soit à La Fontaine, à Marivaux, à Stendhal ou à bien d'autres. ● le roman pourrait être un amusant jeu de piste littéraire s'il était charpenté par une vraie histoire. Comme d'intrigue, il n'y en a pas, il reste le jeu de piste, assez pédant et vain, ou plutôt pédant parce que vain, et les ratiocinations de Marianne qui se demande comment se libérer de son couple et de l'homme qu'elle n'aime plus.
"Moi je t'aime, et j'ai vraiment chaud, déclara Pierre en s'épongeant le front, qu'il avait collant. Tu dis que tu as chaud simplement parce que j'ai dit que j'avais faim, tu ne supportes pas l'idée que je puisse avoir quelque chose de plus que toi, répondit tristement Marianne."
La Cattiva, c'est elle, Marianne, captive d'une relation qu'elle ne veut pas, qu'elle ne veut plus, mais qu'elle ne parvient pas à quitter, une relation qu'elle apprécie parfois, mais pas toujours, pas tout le temps. Ces vacances en Italie la rendent folle, elle s'ennuie, il l'ennuie. Pierre, cet homme manifestement difforme avec qui elle a pourtant vécu pendant cinq ans. Cette homme étrange qui débite plus de vers que de paroles, qui a plus de travers que de qualités selon elle. Mais elle ne parvient pas à le quitter, elle s'interroge, change d'avis, couche dans la chambre d'à côté, mais revient toujours.
Marianne est captive, non pas de lui mais d'elle même. C'est un très beau roman sur les sentiments, contradictoires et pourtant inévitables. Un roman sur l'imagination, sur de grands enfants et sur la vie à deux. Magnifiquement bien écrit, il nous transporte dans cette campagne italienne en un instant, dans le coeur de Marianne, dans celui de Pierre et dans leur esprit tourmenté.
Je crois qu'on pourrait le qualifier en un mot: vrai.
Depuis que Pierre mâchait sa bile noire dans son coin, il arrivait bien moins souvent que Marianne le prît en horreur. Elle éprouvait pour lui un mépris calme, un dégoût sans ardeur. Leur relation, finalement, n’en était-elle pas comme renforcée ?
Pourquoi quand je suis seule, toujours ces dialogues stupides en moi? Je suis un village où se rencontrent des hommes affaiblis, qui fredonnent des formes vides autour de la fontaine. Je voudrais les chasser, mais je n'en ai pas le coeur, peut-être pas la force, et je remets sans cesse le problème à plus tard. Et quand je suis seule et que je m'ennuie, il faut l'avouer, leur babil chevrotant me berce et m'attendrit. Essayant d'exprimer ce que je suis vraiment, de fouiller les tréfonds de mes sentiments, de donner une vois aux voix qui m'habitent, je m'aperçois que je ne suis pas grand chose d'autre qu'un être creux et plein d'ordure, qui donne une voix criarde aux voix timides qui croyaient l'habiter discrètement. Comme une aveugle, je palpe avec nervosité les limites de mon esprit.
Pour trouver le sommeil, je fais semblant de l'avoir déjà trouvé. Je respire plus lentement, membres déliés, parfois j'aiguise un petit soupir, mais ma cervelle n'est pas encore embrumée, et le sommeil est loin. Alors je tente de faire venir la confusion, je bondis d'une idée saugrenue à l'autre, et je m'efforce ensuite de recréer les liens entre elles, espérant ne pouvoir y parvenir; c'est quand tout s'emmêlera sans clarification possible que le sommeil sera là.
Mais à peine commencé, ce message, je l'efface, car à quoi bon? Les êtres qui nous entourent ne sont rien, ou presque, et nous ne ressentons jamais mieux notre solitude que quand nous leur écrivons. A eux? Non, à leur fantôme qui plane dans notre esprit. Nous feignons de croire qu'ils existent, car nous voulons, dans un échange de bons procédés, qu'ils nous rendent la pareille, ne supportant pas de voir notre propre existence mise en doute, même par des êtres inexistants.
Et puis je vous racontais que je ne savais pas si je l'aimais d'amour, mais que je l'aimais comme j'aime ma jambe, "tout séparation est donc une amputation, vous comprenez?" Vous compreniez ou vous feignez de comprendre: il était ma jambe, la droite et vous, pleins d'admiration pour cette belle passion, vous cherchiez un bras gauche à travers le monde; mais vous ne trouviez que gros orteils et auriculaires, et nous en riions à travers notre désespoir.
Françoise Sagan : "Le miroir ***"